QUELLES SONT LES RAISONS QUI FREINENT LA VITICULTURE EN AZERBAIDJAN?
Paris / La Gazette
Les exportations ont baissé, les superficies viticoles stagnent et les petites exploitations dédaignent les cépages techniques
Selon les données du Comité national des statistiques, la viticulture et la vinification nationales traversent une période difficile : sur dix mois, l’Azerbaïdjan a enregistré une baisse sensible de la production de vin et de brandy. Particularité notable, contrairement à d’autres segments du marché des boissons alcoolisées, la filière vitivinicole dépend largement de la demande à l’exportation. Or, les expéditions extérieures de produits alcoolisés à base de raisin ont elles aussi chuté d’un quart en valeur. Le recul du tourisme cette année a également contribué à la contraction de la demande pour les vins locaux. De manière générale, le secteur est confronté depuis plusieurs années à des problèmes persistants, notamment la lente progression des superficies viticoles et le manque d’intérêt des petites exploitations pour la culture de cépages techniques.
Après la destruction massive et barbare des vignobles d’Azerbaïdjan durant la campagne anti-alcool de Gorbatchev, puis la longue stagnation des années 1990, des évolutions positives ont vu le jour au cours des deux dernières décennies, permettant une relance du secteur. En 2002, à l’initiative du leader national Heydar Aliyev, la loi « Sur la viticulture et la vinification » a été adoptée. Par la suite, fin 2011, le président Ilham Aliyev a approuvé le programme d’État « Sur le développement de la viticulture en Azerbaïdjan pour 2012–2020 ».
Durant cette période, une série de mesures a été mise en œuvre afin d’accélérer la création de nouveaux vignobles, promouvoir la privatisation, moderniser et construire de nouvelles installations de transformation, et accroître la production de raisins ainsi que leur transformation en produits vinicoles. À titre de comparaison, alors que la superficie des vignobles au début du XXIᵉ siècle dépassait à peine 3 500 hectares, elle atteignait près de 16 000 hectares en 2020.
Cette multiplication par plus de quatre des surfaces viticoles destinées à la production de matières premières peut sans conteste être considérée comme un succès sectoriel. Mais dans quelle mesure cet essor a-t-il permis d’atteindre les objectifs fixés par le programme d’État ? Selon ce dernier, les vignobles auraient dû couvrir au moins 50 000 hectares il y a déjà cinq ans. Or, le chiffre actuel n’en représente qu’environ un tiers, soit près de 17 000 hectares.
De même, le programme prévoyait de porter la production nationale de raisins à 500 000 tonnes et celle de vin à 30 millions de décalitres. Les statistiques actuelles en sont très éloignées. D’après le Comité national des statistiques, entre janvier et octobre 2025, l’Azerbaïdjan a récolté 206 600 tonnes de raisins, en hausse de 3 %, soit environ deux fois et demie moins que les objectifs fixés.
La situation est encore plus préoccupante pour les principaux produits du secteur — les vins de raisin et le brandy. Selon un récent bulletin statistique, entre janvier et novembre 2025, la production de vin s’est élevée à 554 700 décalitres, soit une chute de 50,1 %. Le tableau est tout aussi sombre pour le brandy, le cognac et le whisky : sur la même période de onze mois, l’industrie des boissons alcoolisées n’a produit que 395 400 décalitres de ces spiritueux, soit 48,2 % de moins qu’à la même période de 2024.
Quelles sont les causes de ce recul et pourquoi la croissance de la viticulture et de la vinification, prometteuse au début des réformes, s’est-elle essoufflée ? Les raisons sont nombreuses, tant objectives que subjectives, mais concentrons-nous sur les facteurs clés.
Du point de vue de la base de matières premières, un problème majeur tient au fait que, pour des raisons subjectives, l’écrasante majorité des 17 000 hectares de vignobles du pays sont plantés en cépages de table. Les cépages techniques, indispensables à l’industrie vinicole, ne couvrent qu’un peu plus de 5 000 hectares, concentrés pour l’essentiel dans les exploitations d’environ 23 caves moyennes et grandes.
Cette situation explique largement les spécificités actuelles du secteur. Malgré l’adoption de la loi sur les coopératives et la mise en œuvre de plusieurs programmes conjoints avec des bailleurs internationaux pour le développement des communautés rurales, toutes les tentatives visant à créer des associations agricoles commerciales durables ont échoué. Il n’est donc pas surprenant que, aujourd’hui, les petites exploitations individuelles parviennent à produire avec un certain succès des raisins de table, majoritairement écoulés sur le marché intérieur.
À l’inverse, les agriculteurs qui cultivent des cépages techniques se heurtent à de sérieuses difficultés. Les petits producteurs, non regroupés en coopératives, peinent à assumer les coûts élevés de l’entretien des vignobles, des mesures agronomiques, des engrais, des traitements contre le phylloxéra et autres maladies, ainsi que l’achat de plants importés à haut rendement. Dans les zones de piémont où sont cultivés les raisins techniques, la grêle est fréquente, et les systèmes anti-grêle hérités de l’époque soviétique ont disparu depuis longtemps.
