L’UNION EUROPEENNE INTENSIFIE SA PRESENCE EN ARMENIE A L'APPROCHE DES ELECTIONS LEGISLATIVES
Paris / La Gazette
À la lumière d’événements politiques majeurs pour l’Arménie, l’Union européenne entend sérieusement prendre sous son contrôle direct les élections législatives prévues pour juin 2026
C’est en ce sens que s'est exprimée devant les journalistes Kaja Kallas, avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles, en sa qualité de haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
« Les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union européenne discuteront aujourd’hui de l’Arménie. Des élections auront lieu en Arménie l’année prochaine. Aujourd’hui, nous examinerons comment nous pourrons aider l’Arménie sur cette question. L’Arménie nous a demandé de l’aide pour prévenir toute ingérence extérieure », a-t-elle déclaré.
Il n’est nul besoin de lire dans le marc de café pour comprendre de qui, ou plutôt de quel pays, parlait cette haute diplomate européenne, d’autant plus qu’elle avait auparavant affirmé qu’à l’approche des élections législatives arméniennes de 2026, la Russie avait intensifié ses campagnes de désinformation. Il apparaît clairement que, sur cette question, les positions d’Erevan et de Bruxelles coïncident vis-à-vis de Moscou, ce qui transforme théoriquement la République d’Arménie en un nouveau théâtre de confrontation géopolitique. À noter que le chef de la diplomatie arménienne, Ararat Mirzoyan, a également participé à la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE et qu’au début du mois de décembre, dans le cadre d’une visite de travail à Bruxelles, il a discuté avec Mme Kallas de l’approfondissement du partenariat Arménie–UE, y compris de l’élaboration d’un nouvel agenda régional.
Cependant, malgré cette trajectoire de rapprochement étroit avec l’Occident, la partie arménienne évite les déclarations directes concernant les menaces émanant de la Russie en lien avec les événements politiques à venir dans le pays. Ainsi, lors d’une conférence de presse à Bruxelles le 2 décembre, contrairement à Mme Kallas qui a ouvertement accusé la Russie de mener des attaques hybrides, M. Mirzoyan s’est abstenu de toute critique directe à l’égard du Kremlin, se limitant à des formulations diplomatiques sur l’importance de la coopération avec l’UE pour contrer de telles menaces et renforcer les institutions. Cette retenue s’explique peut-être par la volonté des autorités arméniennes de ne pas aggraver des relations déjà complexes avec la Russie, ainsi que par des considérations économiques, notamment le maintien de la participation de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique (UEEA).
Cela n’empêche nullement le gouvernement arménien de parler parallèlement de ses projets d’adhésion à l’Union européenne. Ainsi, récemment, le Premier ministre Nikol Pachinian a confirmé que « la sortie de l’Arménie de l’UEEA n’est pas une fin en soi, mais l’adhésion à l’Union européenne l’est ».
« D’un côté, la sortie de l’Arménie de l’UEEA n’est pas une fin en soi, mais de l’autre, l’adhésion de l’Arménie à l’UE est une fin en soi. Nous comprenons qu’il est impossible d’être membre à la fois de l’UE et de l’Union économique eurasiatique. Nous comprenons qu’il y a un moment où une décision devra être prise. Mais nous n’en sommes pas encore à ce point, c’est-à-dire qu’il n’y a actuellement aucune nécessité de prendre une telle décision », a-t-il déclaré, manifestement à l’attention de Moscou.
En outre, le dirigeant arménien a présenté la position d’Erevan concernant l’adoption d’une loi sur le lancement du processus d’adhésion à l’UE comme un stimulant supplémentaire pour la mise en œuvre de réformes et l’alignement de tous les secteurs du pays sur les normes européennes. Il a toutefois souligné que l’Arménie ne développe pas ses relations avec l’UE au détriment de la Russie et de l’UEEA.
Nous estimons que cette déclaration de M. Pachinian n’est rien d’autre qu’une réponse aux propos du vice-Premier ministre russe Alexeï Overchouk, selon lesquels la Russie considère les actions d’Erevan comme le début du processus de sortie de l’Arménie de l’UEEA.
En d’autres termes, malgré les déclarations de Bruxelles et la pression de Moscou, la politique arménienne consistant à « s’asseoir sur deux chaises » demeure inchangée. Dès lors, une question légitime se pose : les autorités arméniennes seront-elles en mesure de maintenir un équilibre dans leurs relations avec la Russie face au contrôle strict exercé par Bruxelles sur le processus des élections législatives à venir ? D’autant plus que l’Union européenne a, pour ainsi dire, montré sa disposition à financer la protection de l’espace informationnel arménien avant les élections, comme cela a déjà été le cas en Moldavie.
Rappelons qu’en octobre de l’année dernière, la Commission européenne a adopté un Plan de croissance pour la République de Moldavie d’un montant de 1,8 milliard d’euros, soutenu par un Fonds de réformes et de croissance pour la période 2025–2027. Il s’agit du plus important paquet d’aide financière de l’UE depuis l’indépendance du pays, visant à stimuler la croissance de l’économie moldave. Ce document rapproche également la Moldavie de l’adhésion à l’UE en accélérant les réformes.
À cette occasion, l’ancien vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell, avait déclaré : « Le nouveau Plan de croissance pour la Moldavie est un nouvel exemple du soutien de l’UE pour garantir la sécurité, la paix et la prospérité du pays. Il renforcera l’économie moldave et créera des opportunités pour tous les citoyens moldaves. Ce plan est une reconnaissance des résultats impressionnants déjà obtenus par la Moldavie sur sa voie vers l’UE. Il favorisera de nouveaux progrès dans la mise en œuvre de réformes fondamentales et socio-économiques. L’avenir de la Moldavie est dans l’Union européenne. »
S’agissant de l’Arménie, après la signature à Bruxelles de l’agenda de partenariat stratégique, Kaja Kallas a annoncé l’octroi à ce pays d’un paquet d’aide de 15 millions d’euros destiné au maintien de la paix et au renforcement de la résilience. En outre, la commissaire européenne à l’élargissement, Marta Kos, a annoncé une aide supplémentaire de 5 millions d’euros. Un autre paquet de 12 millions d’euros a également été annoncé, destiné à lutter contre les cybermenaces et les manipulations étrangères de l’information, connues dans la terminologie de l’UE sous l’acronyme FIMI.
Toutefois, en établissant des parallèles entre la Moldavie et l’Arménie, il convient de garder à l’esprit une nuance importante : la politique d’Erevan diffère fondamentalement de celle de Chișinău, principalement en raison de l’absence d’une orientation clairement définie quant à son futur cap de politique étrangère. La Moldavie a depuis longtemps et sans ambiguïté fait le choix de l’intégration européenne, tandis que l’Arménie oscille entre l’Occident et la Russie, ce qui réduit considérablement la probabilité de son adhésion à l’UE, du moins dans les prochaines années.
D’un autre côté, l’intention de l’Union européenne de contrer les menaces extérieures lors des prochaines élections législatives en Arménie suggère que cette initiative est avant tout dictée par les intérêts propres de Bruxelles dans le Caucase du Sud, traditionnellement considéré comme une zone d’influence russe. Il en découle la conclusion suivante : afin de s’implanter plus profondément en Arménie et de renforcer ainsi ses positions dans la région, l’Union européenne fera tout son possible pour protéger au maximum l’espace informationnel arménien de la « trace russe », avec toutes les conséquences que cela implique.