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UN EXPOSÉ REMARQUÉ DU CHERCHEUR ARMÉNİEN PHİLİPP ÉKOZİANTS AU VATİCAN

11 Décembre 2025 13:26 (UTC+01:00)
UN EXPOSÉ REMARQUÉ DU CHERCHEUR ARMÉNİEN PHİLİPP ÉKOZİANTS AU VATİCAN
UN EXPOSÉ REMARQUÉ DU CHERCHEUR ARMÉNİEN PHİLİPP ÉKOZİANTS AU VATİCAN

Paris / La Gazette

Le 10 avril 2025, la prestigieuse Université pontificale grégorienne du Saint-Siège a accueilli la XIIᵉ conférence scientifique internationale consacrée à l’héritage de l’Albanie du Caucase. Placée sous le thème « Le christianisme en Azerbaïdjan : histoire et modernité », cette rencontre d’envergure a été organisée conjointement par le Centre international de multiculturalisme de Bakou, l’Institut d’histoire et d’ethnologie de l’Académie nationale des sciences d’Azerbaïdjan, l’ambassade d’Azerbaïdjan auprès du Saint-Siège et la communauté chrétienne albano-oudine.

Un événement consacré au dialogue des cultures et des traditions religieuses

Lors de la cérémonie d’ouverture, l’ambassadeur d’Azerbaïdjan auprès du Saint-Siège, Ilgar Mukhtarov, a souligné l’importance de cette conférence dédiée à l’étude de la riche histoire du christianisme en Azerbaïdjan, ainsi qu’à la diversité religieuse et au multiculturalisme qui caractérisent le pays. Rappelant la position géographique singulière de l’Azerbaïdjan, au croisement de l’Europe et de l’Asie, le diplomate a insisté sur le rôle historique du territoire comme lieu de rencontre entre civilisations, cultures et confessions. Selon lui, la tenue de cet événement dans un établissement aussi renommé que l’Université pontificale grégorienne témoigne de la reconnaissance internationale du caractère unique de cet héritage.

Deux messages adressés aux participants ont ensuite été lus : l’un par le cardinal George Jacob Koovakad, préfet du Dicastère pour le dialogue interreligieux, l’autre par le cardinal Claudio Gugerotti, préfet du Dicastère pour les Églises orientales. Tous deux ont salué les efforts des organisateurs pour encourager la recherche académique et le dialogue entre traditions chrétiennes.

Un large panel d’experts internationaux

Au-delà des interventions officielles, la conférence s’est distinguée par la diversité des contributions présentées. Des spécialistes de l’histoire et de la culture albano-caucasienne venus de Turquie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Corée du Sud, Russie, Pologne, Italie, Géorgie, Allemagne, France, Canada, États-Unis et Lituanie ont partagé les résultats de leurs travaux les plus récents.

Le rapport notable du chercheur arménien Philippe Ekoziants

Parmi les communications, celle de Philippe Ékoziants, chercheur arménien établi en Russie, a particulièrement retenu l’attention. Ékoziants est reconnu pour avoir consacré de nombreuses années à l’étude et à la traduction de diverses sources médiévales et tardives relatives à l’histoire du peuple arménien, de son Église et à certains aspects de l’histoire de l’Albanie du Caucase.

Son intervention, présentée lors de la troisième section intitulée « Sources et historiographie », a apporté un éclairage précieux sur des documents rarement étudiés et a enrichi les débats sur l’interprétation des textes anciens. Le rapport complet de Philippe Ékoziants peut être consulté via le lien communiqué par les organisateurs de la conférence.

https://drive.google.com/file/d/1eolLKLLnlxcPwd4T8B2x-ZOhh2z8I0J5/view

10 avril 2025, Université pontificale grégorienne, Rome.

La XIIᵉ conférence internationale « Le christianisme en Azerbaïdjan : histoire et modernité »

La troisième section, intitulée « Sources et historiographie »

La présentation du chercheur Philippe Ékoziants.

Philippe Ékoziants : « Je ne suis pas spécialiste de l’histoire de l’Albanie (caucasienne), mais je possède des connaissances qui, je le crois, peuvent être utiles à tous les présents et à tous ceux qui s’intéressent à ce sujet. Je ne suis pas non plus un savant au sens académique du terme ; excusez-moi si mon intervention n’est pas construite comme il se doit et n’a pas la forme scientifique attendue. Je n’ai même pas de costume. »

Farda Asadov (historien, modérateur de la 3ᵉ section) : « Néanmoins, je vous demanderai de respecter le règlement : 10 minutes. »

Philippe Ékoziants : « Dans mon exposé, je souhaite aborder des questions auxquelles je n’ai soit pas trouvé de réponses, soit qui n’ont été étudiées par personne, soit encore dont les réponses m’ont semblé peu convaincantes. Ces questions concernent avant tout les sources primaires et, plus largement, l’Albanie du Caucase elle-même, son peuple (ou ses peuples) et son Église chrétienne.

Naturellement, je me suis trouvé confronté à ces sources lorsque je travaillais sur la question arménienne, c’est-à-dire l’histoire de mon propre peuple.

