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NI LES ÉTATS-UNIS NI LA CHINE : UN ACTEUR INATTENDU EST APPARU EN ASIE CENTRALE

24 Décembre 2025 12:30 (UTC+01:00)
NI LES ÉTATS-UNIS NI LA CHINE : UN ACTEUR INATTENDU EST APPARU EN ASIE CENTRALE
NI LES ÉTATS-UNIS NI LA CHINE : UN ACTEUR INATTENDU EST APPARU EN ASIE CENTRALE

Paris / La Gazette

Le format « Asie centrale – Japon » n’est pas nouveau et n’a jamais été purement formel. Il a plutôt privilégié la discrétion, opérant au niveau de réunions et de discussions interinstitutionnelles, ainsi que d’une activité économique mesurée, depuis 2004 (notamment au Kazakhstan). En revanche, il n’y avait ni sommets très médiatisés, ni démonstrations de force, ni campagnes de communication du type de celles auxquelles se livrent les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et, dans une certaine mesure, la Chine pour affirmer leur présence et leur influence en Asie centrale.

À Tokyo, on s’était préparé à organiser un sommet l’an dernier comme l’année précédente, mais cela n’a pas eu lieu pour diverses raisons indépendantes de l’Asie centrale.

Finalement, le sommet « Asie centrale + Japon » s’est tenu à la fin de l’année en cours, sous la présidence de la « dame de fer du Pays du Soleil-Levant », la Première ministre Sanae Takaichi. Il est possible que Tokyo ait été « poussé » à organiser ce sommet par l’activisme croissant des acteurs extérieurs dans la région, lesquels multiplient les propositions d’investissement, les initiatives dans les grands projets de transport, d’énergie et de matières premières, tout en organisant — parfois en concurrence — des sommets : rien que cette année, « Asie centrale + UE », « Asie centrale + Chine », « Asie centrale + Russie » et « Asie centrale + États-Unis ».

Autrement dit, le Japon a décidé de « se hâter sans se presser », afin de réserver officiellement et au plus haut niveau sa propre niche dans une région dont l’importance géopolitique et géostratégique croît rapidement, et qui dispose en outre d’une immense base de ressources naturelles et de vastes capacités de transport et de logistique, en tant que lien entre l’Est et l’Ouest. Dans le contexte actuel - et plus encore au cours des cinq dernières années - de turbulences mondiales et de désordre international, Tokyo a fait un choix pragmatique : l’Asie centrale est un partenaire riche, prometteur, relativement équilibré et politiquement neutre. De plus, il s’agit d’un marché de consommation loin d’être négligeable.

De son côté, la région - du moins à en juger par les apparences - peut également espérer développer des relations avec le Japon à des conditions avantageuses, sans crainte particulière de politisation ou de pression idéologique de la part de ce partenaire, tout en introduisant un facteur d’équilibre supplémentaire parmi les acteurs extérieurs concurrents pour l’influence en Asie centrale.

Examinons brièvement les intérêts pratiques du Japon en Asie centrale. Premièrement, la région est riche en éléments de terres rares, d’une importance cruciale pour l’industrie japonaise de haute technologie. Tant que la base de ressources de l’Asie centrale n’est pas encore totalement convoitée, il est essentiel d’y garantir un accès non conflictuel - y compris vis-à-vis des autres prétendants à l’influence régionale (il n’est pas exclu que Tokyo soit arrivé un peu tard) - afin de réduire la dépendance à l’égard des fournisseurs traditionnels de matières premières.

Deuxièmement, la valeur de transit de la région. Il s’agit notamment du Corridor médian, grâce auquel le Japon obtient un accès certes indirect, mais relativement direct, à l’uranium, aux métaux rares et aux matériaux nécessaires au développement et à la promotion des hautes technologies. Dans ce contexte, Tokyo peut se tailler sa propre niche dans l’exploration de nouveaux gisements, l’extraction et la transformation des matières premières. Par ailleurs, compte tenu du développement avancé des systèmes de transport « intelligents » (à grande vitesse), le Japon semble également trouver naturellement sa place dans ce corridor.

Troisièmement, la région est attractive pour la localisation de productions japonaises et l’élargissement des marchés d’exportation. Aujourd’hui, le volume des échanges commerciaux entre le Japon et les pays d’Asie centrale - dont la population dépasse 80 millions d’habitants - s’élève à environ 35 milliards de dollars : c’est plus qu’avec les États-Unis, mais nettement moins qu’avec la Chine (95 milliards de dollars), avec laquelle il est difficile de rivaliser.