Le problème le plus aigu demeure toutefois l’absence d’un marché transparent et efficace pour les matières premières. Les caves moyennes et grandes produisent principalement à partir de raisins issus de leurs propres domaines, tandis que les achats auprès des petites exploitations restent limités. De surcroît, ces petits fournisseurs sont souvent confrontés à des prix d’achat artificiellement bas. À titre de comparaison, dans la filière cotonnière, des prix minimaux d’achat réglementés selon la qualité et la catégorie existent depuis de nombreuses années, ce qui n’est pas le cas en viticulture.
Certes, la viticulture bénéficie de subventions publiques, notamment pour la création de nouveaux vignobles. Les agriculteurs perçoivent une aide unique non remboursable de 8 000 manats (environ 4 700 dollars), suivie d’une subvention annuelle de 650 manats (382 dollars) pendant quatre ans pour soutenir l’entretien des sols. Mais une fois cette période préférentielle achevée, les viticulteurs rencontrent souvent des difficultés pour écouler leur production et doivent composer avec des prix d’achat non régulés.
Le stockage des récoltes constitue un autre défi. Les entrepôts frigorifiques spécialisés pour le raisin et les installations de production de moût sont en grande partie contrôlés par les grandes entreprises vinicoles.
S’y ajoute le manque d’adoption des pratiques internationales éprouvées. L’Azerbaïdjan n’a pas encore reproduit les modèles de l’Italie, de la France, de l’Espagne, du Portugal ou de la Grèce — pays réputés non seulement pour la diversité de leurs terroirs, mais aussi pour leurs microdomaines familiaux ou coopératifs (domaine, tenuta, castello), produisant de petites quantités de vins, de grappa et de brandy artisanaux.
Parmi les facteurs objectifs qui pèsent sur la demande intérieure de vin et de brandy figure la forte hausse des droits d’accise ces dernières années. Cette tendance se poursuit : selon le projet de loi « Sur le budget de l’État de la République d’Azerbaïdjan pour 2026 », à compter du 1ᵉʳ janvier 2026, les accises sur les vins augmenteront de 31 % et celles sur les vins effervescents de 28 %. Dans le même temps, les droits d’accise sur les matières destinées au brandy et au cognac passeront de 4,8 manats (2,82 dollars) à 5 manats (2,94 dollars) par litre, soit une hausse d’environ 4,2 %.
Ces difficultés ont été aggravées par la pandémie de COVID-19. En 2020–2021, les confinements ont provoqué un effondrement du marché tant pour les agriculteurs que pour les grandes caves : fermeture des établissements de restauration, annulation des mariages, arrêt du tourisme intérieur et entrant, recul des exportations d’alcool — autant de canaux qui représentaient traditionnellement une part importante des ventes du secteur.
Les années suivantes, afin de redynamiser la filière, des festivals du vin ont été organisés à Chamakhi et dans d’autres villes du pays, des destinations d’œnotourisme ont été développées pour promouvoir les régions viticoles nationales et, surtout, les activités de l’Agence azerbaïdjanaise de promotion des exportations et des investissements (AZPROMO) ont été intensifiées pour soutenir les vins et brandys nationaux sur les marchés étrangers.
Ces dernières années, grâce aux efforts d’AZPROMO, des représentations commerciales et avec le soutien des maisons de commerce et de vin azerbaïdjanaises, la part des exportations de vin et de brandy a sensiblement augmenté vers la Pologne, la Lettonie, la Chine, ainsi que vers plusieurs pays asiatiques et le marché turc. Aujourd’hui, une quinzaine de producteurs nationaux exportent des produits vinicoles, mais seuls 4 à 5 acteurs majeurs assurent l’essentiel des volumes.
Malheureusement, ces mesures ne produisent pas toujours l’effet escompté. Selon le Comité national des statistiques, au cours des dix premiers mois de l’année, les exportations totales de vin de raisin et de moût azerbaïdjanais ont atteint 122 500 décalitres pour une valeur de 3,557 millions de dollars, soit une baisse de 22 % en volume et de 25,6 % en valeur. Le recul des expéditions extérieures s’explique en grande partie par le fait que le principal débouché des produits vinicoles azerbaïdjanais demeure la Russie et d’autres pays de la CEI.
L’étroitesse persistante des marchés d’exportation constitue le principal facteur de vulnérabilité : le récent refroidissement des relations azerbaïdjano-russes a ralenti les échanges commerciaux dans plusieurs secteurs, dont la vinification. La baisse de la production et des exportations de vin et de brandy a également été influencée par une diminution de 1,8 % du tourisme entrant, principalement en provenance de Russie, d’Inde et de plusieurs États post-soviétiques. Les visiteurs étrangers ont toujours constitué un public clé pour la filière, dégustant activement les vins locaux et les rapportant souvent comme souvenirs.
Malgré ces défis, il existe des raisons d’espérer que nombre des facteurs subjectifs freinant le développement dynamique de la viticulture et de la vinification en Azerbaïdjan puissent être surmontés à court terme. Le « Programme d’État pour le développement de la viticulture en Azerbaïdjan pour 2018–2025 », lancé à l’initiative du chef de l’État, prévoit toute une série de mesures destinées à accélérer la création de nouveaux vignobles et à élargir les capacités de transformation.
À mesure que les terres agricoles du Karabakh sont déminées et que de nouveaux vignobles sont plantés dans d’autres régions du pays, la superficie totale des vignobles devrait dépasser 23 000 hectares dans les prochaines années, tandis que les récoltes annuelles de raisins pourraient atteindre 250 000 à 300 000 tonnes.