Et je commencerai par l’essentiel. »

Première partie

C’est ce qu’a écrit Eugène Boré[1] à propos du manuscrit de l’Histoire du pays d’Alouank de Moïse de Kalankatouk, qu’il avait trouvé — selon ses propres dires — dans les archives d’Etchmiadzin :

« L’écriture cursive, pleine d’abréviations que le copiste, trop avare pour son époque, a multipliées, rend la lecture difficile et parfois incertaine quant à certains anciens noms de peuples ou de pays. Cependant, comme la copie a ensuite été collationnée par un bibliothécaire religieux ou ecclésiastique, nous estimons qu’elle correspond à l’original, lequel présente sans doute les mêmes défauts[2]. »

Il s’agissait d’une découverte de la plus haute importance. Comme l’a justement souligné le père Alexis (Nikonorov) :

« Pour l’étude de l’histoire de l’Albanie du Caucase à l’époque de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, l’œuvre première et déterminante est le seul ouvrage consacré à l’histoire de cet État : l’ Histoire de l’Albanie de Moïse de Kalankatouk[3]. »

Et cette découverte capitale n’était pas le fruit du hasard. Bien avant le voyage de Boré à Etchmiadzin, les mékhitaristes de l’île San Lazzaro connaissaient déjà l’existence de cet ouvrage. Ils en possédaient quelques fragments et avaient indiqué avec précision l’endroit où il était possible d’en trouver une version complète.

Ils en informèrent le public en 1829 dans leur « Aperçu de l’histoire littéraire de l’Arménie » :

« Selon l’opinion de beaucoup, l’historien Moïse de Kalankatouk[4], auteur de l’histoire des Albaniens voisins de l’Arménie, vécut à la fin du VIIᵉ siècle. Nous ne disposons que de quelques fragments de son œuvre, mais nous savons avec certitude qu’on peut en trouver en Arménie une copie complète, rédigée dans un style réellement élégant[5]. »

Je le répète : cette information fut publiée en 1829, et les Mékhitaristes ne trompaient pas. Neuf ans après cette publication, en 1838, Eugène Boré découvrit à Etchmiadzin une copie de la version complète de l’Histoire du pays d’Alouank.

Nous avons déjà pris connaissance des informations accessibles au public concernant cet homme ; j’ajouterai seulement ce que les sources ouvertes ne mentionnent pas : Eugène Boré était membre[6] de la Congrégation de l’Ordre des Mékhitaristes[7], ainsi qu’élève du docteur Pascal Aucher[8], secrétaire de la société des Mékhitaristes.

Après avoir étudié le texte intégral, Boré donna à Moïse de Kalankatouk la caractérisation suivante :

« Accorder à l’auteur le titre d’historien, ce serait lui faire trop d’honneur. Strictement parlant, il n’est qu’un chroniqueur encore très maladroit, ou plutôt un compilateur dont la tâche se réduisait souvent à copier et à traduire[9]… »

J’ai présenté cette longue introduction accompagnée de citations afin de commencer à poser des questions — des questions auxquelles je n’ai, pour l’instant, trouvé aucune réponse auprès des historiens et chercheurs qui ont consacré leurs travaux à l’histoire de l’Albanie, à son peuple (ou à ses peuples) et à son Église.

Ainsi donc.

À la base de l’histoire de l’ancien État qu’était l’Albanie du Caucase ne repose qu’un seul manuscrit. Un manuscrit dont les premiers découvreurs eux-mêmes ont qualifié la qualité de très médiocre, et dont l’origine nous est, à proprement parler, totalement inconnue. (Plus précisément, nous connaissons l’origine d’une seule copie — celle réalisée spécialement pour les Mékhitaristes et à leur demande.)

Dans mes recherches, j’ai souvent constaté que de nombreuses branches de l’historiographie arménienne prenaient appui sur un unique manuscrit, dont il était impossible de vérifier l’authenticité et la fiabilité. Inutile d’aller chercher bien loin pour en trouver des exemples.

Ainsi, une seule copie attribuée à Korioun[10], consacrée à la vie et à l’œuvre de Mesrop Machtots, a suffi pour convaincre mon peuple que c’est Machtots qui avait créé l’alphabet arménien, alors que le monde savant, au moins jusqu’au XVIIᵉ siècle inclus, était convaincu que l’inventeur de l’alphabet arménien était Jean Chrysostome[11]. Et vous savez aussi bien que moi que ce genre d’exemple est suffisamment fréquent dans notre histoire pour y discerner un certain schéma.

Dès lors, pourquoi les savants accordent-ils leur confiance au manuscrit de Kalankatouk, signalé et découvert par les Mékhitaristes ? La question n’a rien d’anodin, car l’île de San Lazzaro mérite à juste titre que chaque déclaration et chaque manuscrit qui en proviennent soient vérifiés de la manière la plus rigoureuse.

Je n’ai trouvé non plus aucune tentative sérieuse pour comprendre pourquoi l’information initiale concernant Moïse de Kalankatouk et son œuvre provenait précisément d’eux, c’est-à-dire des moines arméniens de l’ordre catholique des Mékhitaristes.

Pourquoi les Mékhitaristes ont-ils déployé tant d’efforts pour retrouver ce livre, en obtenir une copie et le porter à la connaissance du public ? Je me permets de vous assurer que ce sont là des questions d’une importance capitale pour l’avenir de l’histoire de l’Albanie en tant que discipline scientifique.

Autre point curieux. Si vous avez déjà prêté attention à la chronologie, vous aurez remarqué que les démarches entreprises par les Mékhitaristes semblent presque réagir en temps réel aux actions de l’Empire russe dans le Caucase. 1828 : Le khanat d’Erevan, avec Etchmiadzin, devient une partie de l’Empire russe.

