LA GEORGIE JOUE CONTRE LE RESTE DE LA REGION: TBILISSI MET LA PATIENCE DE BAKOU A RUDE EPREUVE
Paris / La Gazette
Ces derniers mois, un inquiétant changement de dynamique s’est opéré dans les relations entre Bakou et Tbilissi. Il ne s’agit plus de simples dysfonctionnements bureaucratiques, mais d’une succession de décisions qui laissent entrevoir une évolution profonde dans la logique politique de la Géorgie.
Comme l’a déjà souligné Minval Politika, la situation demeure tendue à la frontière géorgienne : depuis septembre, les chauffeurs azéris subissent des retards systématiques. Certaines cargaisons restent bloquées des mois entiers en douane, tandis que les autorités du pays voisin ne montrent ni volonté politique ni capacité administrative pour résoudre le problème. Symptomatique : à défaut d’efficacité, seules des assurances de façade sont servies.
Dans ce contexte, le nouveau pas franchi par Tbilissi surprend d’autant plus qu’il intervient au moment même où se discutent les contours de l’architecture régionale des transports. Le 28 novembre, Gabala a accueilli la 12ᵉ réunion des commissions conjointes chargées de la délimitation de la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, sous la présidence des vice-premiers ministres Chahin Moustafaïev et Mher Grigorian. Outre les aspects techniques, les deux parties ont abordé leurs perspectives de coopération économique.
Selon les informations recueillies par Minval Politika, l’un des sujets évoqués concernait l’exportation potentielle de pétrole et de produits pétroliers azéris vers l’Arménie – un projet capable de générer des bénéfices économiques pour Bakou et Erevan, tout en consolidant un espace régional de développement pacifique. Mais l’absence de liaison ferroviaire directe rend indispensable un passage par la Géorgie. C’est pourquoi Bakou a demandé à Tbilissi de lui communiquer le tarif pour le tronçon Gardabani–Sadakhlo.
La réponse géorgienne a fait office de révélateur – non seulement sur le plan commercial, mais aussi politique. D’après nos sources, Tbilissi a fixé un tarif de 92 dollars par tonne pour un trajet de 111 km, soit 0,82 dollar par tonne et par kilomètre. Un chiffre qui pourrait sembler anodin… jusqu’à ce qu’on le compare aux tarifs habituels.
À titre de comparaison, sur le territoire azéri, des cargaisons similaires parcourent 680 km – de Yalama à Böyük Käsik – pour 17 dollars, soit 0,02 dollar par tonne et par kilomètre, c’est-à-dire 40 fois moins que la proposition géorgienne. Une telle différence ne relèverait pas du marché, mais d’une intention.
Même au sein de la Géorgie, des cargaisons analogues sont acheminées vers les ports de Batoumi, Poti et Kulevi pour 17 dollars sur une distance de 360 à 396 km, soit 0,04 à 0,05 dollar par kilomètre. Autrement dit, lorsque le transit est avantageux pour Tbilissi, le tarif appliqué est vingt fois inférieur à celui imposé pour une liaison vers l’Arménie. Ici, la logique économique s’efface clairement devant un signal politique.
Cette attitude ne peut que susciter l’incompréhension. Le pays qui, à des moments critiques de son histoire récente, s’est appuyé sur le soutien de l’Azerbaïdjan, adopte aujourd’hui un comportement contraire à ses propres intérêts à long terme. Non seulement elle sape la confiance d’un partenaire stratégique, mais elle ignore le fait que la position logistique dominante de la Géorgie n’est plus sans alternative. Les projets de connectivité régionale avancent, et tenter de conserver l’ancienne architecture par la contrainte ne fait qu’en accélérer l’érosion.
La Géorgie s’oppose de fait à l’émergence d’une architecture régionale stable, fondée sur la paix et les échanges mutuellement bénéfiques. Alors que le Caucase du Sud dispose enfin d’une chance historique de passer d’une logique de confrontation à une logique de développement, le comportement de Tbilissi apparaît comme une tentative de freiner cette transition. Difficile de qualifier autrement une politique qui affaiblit non seulement la dynamique régionale, mais témoigne aussi d’une réticence à participer à la construction d’un espace de prospérité partagée.
Tbilissi doit comprendre qu’une politique de barrières injustifiées appelle inévitablement des mesures en retour. Un pays dont l’économie a longtemps été soutenue par les investissements constants de Bakou ne peut se permettre d’ignorer les intérêts de l’Azerbaïdjan. La responsabilité est un critère essentiel de maturité étatique, et la Géorgie est aujourd’hui mise à l’épreuve.
L’histoire récente de nos relations est d’autant plus éloquente. Au plus fort des tensions entre Tbilissi et Moscou, Bakou n’a jamais exploité la vulnérabilité géorgienne pour exercer une pression ou imposer des tarifs excessifs, alors même que la Géorgie, en pleine crise, aurait pu accepter presque n’importe quelle condition. L’Azerbaïdjan a choisi la voie du partenariat, non celle de l’opportunisme.
Dès lors, une question s’impose : comment Tbilissi répondra-t-il à la situation actuelle ? Se réfugiera-t-il dans le silence tout en poursuivant une politique de coulisses, ou fera-t-il preuve de maturité politique en reconnaissant ouvertement le problème pour s’engager sur la voie de la coopération plutôt que de la confrontation ?