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CORSE : LE MULTICULTURALISME UNE IDÉE QUI FAIT TOUJOURS PEUR À LA FRANCE

14 Mars 2023 13:00 (UTC+01:00)
CORSE : LE MULTICULTURALISME UNE IDÉE QUI FAIT TOUJOURS PEUR À LA FRANCE
CORSE : LE MULTICULTURALISME UNE IDÉE QUI FAIT TOUJOURS PEUR À LA FRANCE

Paris / La Gazette

Le tribunal administratif de Bastia, en Corse, rendait, jeudi 9 mars un jugement interdisant l’usage de la langue corse au sein de l’Assemblée régionale de Corse. Une illustration de plus de la difficulté de l'État français à accepter la diversité au sein de la Nation.

Le multiculturalisme, c’est à dire l’idée que différents peuples, possédant chacun sa culture et sa langue spécifiques, peuvent non seulement coexister au sein d’une même nation, pas participer activement à la construction de celle-ci, fait partie de l’ADN de nombreux pays. L’Azerbaïdjan en est une illustration exemplaire, puisque c’est précisément l’appartenance à la patrie azerbaïdjanaise, et la défense de celle-ci, qui soude les dizaines de peuples présents dans le pays, Des peuples dont les originalités culturelles sont préservées et encouragées par les autorités.

La France, au contraire n’intègre toujours pas cette idée qu’il n’y a de richesses que de différences.

La récente décision du tribunal administratif de Bastia, en Corde, illustre parfaitement cette problématique.

L’usage de la langue corse interdit à l’Assemblée de Corse, car jugé contraire à la Constitution

Le tribunal administratif de Bastia, en Corse, rendait, jeudi 9 mars un jugement interdisant l’usage de la langue corse au sein de l’Assemblée régionale de Corse, au motif que « larticle 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 » prévoit « que lusage du français simpose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans lexercice dune mission de service public ».

Ce jugement fait suite à un recours formé par le préfet de Corse, représentant de l’État français, Pascal Lelarge, contre le règlement intérieur de l’Assemblée qui stipulait : « lAssemblée de Corse et le conseil exécutif sont garants des intérêts matériels et moraux du peuple corse, (…) la langue et les débats de lAssemblée de Corse sont le corse et le français ».

Le tribunal juge ainsi que « larticle 16 du règlement intérieur du conseil exécutif de Corse, ainsi que larticle 1er du règlement intérieur de lAssemblée de Corse », en prévoyant « que le corse est au nombre des langues des débats », « méconnaissent les dispositions de larticle 2 de la Constitution ».

Outre la langue, le préfet de Corse argumentait que le fait que ces règlements intérieurs « consacrent lexistence du peuple corse » méconnaissait également la Constitution. Selon le représentant de l’Etat, ces actes étaient le cheval de Troie administratif consacrant la notion de peuple corse, censurée par le Conseil constitutionnel il y a trente ans, lors du deuxième processus dit « Joxe » sur la décentralisation.

En annulant la délibération prise en 2021, le juge administratif estime également que « lusage du français simpose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans lexercice dune mission de service public ».

Le président du conseil exécutif de la région Corse, Gilles Simeoni, a indiqué son intention de former appel de cette décision.

Pourtant, l’usage des langues régionales est autorisé par la loi

Pourtant, les députés corses ont en principe le droit d'utiliser la langue corse lors des débats à l'Assemblée nationale française.

En effet, la Constitution française reconnaît la diversité linguistique de la France et prévoit que les langues régionales font partie du patrimoine de la nation. En ce sens, l'article 75-1 de la Constitution énonce que "Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" et l'article 2 de la loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 précise que "la République française reconnaît l'existence des langues régionales qui font partie de son patrimoine".

De plus, l'article 24 du règlement de l'Assemblée nationale stipule que "les députés peuvent s'exprimer en toute langue régionale ou minoritaire de leur choix". Cela signifie donc que les députés corses ont tout à fait le droit d'utiliser la langue corse pour s'exprimer lors des débats à l'Assemblée nationale.