1829 : Les Mékhitaristes annoncent l’existence de l’Histoire du pays d’Alouank — un ancien État situé alors déjà sur le territoire de l’Empire russe. 1836 : Nicolas Ier approuve le Règlement sur l’administration de l’Église arméno-grégorienne, visant à établir un contrôle total sur celle-ci et à en priver l’Église romaine. Par ce même décret, le trône de Gandzasar perd définitivement son indépendance et est rattaché à l’Église arméno-grégorienne en tant que patriarcat du Karabagh. Et voici qu’en 1838, Eugène Boré trouve enfin le fameux manuscrit qui deviendra la base de la « renaissance » de l’ancien État de l’Albanie du Caucase et de sa première Église chrétienne. En 1840, il annonce que le manuscrit a été découvert à Etchmiadzin, qu’il en a commandé une copie, et il s’empresse de publier l’image de l’alphabet albano-caucasien ancien[12] (Alphabet photo):

« Je suis heureux d’annoncer à votre savante assemblée que j’ai trouvé cet alphabet sur une vieille feuille jaunie, utilisée pour la reliure d’un manuscrit qui, lui aussi, était très ancien. »

Cet alphabet ne fut pas reconnu par la suite comme albanais, mais le désir de Boré et des Mékhitaristes de « planter au plus vite leur jalon » dans l’ancienne Albanie (ou, si l’on veut, sur l’un des nouveaux territoires de l’Empire russe) semblait suffisamment fort pour les pousser à se hâter - et à se tromper. Il serait d’ailleurs intéressant et utile de découvrir quelles étaient leurs raisons.

Toute cette simple séquence chronologique appelle d’elle-même l’attention d’un chercheur. Mais, hélas, personne n’y prête attention - ou ne souhaite le faire.

Je souligne que je n’affirme pas que Moïse de Kalankatouk et son Histoire du pays d’Alouank ne méritent pas confiance.

Mais dans quelle mesure devons-nous leur accorder cette confiance - voilà la vraie question.

Il n’est pas exclu que des ajouts plus tardifs aient été insérés dans le manuscrit, ni que les Mékhitaristes aient rendu publique une version incomplète. Et je suis convaincu qu’il est nécessaire de trouver des réponses aux questions liées à l’origine du manuscrit de Moïse de Kalankatouk tant qu’il est encore temps - avant que certains historiens trop zélés ne poussent leurs spéculations trop loin.

En tenant compte des indications fournies par les séquences chronologiques, je propose également d’examiner les événements de la première moitié du XIXᵉ siècle autour d’Etchmiadzin et de Gandzasar, non seulement dans le cadre de la politique impériale de la Russie sur les territoires annexés au début du XIXᵉ siècle (sur laquelle beaucoup a déjà été écrit, souvent de manière partiale), mais aussi dans le contexte d’au moins un siècle et demi de confrontation (à cette époque) entre l’État pontifical et l’Empire russe - une confrontation dans laquelle l’ordre catholique le plus puissant, la Compagnie de Jésus, a joué un rôle considérable (dans l’un de leurs monastères, nous menons actuellement ces échanges).

Si l’on prend en compte le fait que l’influence du Saint-Siège sur la haute hiérarchie de l’Église arménienne, patiemment établie aux XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècles, n’a pas disparu après 1828 et n’était pas directement liée aux changements des frontières étatiques, alors une telle approche pourrait fournir des réponses plus convaincantes et complètes à de nombreuses questions que se posent aujourd’hui les historiens - en particulier les albanologues, notamment celle concernant la suppression du trône du catholicos à Gandzasar.

Il serait également utile de mener des recherches supplémentaires sur la localisation de certains événements, tant dans l’histoire de l’Albanie du Caucase que dans celle des autres « Albanies », que j’ai comptées sur la carte diachronique du monde :

une en Grande-Bretagne (Albion), deux sur le territoire de l’Italie actuelle, une sur les Balkans, l’Albanie du Caucase, et une dernière, couvrant le Caucase mais s’étendant jusqu’à l’Océan Arctique[13].

Une comparaison systématique de toutes les chroniques connues de toutes ces Albanies permettrait d’exclure l’insertion d’éléments étrangers dans les histoires nationales respectives. Pour ma part, en étudiant la région du nord de l’Italie, j’ai noté des similitudes entre les chroniques des Lombards et le texte de Moïse de Kalankatouk. Je suis convaincu qu’une telle analyse pourrait apporter de nombreuses découvertes intéressantes, si ce n’est de véritables révélations.

« La renaissance historique d’un peuple est un fait digne d’intérêt et un précieux acquis pour la science. L’espoir de tirer les Agovants (les Albaniens) de l’oubli a suscité les recherches de voyageurs et de savants. La mort a empêché le docteur Saint-Martin de redonner vie à ce peuple, sur le passé duquel il avait jeté une lumière éclatante[14] », – c’est ainsi qu’écrivait en 1848 le rédacteur du journal dans lequel Boré publia des fragments de l’Histoire du pays d’Alouank. Et, comme nous le voyons, il s’agissait alors de « renaissance historique ».

Aujourd’hui, nous observons de nouveau un intérêt croissant pour l’histoire de l’Albanie du Caucase. Pour nous, chercheurs et historiens, c’est sans aucun doute un voyage passionnant, auquel il est pratiquement impossible de renoncer, comme à un rendez-vous avec une femme aimée !

Et il est très important — extrêmement important — que nos recherches ne deviennent pas par la suite une source de problèmes pour les simples gens, qui se considèrent comme les descendants des anciens Albaniens. Peut-être que l’expérience douloureuse de l’historiographie arménienne pourra nous être utile à cet égard.

(Suit en italique un bref synopsis de la deuxième partie de mon exposé ; le texte complet figure dans la présente publication sous le titre : « Deuxième partie. (Version complète) »).

