DECLARATIONS ET REALITE : SELECTION DU PERSONNEL ILLOGIQUE
Paris / La Gazette
La direction du parti au pouvoir en Arménie, Contrat civil, a récemment pris une décision pour le moins controversée en approuvant l’inclusion de Andranik Kotcharian, président de la commission parlementaire permanente sur la défense et la sécurité, ainsi que de Sasun Mikaelyan, chef de l’organisation « Yerkrapa », qualifiée de structure à l’idéologie militariste et extrémiste, sur la liste électorale en vue des élections législatives de 2026.
Ce choix dépasse largement le cadre d’une simple décision interne au parti. Il apparaît en contradiction flagrante avec les déclarations officielles d’Erevan sur l’ouverture d’une « nouvelle ère de paix », la reconnaissance de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et la volonté affichée de signer un accord de paix durable. Un retour sur le parcours et les prises de position des deux personnalités concernées permet de mesurer l’ampleur de ce décalage.
Andranik Kotcharian : discours de paix et récits de confrontation
Andranik Kotcharian n’est pas un député ordinaire. À la tête de la commission parlementaire chargée de la défense et de la sécurité, il exerce une influence directe sur le discours politico-militaire de l’Arménie. Ses déclarations publiques revêtent donc un poids particulier.
En avril de l’année dernière, il a appelé à « clarifier et consigner les noms de toutes les victimes du génocide arménien dans l’Empire ottoman », ravivant ainsi un narratif historiquement controversé, souvent utilisé comme instrument de pression politique et de révisionnisme. Cette position contraste fortement avec son image de partisan de la normalisation des relations arméno-turques et de l’ouverture de la frontière terrestre. La question se pose alors : un véritable processus de réconciliation est-il possible tout en promouvant des récits historiquement conflictuels ?
Ses propos à l’égard de l’Azerbaïdjan sont tout aussi révélateurs. Dans une interview accordée l’an dernier au service arménien de Radio Free Europe/Radio Liberty, Kotcharian a déclaré que Bakou devait, selon lui, prouver que « la paix domine ses objectifs » avant que le ministre arménien des Affaires étrangères ne participe à la COP29. Une telle affirmation, laissant entendre que l’Azerbaïdjan aurait des comptes à rendre en matière de paix, apparaît non seulement provocatrice, mais également déconnectée des réalités du conflit passé.
Ces déclarations illustrent le profil d’un représentant typique d’une partie de l’élite politique arménienne : un discours officiel favorable à la paix, mais une vision intérieure encore prisonnière de mythes anciens et de réflexes revanchards.
Sasun Mikaelyan et l’héritage controversé de « Yerkrapa »
L’inclusion de Sasun Mikaelyan sur la liste électorale suscite une polémique encore plus vive. Député en exercice et dirigeant de l’organisation « Yerkrapa », il est associé à une structure créée au début des années 1990 par des vétérans de la guerre contre l’Azerbaïdjan, longtemps perçue comme une force paramilitaire influente.
Après l’assassinat de Vazgen Sargsyan en 1999, « Yerkrapa » a été dirigée par Manvel Grigoryan, figure tristement célèbre en Arménie, symbole de corruption et de dérives morales graves. L’organisation a ainsi hérité d’une réputation lourde, marquée par des pratiques incompatibles avec les valeurs démocratiques contemporaines.
Sasun Mikaelyan lui-même, vétéran de la première guerre du Karabakh, a à plusieurs reprises tenu des propos agressifs. En 2023, il affirmait encore que « Choucha devait être libérée non par des mots, mais par des actes », une déclaration intervenue pourtant après la fin de la deuxième guerre du Karabagh, à un moment où la région entrait déjà dans une phase de règlement post-conflit.
Une paix déclarée, mais pas pleinement assumée
Depuis, la situation régionale a profondément évolué. L’Azerbaïdjan a restauré son intégrité territoriale et son contrôle souverain, tandis que le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a reconnu publiquement les nouvelles réalités et exprimé à plusieurs reprises la nécessité de conclure rapidement un accord de paix.
Pourtant, les décisions actuelles du parti au pouvoir montrent que les courants radicaux et revanchards demeurent influents au sein de l’élite dirigeante. L’intégration d’Andranik Kotcharian et de Sasun Mikaelyan dans la liste électorale de « Contrat civil » n’est ni fortuite ni purement technique. Elle révèle une contradiction profonde : il est plus facile de parler de paix que de renoncer réellement à une idéologie de confrontation.
Ainsi, entre les déclarations officielles et les choix politiques concrets, l’écart reste manifeste, jetant une ombre sur la sincérité et la cohérence du discours pacifique affiché par Erevan.