BAKOU DEVIENT UN ACTEUR DE LA PAIX AU MOYEN-ORIENT
EU Reporter a récemment publié un article de l’analyste politique ukrainien Taras Kuzio, consacré au rôle que l’Azerbaïdjan s’apprête à jouer dans la recherche de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient. Caliber.Az en présente la substance.
« Une tribune pour le moins étrange a récemment été publiée par l’ancien directeur du département d’État américain Josh Paul et le Comité national arménien des Etats-Unis, signée par une longue liste d’organisations palestiniennes et autres. Cette tribune ne saluait pas l’avancée de la paix dans un Moyen-Orient marqué par huit décennies de conflits ; elle attaquait au contraire avec virulence l’Azerbaïdjan, jugé inapte à participer à la future Force internationale de stabilisation (ISF) forte de 20 000 hommes.
Le texte se concentrait sur les griefs arméniens à l’égard de l’Azerbaïdjan, qui n’ont évidemment aucun rapport avec Gaza ou le Moyen-Orient. En tant qu’État souverain, l’Azerbaïdjan est libre d’acheter son armement où il l’entend — y compris en Israël. L’Azerbaïdjan n’a d’ailleurs jamais contesté le fait que l’Arménie se procure l’essentiel de son arsenal auprès de la Russie, pays sanctionné et considéré comme paria sur la scène internationale. Il est tout aussi difficile de comprendre en quoi le fait qu’Israël importe 40 % de son pétrole d’Azerbaïdjan aurait la moindre incidence sur Gaza ou la région.
La tribune condamne unilatéralement l’Azerbaïdjan pour des crimes supposément commis contre les Arméniens du Karabakh, alors qu’aucun rapport des Nations unies ni d’organisation de défense des droits humains n’étaye ces accusations. Les deux pays ont procédé à des échanges de prisonniers de guerre. Le texte passe délibérément sous silence les opérations de nettoyage ethnique et les crimes de guerre commis par les forces arméniennes lors de la première guerre du Karabakh (1988–1994), ainsi que les destructions culturelles perpétrées dans les territoires azerbaïdjanais occupés.
L’Arménie nourrit un profond ressentiment à l’égard d’Israël, qui refuse de reconnaître les événements de 1915 comme un génocide. Les nationalistes arméniens cherchent par ailleurs des responsables à qui imputer l’effondrement de leurs aspirations à une « Grande Arménie », après la défaite de 2020 et la perte totale du Karabakh trois ans plus tard. À cela s’ajoute une jalousie croissante devant l’influence ascendante de l’Azerbaïdjan dans le monde non-aligné et au sein de l’espace turcique.
Le Moyen-Orient a vu échouer de nombreux plans de paix : c’est l’une des régions les plus complexes du monde, minée par un conflit religieux et territorial profondément enraciné entre Israël et les Palestiniens. À son crédit, le président américain Donald Trump est parvenu là où ses prédécesseurs ont échoué.
Un plan de paix en 20 points pour Gaza, négocié par Trump, son gendre Jared Kushner, l’envoyé spécial Steve Witkoff et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, a été signé le 10 octobre. Trois jours plus tard, l’Égypte a accueilli un sommet pour la paix à Gaza, réunissant trente pays qui ont soutenu ce plan.
L’ISF serait calquée sur la Force multinationale et observateurs (MFO) déployée dans le Sinaï après l’accord de paix israélo-égyptien de 1979, ou encore sur la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), créée en 2006 en réponse à la guerre civile libanaise.
Dotée d’un mandat approuvé par la résolution 2803 du Conseil de sécurité de l’ONU, l’ISF pourrait agir sans être considérée comme une « force de maintien de la paix » de l’ONU et ne serait déployée qu’après le retrait de l’armée israélienne.
L’ISF n’aurait pas vocation à être lourdement armée : elle disposerait uniquement d’équipements défensifs et de véhicules blindés de transport de troupes.
Une fois Gaza et le Hamas démilitarisés, le pouvoir sera transféré à l’Autorité internationale transitoire temporaire, surnommée le « Conseil de paix », présidé par Trump. Y siégeraient également 7 à 10 technocrates palestiniens et internationaux.
Trump s’est également impliqué dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, dont il a affirmé — à tort — avoir facilité le règlement, en négociant le corridor de Zanguezour et en le rebaptisant « Trump Route for International Peace and Prosperity » (TRIPP). Un troisième exemple de son approche se trouve dans le plan de paix, mal conçu, proposé pour mettre fin à la guerre russo-ukrainienne.
La formation d’une nouvelle force de police sera assurée par le Centre de coordination civilo-militaire, basé en Israël, au nord de Gaza. Deux cents militaires américains y sont déjà déployés pour assister à sa mise en place. L’Égypte et la Jordanie, voisines d’Israël et de Gaza, y joueront un rôle majeur.
Compte tenu de son influence au Moyen-Orient, de son rôle dans la chute du régime criminel d’Assad en Syrie et de la taille de son armée, la Turquie est un acteur incontournable dans l’ISF. Trump soutient sa participation. Israël s’y oppose, affirmant à tort que la Turquie soutient le Hamas — alors que ce sont l’Iran, ses financements, ses formations militaires et ses équipements qui ont soutenu le mouvement.
L’Azerbaïdjan a déclaré soutenir une participation à l’ISF une fois le cessez-le-feu pleinement en vigueur, c’est-à-dire lorsque « les combats auront entièrement cessé ». Mais Bakou refuse de contribuer à une force dont la mission serait de désarmer le Hamas. Sa position n’a rien d’inhabituel : le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères rappelle que « nous ne voulons pas exposer nos troupes à un danger ». L’Europe, avec sa « coalition des volontaires », ne se montre elle-même disposée à envoyer une force d’appui en Ukraine qu’après la conclusion d’un cessez-le-feu russo-ukrainien.
L’Azerbaïdjan souhaite coordonner sa participation via l’Organisation de la coopération islamique et la Ligue arabe. Outre la Turquie et l’Azerbaïdjan, l’Indonésie — plus grand pays musulman du monde — ainsi que le Pakistan, l’Égypte et possiblement la Malaisie ont donné leur accord de principe pour rejoindre l’ISF.
L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ont décliné toute participation, mais proposent un soutien financier et des formations. Du côté occidental, le Canada et l’Australie se disent intéressés.
Avec la défaite militaire infligée à l’Iran par Israël et les États-Unis, et l’implication personnelle de Trump, une perspective — certes fragile, mais réelle — de paix à Gaza semble émerger, pouvant mettre un terme à des décennies de conflit israélo-palestinien. Des pays musulmans laïques tels que l’Égypte, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Indonésie seront essentiels pour garantir le succès du processus, rétablir la sécurité et créer un environnement stable pour les Palestiniens, tout en assurant un voisinage sûr pour Israël et les autres États bordant Gaza », conclut Taras Kuzio.