Il y a plus de trois cents ans, l’intérêt pour l’histoire de l’Arménie connut une forte augmentation. À partir de la fin du XVIᵉ siècle et tout au long du XVIIᵉ siècle, de nombreuses copies de manuscrits anciens furent découvertes, les premières grammaires de la langue arménienne furent rédigées, et l’histoire de l’Église arménienne publiée ; les imprimeries européennes se mirent à publier et à diffuser les œuvres de Moïse de Khorène et d’Arakel Davrizhetsi ; dans les cosmogonies, une place particulière était accordée à l’histoire du peuple arménien ; de nombreux voyageurs ayant visité la Perse et la Turquie s’efforçaient de décrire avec le plus grand détail l’histoire de la terre arménienne et de sa population ; des églises et monastères sur le territoire de l’Arménie furent restaurés, y compris le complexe monastique d’Etchmiadzin, qui fut même, en quelque sorte, reconstruit de fond en comble.

Grâce aux missionnaires, qui assurèrent l’acheminement depuis l’Europe vers la Turquie et la Perse de publications imprimées peu coûteuses, puis installèrent des imprimeries locales, les Arméniens eux-mêmes s’intéressèrent davantage à leur histoire et à leur religion, et surtout à la langue littéraire arménienne, qui n’était alors comprise que par une partie du clergé.

C’est précisément au XVIIᵉ siècle que fut forgé ce « four » scientifique, culturel et idéologique, dans lequel une partie des habitants arméniens de confession chrétienne se fondit en une communauté unifiée, prenant conscience d’un peuple arménien unique et indivisible, lequel devint le précurseur direct de celui que nous connaissons aujourd’hui sous ce même nom.

Qui a dirigé ce processus ? Quels étaient les objectifs ? Et quels furent les résultats de ce processus complexe, long et coûteux ?

/Adresse aux chercheurs azerbaïdjanais/

Quelques mots encore, adressés spécialement à mes amis azerbaïdjanais.

Il y a huit ans, lorsque j’ai commencé à poser des questions inconfortables à mes compatriotes, vous m’avez soutenu. Au fil des années, de nombreux Arméniens ont commencé à regarder notre passé avec plus de lucidité, et certains soutiennent même ouvertement mes recherches. Aujourd’hui, je vous pose les mêmes questions inconfortables. Mais je vous assure que si vous parvenez à y répondre, vos succès seront bien plus savoureux, et vous pourrez ensuite éviter l’effondrement de constructions historiographiques déjà établies.

(Ceci conclut le texte de mon intervention à l’Université pontificale grégorienne de Rome. Suit ensuite la version complète de la deuxième partie de mon exposé).

Deuxième partie (Version complète).

Sur l’expérience du peuple arménien, à qui le destin et certaines autres forces ont offert une histoire grande et ancienne.

Les XVIᵉ et XVIIᵉ siècles furent marqués par la confrontation entre l’Europe chrétienne et l’Empire ottoman, qui culmina avec la grande guerre de 1683 à 1699. C’est précisément dans les dernières décennies du XVIIᵉ siècle que l’activité des missionnaires catholiques auprès des populations chrétiennes de l’Empire ottoman commença à porter des fruits tangibles : de nombreuses communautés arméniennes reconnurent, ouvertement ou en secret, la souveraineté du pape de Rome, et les missions pontificales consolidèrent considérablement leur position à Erzurum et dans l’Érivani perse, frontière avec la Turquie.

Des mouvements émergèrent, que l’histoire contemporaine qualifie souvent à tort de mouvements nationaux et libérateurs. Un exemple de ce prétendu mouvement national-libérateur fut la conspiration secrète[15] des princes (ou meliks) d’Arménie orientale, dirigée par Israël Ori, en contact direct[16] avec des représentants des dynasties européennes au pouvoir et avec l’ordre des Jésuites.

Le processus de reformatage des communautés chrétiennes du rite ancien-oriental prit naissance sous le pontificat de Grégoire XIII, à la fin du XVIᵉ siècle, lorsque fut conçue l’idée de créer la Congrégation de la Propagation de la Foi. Dès cette époque, un conseil spécial de cardinaux travaillait à l’annexion des patriarcats orientaux à Rome et à leur reconnaissance du pape de Rome comme unique et légitime représentant de Jésus-Christ sur Terre.

Vers le milieu du XVIIᵉ siècle apparurent des manuels méthodiques pour les missionnaires, destinés à travailler avec des communautés chrétiennes vivant sous la domination de dirigeants musulmans. L’un des travaux les plus précieux[17] à notre disposition est celui du révérend père Flério[18], supérieur de la mission jésuite au Levant, intitulé : « L’état contemporain de l’Arménie dans les affaires temporelles et spirituelles », qui dévoile des détails essentiels sur le travail des missionnaires auprès des populations chrétiennes locales.

Dans le cadre du sujet traité, il convient de souligner certains points :

Premièrement, les missionnaires venus d’Europe avaient appris à convertir les chrétiens autochtones à leur foi, parfois à tel point que ceux-ci ne se rendaient même pas compte qu’ils devenaient catholiques.