Cependant, le sommet a mis en évidence des « accents » marqués en faveur du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, ce qui mérite d’être souligné. La Première ministre Sanae Takaichi, dans son discours au sommet « Asie centrale + Japon », a qualifié l’Asie centrale de région à l’importance géopolitique et économique croissante, notamment en tant que trait d’union entre l’Europe et l’Asie. Elle a insisté sur ses ressources énergétiques et minérales ainsi que sur ses taux élevés de croissance économique. Elle a également défini les domaines prioritaires de coopération dans le cadre du format « Asie centrale + Japon » : technologies, énergie, transports, climat et capital humain.

Tous ces axes figurent dans la déclaration finale du sommet, soutenue par l’intention annoncée de Tokyo de mettre en œuvre en Asie centrale, au cours des cinq prochaines années, des projets économiques pour un montant avoisinant 18 milliards d’euros.

Il convient ici de revenir sur les « accents » kazakh et ouzbek. Les principaux partenaires économiques du Japon en Asie centrale sont précisément Astana et Tachkent. Le plus grand volume d’investissements japonais dans la région concerne le Kazakhstan, avec 8,5 milliards de dollars. Lors du sommet, il a été décidé d’y investir près de 4 milliards de dollars supplémentaires dans divers secteurs.

On compte actuellement au Kazakhstan environ 70 entreprises à capitaux japonais, actives notamment dans le secteur pétrolier, l’extraction de l’uranium et l’industrie automobile. Toutefois, l’intérêt particulier de Tokyo semble également se porter sur l’extraction et la transformation des terres rares, également convoitées par les États-Unis, l’Union européenne et la Chine.

Quant à l’Ouzbékistan, le Japon est devenu ces dernières années l’un de ses partenaires économiques et technologiques. Bien que le volume des échanges bilatéraux reste modeste (388,6 millions de dollars l’an dernier), il a été multiplié par 2,5 au cours des sept dernières années. Le volume des investissements directs japonais demeure également limité, mais 121 entreprises à participation japonaise opèrent dans le pays et 29 coentreprises y ont été créées. Les investissements japonais sont principalement orientés vers la modernisation du secteur énergétique, de l’industrie chimique et des systèmes d’approvisionnement en eau. Des entreprises telles que Mitsubishi, Marubeni, Itochu et Sumitomo y sont actives.

Le fait que plus de quarante grandes entreprises et banques japonaises aient participé à Tokyo à la rencontre avec le président ouzbek Chavkat Mirzioïev montre que Tokyo a porté un regard nouveau sur Tachkent - et réciproquement. Le président ouzbek a déclaré que l’intérêt de son pays pour le Japon repose sur un partenariat d’investissement et technologique durable et approfondi, et a avancé plusieurs initiatives clés. Parmi elles : la création d’un Fonds d’investissement pour le développement des infrastructures et de l’industrie en Asie centrale, le lancement d’un programme d’« infrastructures de qualité » selon les standards japonais, ainsi que la mise en place d’un réseau de technoparcs japonais dans les pays de la région, en tenant compte de leur spécialisation industrielle et en ressources.

Un autre point important concerne la création d’un hub numérique « Asie centrale – Japon » (coopération dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la robotique et de la cybersécurité), ainsi que l’élaboration d’une Stratégie de coopération « Asie centrale – Japon 2040 », avec des programmes concrets d’intégration de la région dans les processus économiques mondiaux.

Le Japon a répondu à ces propositions non pas par une pression idéologique, mais par des projets concrets et pragmatiques : avec les cinq États de la région, il a signé plus de 100 accords de coopération public-privé, notamment dans les domaines des ressources naturelles et des technologies numériques.

Selon les informations disponibles, aucun discours politique pesant ou récurrent n’a accompagné ces initiatives, ce qui distingue favorablement Tokyo de certains autres acteurs cherchant à accroître leur influence en Asie centrale.

En résumé, sans tapage inutile, mais dans un contexte de concurrence inévitable avec d’autres puissances (à noter que la Corée du Sud prévoit également un sommet avec l’Asie centrale l’an prochain), le « Pays du Soleil-Levant » a discrètement consolidé sa présence dans la région. Il a contribué au renforcement de la politique multivectorielle de l’Asie centrale - un facteur crucial tant sur le plan politique qu’économique et financier - conformément aux objectifs énoncés dans la déclaration finale du sommet : création de chaînes d’approvisionnement durables, transition énergétique, accès aux ressources critiques et développement du capital humain.

Le tout, sans agitation excessive, sans slogans tapageurs et avec une extrême courtoisie - conformément à la sagesse japonaise selon laquelle « l’excès de politesse est une forme d’ignorance ».

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