D’ailleurs, l’Assemblée de Corse a fait remarquer que la référence au peuple corse avait déjà été employée dans le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, en 1988, sans faire l’objet de censure.

La colère des élus corses

La décision du tribunal « résonne pour nous comme une insulte », a réagi, en langue corse, sur Twitter Jean-Christophe Angelini, à la tête du « Parti de la Nation corse ». « Cest une injustice et une honte. Nous ne comprenons pas ».

« Cette décision revient à priver les élus de la Corse du droit de parler leur langue à loccasion des débats au sein de lAssemblée de Corse, du Conseil exécutif de Corse et des actes de la vie publique », se sont insurgés le président autonomiste du conseil exécutif, Gilles Simeoni, et la présidente autonomiste de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis. « Accepter cette situation est pour nous impensable », ont-ils ajouté, précisant avoir formé appel contre ce jugement. « Cette décision de justice et sa motivation ne font que confirmer la nécessité absolue dune révision constitutionnelle, notamment pour garantir à la langue corse le statut de coofficialité, condition indispensable de sa survie et de son développement », ajoutent-ils.

Le parti indépendantiste Core in Fronte a dénoncé quant à lui cette décision de justice sur Twitter, la qualifiant, en langue corse, de « honteuse ». « Cela témoigne de la nécessité dun dialogue, entre les électeurs corses et le gouvernement français, qui soit une véritable négociation politique. La langue corse est vivante, cest celle du peuple corse et de sa terre », a-t-il twitté.

La Corse, l’île aimée des Français et crainte des autorités

La Corse, cette île de la Méditerranée française, est un sujet complexe et sensible en matière de politique. Depuis de nombreuses décennies, la Corse a été le théâtre d'un mouvement nationaliste qui revendique une plus grande autonomie pour l'île et une reconnaissance de l'identité corse. La question de la politique française en Corse est donc une question épineuse, qui a suscité de nombreux débats et controverses.

La politique française en Corse a évolué au fil des années, passant d'une approche répressive à une approche plus conciliante. Dans les années 1970 et 1980, la France a adopté une politique très répressive envers les nationalistes corses, qui ont été souvent considérés comme des terroristes. Cette politique a été marquée par une série d'attentats violents, dont certains ont été commis par des groupes nationalistes corses.

Au début des années 1990, la France a commencé à adopter une approche plus conciliante envers les nationalistes corses. En 1991, la France a adopté une loi sur la Corse qui a accordé une certaine autonomie à l'île. Cette loi a été suivie par une série de négociations entre le gouvernement français et les nationalistes corses, qui ont abouti à la création d'une assemblée de Corse en 1992.

Depuis lors, la France a continué à adopter une approche plus conciliante envers la Corse. En 2002, la France a adopté une nouvelle loi sur la Corse qui a étendu l'autonomie de l'île. Cette loi a été suivie par une série de négociations entre le gouvernement français et les nationalistes corses, qui ont abouti à la création d'un statut de résident corse en 2003.

Cependant, malgré ces avancées, la question de la Corse reste complexe et sensible. Les nationalistes corses continuent de revendiquer une plus grande autonomie pour l'île, voire même l'indépendance. Cette revendication a été exacerbée par une série d'événements, tels que les violences qui ont éclaté à Corte en 2014 et la décision de la France de fermer la centrale thermique de Lucciana en 2015.

En réponse à ces événements, le gouvernement français a adopté une approche plus ferme envers la Corse. En 2017, le président Emmanuel Macron a annoncé qu'il ne tolérerait plus la violence en Corse et qu'il était prêt à prendre des mesures pour rétablir l'ordre. Depuis lors, la France a adopté une série de mesures pour renforcer la sécurité en Corse, notamment en augmentant les effectifs de la police et de la gendarmerie.