« C’est tout un art : les rendre catholiques sans leur expliquer à quel point ils étaient schismatiques et hérétiques[19]. »

Deuxièmement, les missionnaires apprirent à modifier le contenu interne des patriarcats locaux, en introduisant dans la conscience de leur haute hiérarchie les fondements de la doctrine catholique, sans changer leurs coutumes ni leurs rituels :

« Pour le progrès de l’Église, il nous suffit de leur faire comprendre les dogmes et l’Église latine, sans leur imposer nos cérémonies ni notre conception de la bienséance. Le Saint-Siège, qui avait prévu les difficultés de ce processus, interdit clairement et sous peine de sanctions aux missionnaires d’obliger les Grecs à renoncer à leurs rites pour adopter ceux des Latins. Et bien que cette interdiction ne concerne pas les Arméniens, elle doit néanmoins servir de règle à ceux qui travaillent à leurs côtés… »[20]

Et plus loin :

« Pour travailler de manière productive et solide, il faut commencer par conquérir les chefs du peuple (arménien)… Le peuple cesse de se méfier du missionnaire lorsqu’il voit que ses propres dirigeants s’attachent à lui et suivent son avis. »[21]

Ainsi, Rome autorisait l’Église arménienne à conserver extérieurement la palette orientale ancienne de ses traditions, à condition que ses pasteurs spirituels comprennent et suivent la doctrine catholique. Cette disposition permettait à Rome de diriger discrètement les patriarcats orientaux, à l’insu de leurs fidèles comme de la majorité des clercs. (Je ne cite ici que l’Église arménienne, mais cette méthodologie fut en réalité utilisée par les missionnaires en Inde, en Chine, au Japon, en Amérique du Sud, et pas uniquement avec des populations chrétiennes non catholiques.)

À cette époque, les leaders laïcs du peuple arménien devinrent un objectif stratégique majeur pour les missionnaires :

« Il faut créer une école composée uniquement d’enfants arméniens, afin d’accéder à l’éducation des enfants des familles les plus nobles. Par exemple, les seigneurs Sherimani (connus en translittération russe sous le nom de Shamiryans) respectent beaucoup nos révérends pères. Si nous formions les enfants de cette famille noble, cela suffirait à conquérir tous les autres. Toutes les familles les plus influentes de la nation arménienne vivent à Julfa (près d’Ispahan)[22]. Nous voyons de là partir de riches caravanes, et de nombreux Arméniens, pour le commerce, se dispersent dans tout l’Orient et atteignent même l’Europe. Dans cette école, nous formerons les esprits et les cœurs des jeunes Arméniens ; et les fruits de cette éducation atteindront un jour les confins du monde et constitueront l’une des parties les plus importantes de la nation[23]. »

À ces propos du père Fleuriau, il convient d’ajouter que, finalement, les missionnaires réussirent à soumettre à leurs intérêts certaines familles nobles d’Arméniens de Perse, notamment la famille des Shamiryans et celle tout aussi célèbre des Lazarev, qui accomplirent par la suite un immense travail pour eux au sein de l’Empire russe dans les domaines de l’éducation, de la diffusion de la doctrine catholique, ainsi que dans la collecte, la conservation et la transmission d’informations. Ces familles aidèrent ensuite le Saint-Siège à maintenir le contrôle sur l’Église arménienne, même après le passage d’Étchmiadzin sous l’autorité du tsar de Russie.

Parallèlement à l’intensification notable des missions catholiques auprès des Arméniens au XVIIᵉ siècle, l’intérêt pour l’histoire du peuple arménien et de l’Église arménienne augmenta fortement, tant dans les milieux scientifiques que politiques en Europe. Il convient de noter que rien de comparable n’avait jamais eu lieu auparavant.

À partir de la fin du XVIᵉ siècle et tout au long du XVIIᵉ siècle : Les premières grammaires de la langue arménienne et l’histoire de l’Église arménienne furent rédigées et publiées; les imprimeries européennes commencèrent subitement à publier et diffuser les œuvres de Movses Khorenatsi et Arakel Davrishian; dans les cosmographies, une place particulière fut accordée à l’histoire du peuple arménien, à ses coutumes et à sa langue (ici[24] une liste d’auteurs et de titres, dans laquelle ne sont mentionnés que les ouvrages les plus importants); de nombreux voyageurs ayant visité la Perse et la Turquie décrivirent en détail l’histoire et la population de la terre arménienne (ici[25] une liste des plus connus); les églises et monastères en Arménie furent restaurés, y compris le complexe monastique d’Étchmiadzin, qui, selon toute vraisemblance, fut reconstruit entièrement et non seulement restauré, comme le pensent certains historiens modernes. Grâce aux missionnaires, qui assurèrent l’acheminement depuis l’Europe vers la Turquie et la Perse de produits imprimés à bas prix, puis installèrent également des presses typographiques sur place, chez les Arméniens eux-mêmes (!), l’intérêt pour leur propre histoire et leur religion commença à croître, et surtout pour la langue arménienne littéraire, qui à cette époque n’était comprise que par une partie du clergé[26].

L’un des fondateurs de l’exégèse biblique critique, Simon Richard, qui dans les années 1660 rencontra personnellement Voskan d’Erevan à Amsterdam, écrivit :

« Les bibles manuscrites arméniennes étaient excessivement coûteuses ; pour cette raison, les gens ordinaires ne pouvaient pas lire eux-mêmes les Saintes Écritures. Il fut donc décidé de les publier par voie d’imprimerie[27]. »

Ce furent les missionnaires au XVIIᵉ siècle qui élevèrent ce four scientifique, culturel et idéologique dans lequel une partie des habitants arméniens chrétiens se fondit en une communauté unifiée, commençant à se reconnaître comme le « peuple arménien ». Ce processus conduisit à une renouvellement fondamental de la notion de « peuple arménien ».

Personnellement, je suis convaincu que c’est au XVIIᵉ siècle, grâce aux efforts de la Congrégation de la Propagande de la Foi et des missionnaires européens, que fut créé le peuple arménien — l’ancêtre direct du peuple que nous connaissons aujourd’hui sous ce même nom (c’est-à-dire celui auquel s’appliquent les frontières sémantiques contemporaines de la notion de « peuple arménien »)[28].

Il ne fait aucun doute que Rome poursuivait ses propres objectifs dans la formation du peuple arménien et agissait dans son intérêt. Mais le peuple arménien renouvelé (ou recréé) en tira également un grand bénéfice. Avec la doctrine catholique, les missionnaires offrirent aux autochtones un enseignement de qualité pour l’époque, ainsi que tout le nécessaire pour assurer le processus éducatif.

Les Arméniens eurent accès à de nouvelles technologies dans la construction, l’économie et les finances, le commerce, l’imprimerie, l’art et l’architecture. Ils purent se procurer des livres bon marché imprimés en Europe grâce aux mécènes européens, non seulement en arménien littéraire mais aussi en arménien vernaculaire. Ces éditions accessibles devinrent la base de la formation de représentations standardisées pour les Arméniens, notamment sur eux-mêmes, leur histoire et leur religion. Bien entendu, tous ces livres étaient censurés dans l’intérêt du Saint-Siège, mais ils devinrent néanmoins accessibles à la majorité des Arméniens, ce qui était inédit pour la population locale.

De plus, les Arméniens eurent pour la première fois la possibilité d’écouter des sermons en arménien vernaculaire, qui, selon de nombreux savants du XVIIᵉ siècle, était pratiquement identique au turc[29]. Cela offrit enfin au peuple arménien la possibilité de s’immerger véritablement dans les subtilités de la vision chrétienne du monde.

Le révérend père Fleuriau écrit à ce sujet :

« C’est précisément en arménien vernaculaire que nous devons prêcher, confesser et converser avec le peuple, car il comprend à peine la langue littéraire[30]. »

Le XVIIIᵉ siècle devint celui de la progressive « migration » d’une grande partie du peuple arménien vers la doctrine catholique et une vision du monde pro-occidentale. Pour contrôler son développement futur tout en restant hors de portée des autorités de l’Empire ottoman et du chah de Perse, Rome créa sur l’île Saint-Lazare, près de Venise, l’ordre monastique catholique des Mékhitaristes, qui jouait en réalité le rôle de centre de gestion de l’histoire de l’Arménie, de l’Église arménienne et du peuple arménien.

C’est là que se constitua une base d’information solide, permettant d’ancrer durablement le peuple arménien sur la scène historique mondiale. En seulement quelques décennies, à la fin du XVIIIᵉ siècle, l’île Saint-Lazare s’était transformée en centre scientifique et religieux, doté d’une bibliothèque contenant des dizaines de milliers de copies de manuscrits anciens (anciens — selon les témoignages des Mékhitaristes eux-mêmes). À cette époque, on pouvait y trouver une réponse à toute question concernant l’histoire du peuple arménien, dont le squelette chronologique s’enrichissait rapidement de noms et d’événements souvent inconnus auparavant.

Posons-nous maintenant la question : qu’est-ce qui, au-delà des idéaux spirituels élevés et du désir de sauver les âmes égarées des hérétiques, a conduit les missionnaires catholiques en Arménie ?

Parmi les réponses, on trouve le désir historiquement naturel de l’Europe chrétienne de détruire l’Empire ottoman et de restituer Constantinople à la famille des capitales chrétiennes. Cette tâche était extrêmement difficile, comme les Européens purent s’en rendre compte à plusieurs reprises dans la pratique. Déjà Nicolas Machiavel, en rassemblant l’expérience de toutes les guerres connues de son temps, soulignait, entre autres, la difficulté de conquérir la Turquie, qu’il attribuait à l’absence totale d’opposition interne :

« La difficulté de conquérir la Turquie réside dans le fait qu’il n’existe pas de princes indépendants pouvant inviter le conquérant, et que pour réussir, celui-ci ne peut compter sur l’insurrection des proches du sultan… Tous ces proches sont créés par ses mains, esclaves, élevés par sa grâce et donc personnellement redevables ; les corrompre est risqué, et même s’il y parvenait et qu’ils se révoltaient, on ne peut espérer qu’ils réussissent à entraîner les masses dans l’insurrection[31]. »

Cela fut écrit au début du XVIᵉ siècle, et déjà à la fin du XVIᵉ siècle, les souverains européens commençaient peut-être à comprendre comment résoudre ce problème. Ils se mirent à former, dans les possessions intérieures du Grand Sultan, une force sur laquelle ils pourraient s’appuyer pour remporter à terme la victoire.

Pour cette tâche, ils choisirent le peuple arménien, mais pas celui qui existait déjà dans le Haut-Plateau arménien[32], ni la secte chrétienne éponyme de rite oriental[33], mais celui qu’il leur restait encore à former à partir de la population chrétienne hétérogène du Haut-Plateau arménien et de ses environs proches. Il s’agissait donc de former un peuple arménien !

Et si, avant l’arrivée des missionnaires dans ces terres, les dictionnaires européens considéraient comme Arméniens tous les habitants de l’Arménie, sans distinction même de confession, à la fin du XVIIᵉ siècle, grâce aux efforts des auteurs européens, le terme « Arménien » désignait de plus en plus souvent uniquement les habitants chrétiens de l’Arménie.

Une caractérisation éloquente fut donnée en 1692 par l’un des missionnaires les plus connus du Levant, le jésuite Philippe Avril :

« Les Arméniens ont montré une disposition particulière au service zélé, ce qui nous a poussés à les préférer à toutes les autres nations de l’Orient[34]. »

Une question rhétorique s’impose. De quelle préférence parle Avril ? Pour un missionnaire, la nationalité de la brebis égarée devant lui devrait-elle vraiment avoir de l’importance ? Ou s’agit-il en réalité de quelque chose de plus que le salut de l’âme ?