La diversité culturelle française au coeur du problème

La France est un pays riche en diversité culturelle et linguistique. Outre le français, il existe de nombreuses langues régionales parlées dans différentes régions du pays. Ces langues régionales sont un élément important du patrimoine culturel et linguistique de la France, mais elles ont souvent été marginalisées et négligées au fil du temps.

Certaines, comme le breton, le basque, l'alsacien, le corse et l'occitan, sont très différentes du français et ont des racines historiques distinctes. D'autres langues régionales, comme le picard, le normand, le champenois et le lorrain, ont des similitudes avec le français et ont été influencées par lui. En tout, il est estimé que la France compte plus de 75 langues régionales différentes.

Cependant, malgré cette richesse linguistique, les langues régionales ont souvent été négligées et même réprimées dans l'histoire de la France. Au cours du XIXe siècle, la République française a promu le français comme langue nationale et a cherché à supprimer l'utilisation des langues régionales. Cette politique a été renforcée au XXe siècle, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement de Vichy a interdit l'utilisation de certaines langues régionales.

Aujourd'hui, de nombreux locuteurs de langues régionales en France se sentent marginalisés et discriminés en raison de leur langue maternelle. En réponse à cette situation, plusieurs initiatives ont été lancées pour promouvoir les langues régionales et pour protéger leur statut légal en France.

En 1951, la France a signé la Convention européenne sur la protection des minorités nationales, qui reconnaît le droit des minorités linguistiques à préserver leur identité culturelle et linguistique. En 2008, la France a également ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui reconnaît le droit des citoyens à utiliser les langues régionales dans certaines situations officielles, telles que les écoles, les tribunaux et les services publics.

Cependant, malgré ces engagements internationaux, les langues régionales sont encore largement exclues de l'éducation et des médias en France. Dans de nombreux cas, les locuteurs de langues régionales ont des difficultés à trouver des écoles ou des cours qui leur enseignent leur langue maternelle. De même, les médias en France sont largement dominés par la langue française, ce qui limite les opportunités pour les locuteurs de langues régionales de s'exprimer dans les médias.

La droite française en première ligne

Comme d’autres pays européens, à l’instar de l’Italie ou de la Grèce, la droite française, décimée à partir de 2017, avec le scandale qui a fait chuter le candidat François Fillon, a cherché à se refaire une santé en se radicalisant, notamment en adoptant les thèses discriminatoires de l’extrême droite, qui let en avant une France « une et indivisible », qu’il faudrait épurer de ce qui l’éloigne de ses « racines chrétiennes ». Cette notion, qui apparaît comme un contresens historique, puisque les racines de la France sont très diverses, a même été combattue par le Pape lui-même. Elle justifie toutefois les mesures d’épuration culturelle dont sont victimes les musulmans en France, à travers une perception intégriste de la laïcité, qui ne vise d’ailleurs que la population de confession musulmane.

Ainsi, l’idée de multi-culturalisme est violemment combattu par l’extrême-droite à laquelle le parti de droite Les Républicains, et le parti présidentiel Renaissance, notamment sous l’impulsion du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, ont joint leurs voix. Une France cosmopolite, c’est justement le cauchemar d’un Eric Zemmour, qui y voit un « suicide de la France », même si lui-même est un pur produit de l’immigration. Naturellement, les hurlement xénophobes des politiciens envers même leurs propres concitoyens, ce n’est pas la voix de la France.

Ce refus d’une France plurielle est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement français soutient l’Arménie mono-ethnique et chrétienne, exemple idéal que la droite appelle de ses voeux, contre l’Azerbaïdjan multi-culturel, multi-religieux, pratiquant une laïcité inclusive.

Quant aux Corses, ils peuvent toujours se consoler en pensant que c’est à l’un des leur, napoléon Bonaparte, que l’on doit les Codes auxquels certains tribunaux font appel pour essayer de les faire taire,

Jean-Michel Brun

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