En fin de compte, le peuple arménien et l’Église arménienne, entre les mains habiles de Rome, se sont transformés en un instrument de pression sur l’Empire ottoman et ont pleinement répondu aux attentes des souverains chrétiens d’Europe. Ainsi, le peuple arménien, après avoir accompli jusqu’au bout les missions qui lui avaient été confiées, est, au début du XXᵉ siècle, tombé dans un état de coma métaphorique dont il ne s’est peut-être jamais complètement réveillé : c’est-à-dire qu’il n’a pas retrouvé son intégrité ni sa conscience collective, et qu’à ce jour, comme le confirment de nombreuses études, il est incapable de répondre clairement à la question la plus simple :

« Qui sont les Arméniens ? Qu’est-ce que le peuple arménien ? »

p.s.

Pour chaque peuple, l’histoire constitue une source unique et irremplaçable de nourriture, qui soutient son existence, lui apporte force et croissance, et permet au peuple de se maintenir sur la carte de la civilisation en tant qu’organisme autonome. Il est donc crucial de veiller à ce que cette “nourriture” soit de qualité, saine, et ne devienne pas un appât piégé.

Philippe Vartanovitch Ékozianz

Avril- Juin 2025

[1] Informations issues de sources ouvertes sur Eugène Boré (1809-1878) :

« Membre de la Société asiatique depuis 1833 ; auteur de publications dans la revue périodique Revue Asiatique ; professeur de langue arménienne au Collège de France (1833-1834) ; fondateur d’une école catholique à Tabriz (Perse / Iran des Qajars) ; à partir de 1842, membre correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; à partir de 1866, secrétaire général de la Congrégation des Missions étrangères à Paris ; à partir de 1867, membre du conseil général chargé du travail des écoles orientales ; à partir de 1874, supérieur général de la Congrégation des Missions étrangères. »

[2] 1848 Nouvelles annales des voyages, de la géographie et de l'histoire, p. 59-60.

[3] Histoire de l’Église de l’Albanie du Caucase selon Moïse de Kalankatouk, édition de 2021, p. 13.

[4] Version latine de Mosè Calcantuensis.

[5] « Quadro della storia letteraria di Armenia, estesa da mons », Venise, 1829, p. 44, auteur : père Soukias Somalyan.

[6] L’information selon laquelle Boré serait membre de la congrégation des Mékhitaristes apparaît dans son ouvrage Le couvent de Saint-Lazare à Venise, ou Histoire de l'ordre des méchitaristes arméniens, publié en 1837.

[7] À cette époque, conformément au décret de Napoléon Bonaparte du 27 août 1810, la Congrégation des Mékhitaristes de l’île de Saint-Lazare était également appelée l’Académie arménienne de Saint-Lazare.

[8] Dans l’édition de 1835, Saint Lazare, ou Histoire de la société religieuse arménienne de Méchitar, Boré écrit dans la préface qu’il est l’élève de Pascal Aucher.

[9] Nouvelles annales des voyages, de la géographie et de l'histoire, édition de 1848, p. 60.

[10] Korioun – selon la version communément admise : historien, écrivain et traducteur, auteur de La Vie de Maštoc‘ ; il vécut au Ve siècle de notre ère.

[11] Angelo Rocca, Bibliotheca apostolica Vaticana commentario illustrata, édition de 1591, p. 155 ;

Thomas Fleuriau, Estat présent de l’Arménie, tant pour le temporel que pour le spirituel, édition de 1694, p. 6.

[12] «Correspondance et mémoires d'un voyageur en Orient», éd. 1840, v 2, p. 50

[13] Ce sujet est trop vaste pour que je puisse le développer pleinement dans ce format et satisfaire la curiosité du lecteur. Je me limiterai donc à quelques témoignages peu connus tirés de cosmographies et de dictionnaires.

Le dictionnaire de Daniel Juigne de Broissinière, publié en 1644, nous informe sur les Albanais qui vivaient dans les environs de Rome. Dans l’article intitulé « Albe », on lit : « Albe est le nom donné à trois ou quatre villes. Alba Longa, ainsi nommée par les Anciens en raison de sa situation, fut fondée dans la Campanie romaine par Ascagne, fils d’Énée, trente ans après Lavinium. Les habitants d’Alba Longa sont appelés Albains/albains. »

(Alba Longa, autrement dit Longue, reçut ce nom pour la distinguer des autres cités portant la même appellation, car elle était beaucoup plus grande et construite le long de la colline Albane, dans la Campanie romaine, région du Latium.)

« Une autre (Albe/Alba) se trouve en Lombardie » (au XVIIᵉ siècle, on appelait Lombardie non seulement les régions du nord, mais aussi celles du centre de la péninsule des Appenins), « près du lac Fucin/Fucin, dont les habitants sont appelés albain/albanes/albenses/albanois. »

Une Albanie qui s’étend du Caucase jusqu’à l’océan Arctique est mentionnée dans la cosmographie d’Usuard : Usuard, La mer des hystoires, 1488–1489, vol. 1, feuillet LXXIII : « L’Albanie est une province de la Grande Asie ainsi nommée parce que les gens y ont les cheveux blancs dès leur naissance. Cette région est beaucoup plus froide que les autres, décrites et rattachées à l’Asie. Cette Albanie est baignée à l’est par la mer Caspienne et, depuis la grande mer du Nord, elle s’étend jusqu’aux marais méotides et jusqu’aux grandes solitudes totalement inhabitées. »

Dans le dictionnaire déjà mentionné de Broissinière, on lit également : « L’Albanie prend son origine près de la mer Caspienne et, longeant les rivages de l’Océan septentrional et de grandes terres désertes, atteint les marais méotides. »

À propos de l’Albanie dans les îles Britanniques, il est écrit dans Le grand dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, tome 1, partie 1, édition de 1683 : « Albanie / Albanie ou Albayn : c’est sous ce nom que l’on désignait autrefois toute l’Écosse. »

[14] «Nouvelles annales des voyages, de la géographie et de l'histoire», éd. 1848, p. 59

[15] Voir « Les relations de Pierre le Grand avec le peuple arménien », Ézov G.A., éd. 1898, ainsi que « Israël Ori. La boîte de Pandore », premier livre, Ékozjants F.V., éd. 2020.

[16] Premièrement, Israël Ori était l’envoyé de l’électeur palatin Jean-Guillaume II ; deuxièmement, il entretenait ses contacts avec ce dernier, ainsi qu’avec l’empereur du Saint-Empire romain Léopold Iᵉʳ, par l’intermédiaire de leurs directeurs spirituels, les pères jésuites (voir Krusiński : Histoire de la dernière révolution de Perse, vol. 2, 1728 ; Ézov G.A. : Les relations de Pierre le Grand avec le peuple arménien, 1898, lettres d’Israël Ori).

[17] «Estat present de l'Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel», éd. 1694

[18] «Estat present de l'Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel», éd. 1694 г., page. 337-338.

[19] «Estat present de l'Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel», éd. 1694 г., page. 337-338.

[20] Ibid., p. 339

[21] Ibid., p. 340

[22] Cette remarque du père Fleuriau mérite, à mon avis, une attention toute particulière. En raison de sa position, lorsqu’il évaluait le terrain d’action des missions qu’il dirigeait, il se fondait exclusivement sur la situation réelle. Et comme nous le voyons, il considérait la banlieue d’Ispahan — Djoulfa — comme le véritable centre de gravité du peuple arménien, reconnaissant ainsi indirectement que la formation du peuple arménien (dans les limites conceptuelles alors en vigueur du terme « peuple arménien ») avait commencé avec la déportation, dans les années 1600, de la population chrétienne d’Arménie vers l’intérieur de la Perse par le Shah Abbas.

[23] Ibid., p. 61.

[24] Galano Clemente (1611-1666): 1645 «Grammaticae, et logicae institutiones linguae literalis Armenicae Armenis»; 1658 «Conciliationis Ecclesiae Armenae cum Romana». Claude Duret 1570–1611: 1618 «Thrésor de l'histoire des langues de cest univers». Pierre Davity (1573-1635): 1613 «Les Estats, empires, et principautez du monde». André Thevet (1516-1590): 1575 «La cosmographie universelle d'André Thevet».

[25] Chardin, Jean (1643-1713); Tournefort, Joseph Pitton de (1656-1708); Baptiste Tavernier (1605-1689); François le Gouz de la Boullaye (1623-1669); Villamont, Jacques de (1558-1628); Sieur Pétis de La Croix, François (1653 - 1713); Avril, Philippe (1654-1698)...

[26] Le très faible niveau d’instruction des Arméniens fut signalé par de nombreux auteurs du XVII siècle qui avaient eu affaire à ceux que l’on considérait pourtant comme des hommes instruits. Le père Fleuriau aborda lui aussi ce problème : « Toute l’érudition des vartabeds se limite à la connaissance de la langue arménienne littéraire » (Estat present de l'Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel, éd. 1694, p. 28).

[27] Simon Richard, «Histoire critique de la créance et des coûtumes des nations du Levant», 1684, p. 137.

[28] Ceux que l’on appelait « Arméniens » aux XVI et XVII siècles n’avaient rien en commun avec ceux qu’on désignait sous ce nom dans les soi-disant « temps anciens », à l’époque des croisades et jusqu’au début de l’ère de l’imprimerie, c’est-à-dire avant le XVe siècle. Mais nous ne traiterons pas de ce sujet ici, car il est trop vaste pour ce format.

[29]

1. Conradi Gesneri, Mithridates, 1555 : « De Armenica lingua vulgari quae eadem Turchica est & Tartarica », traduction : « Sur la langue vulgaire arménienne, qui est la même que le turc et le tatar ».

2. Guillaume Postel, Linguarum duodecim characteribus differentium alphabetum, introductio, ac legendi modus longè facilimus, 1537 : « Illorum lingua vulgäris omnino Turchica est », traduction : « Leur langue vulgaire (celle des Arméniens) est entièrement turque ».

3. Theodori Bibliandri, De ratione communi omnium linguarum et literaru[m] commentarius, 1548 : « lingua vulgäris omnino Turchica est », traduction : « La langue vulgaire (des Arméniens) est entièrement turque ».

[30] Estat present de l'Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel, 1694, p. 62.

[31] Nicolas Machiavel, Le Prince, chapitre 4. Traduction en russe par Nikolaï Stepanovitch Kourochkin, édition de 1869, Saint-Pétersbourg.

[32] Cette constatation est également confirmée dans les chroniques du missionnaire romain et envoyé du roi d’Espagne à la cour du Shah Abbas Ier, Antonio de Gouvea, ainsi que par l’historien arménien Arakel Davrizhetsi.

[33] Dans le dictionnaire explicatif de Broissinière de 1644 (Dictionnaire théologique, historique, poétique et cosmographique), deux définitions du terme « Arméniens » sont données : « Les Arméniens sont les peuples du grand pays appelé Arménie, dont la majeure partie sont sujets du sultan turc… Quant à la religion des Arméniens, elle correspond presque entièrement à celle des Mahométans, cependant il existe un grand nombre de chrétiens, mais issus d’une secte que l’on appelle également Arméniens. »

[34] Philippe Avril, 1692, «Voyage en divers états d'Europe et d'Asie : entrepris pour découvrir un nouveau chemin à la Chine : contenant plusieurs remarques curieuses de physique, de géographie, d'hydrographie et d'histoire», p. 53.

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