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L'UE RETARDE LE DIALOGUE AVEC L'AZERBAIDJAN SUR LE CORRIDOR DE ZANGUEZOUR -AVIS D'EXPERTS

3 Décembre 2025 11:06 (UTC+01:00)
L'UE RETARDE LE DIALOGUE AVEC L'AZERBAIDJAN SUR LE CORRIDOR DE ZANGUEZOUR -AVIS D'EXPERTS
L'UE RETARDE LE DIALOGUE AVEC L'AZERBAIDJAN SUR LE CORRIDOR DE ZANGUEZOUR -AVIS D'EXPERTS

Le corridor de Zanguezour aura un impact transformateur sur le paysage du transport eurasiatique. C’est ce qu’a déclaré Hikmet Hajiyev, assistant du président de l’Azerbaïdjan et chef du département des affaires politiques extérieures de l’administration présidentielle, dans une interview accordée à EU Today.

Hajiyev a souligné que l’Azerbaïdjan joue un rôle clé dans ce processus et que Bakou « souhaite également voir l’Union européenne prendre part à cette nouvelle configuration de transport », y compris dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway. Il présente ce corridor comme un élément concret de la « stratégie de victoire dans la paix » menée par Bakou.

L’appel adressé par l’Azerbaïdjan à l’UE au sujet du corridor de Zanguezour n’a rien d’anodin : l’Union européenne n’a toujours pas clairement défini sa position quant à une éventuelle participation au développement de ce corridor et n’a entamé aucune négociation avec Bakou sur ce point — alors même qu’elle recherche activement une coopération avec les États d’Asie centrale, notamment autour du développement du « corridor médian », aspect régulièrement mis en avant dans les rapports européens.

De plus en plus, l’impression domine que l’UE ralentit presque délibérément son dialogue avec l’Azerbaïdjan sur le corridor de Zanguezour, feignant de ne s’intéresser qu’à la ligne Bakou–Tbilissi–Kars ou sous-estimant clairement la nature multifonctionnelle du projet. Dans une stratégie logistique, aucun corridor n’est « superflu » : l’avantage revient à ceux qui jouent sur tous les fronts. C’est précisément ce que font les États-Unis : principaux bénéficiaires du segment TRIPP, Washington renforce désormais aussi ses liens avec Tbilissi.

Ainsi, l’UE semble agir contre ses propres intérêts. En différant le dialogue avec Bakou, Bruxelles se prive de marges de manœuvre et de la possibilité d’obtenir un accord plus favorable tant qu’il en est encore temps — tant que, dit-on, « les trams circulent encore ».

Que pensent les experts et analystes de cette situation ? Des politologues azerbaïdjanais et russes ont partagé leurs analyses avec Caliber.Az.

« Un défi stratégique plus large » – Professeur Namig Aliyev

Le docteur en droit et ambassadeur extraordinaire Namig Aliyev, chef du département des relations internationales et de la politique étrangère à l’Académie d’administration publique auprès du président de la République d’Azerbaïdjan, estime que la déclaration d’Hikmet Hajiyev reflète l’orientation stratégique actuelle de Bakou et renvoie à un enjeu bien plus vaste qu’une simple proposition adressée à l’UE.

« Le corridor de Zanguezour, tout comme son segment arménien TRIPP (Trump Route for International Peace and Prosperity), est une nouvelle voie de transport destinée à relier l’Azerbaïdjan continental au Nakhitchevan en traversant le territoire arménien. Le projet inclut lignes ferroviaires et routières, ainsi que des infrastructures de communication, d’énergie et de logistique. Pour l’Azerbaïdjan, la route Zanguezour/TRIPP n’est pas seulement un projet ; c’est un maillon d’un vaste système de transport et de logistique renforçant son potentiel d’exportation, de transit et de développement économique.

Dans ce contexte, Hikmet Hajiyev invite l’UE à “rejoindre” l’architecture du corridor Zanguezour/TRIPP — autrement dit, il propose à Bruxelles un rôle de partenaire actif dans l’exploitation et le développement du corridor, et non celui d’un simple observateur. Cela s’inscrit particulièrement dans l’initiative Global Gateway, par laquelle l’Union finance des projets d’infrastructures, notamment dans le Caucase du Sud.

Pour Bakou, la participation de l’UE vise à intégrer le projet — baptisé du nom du président américain Donald Trump le 8 août — au réseau logistique européen, à réduire les risques inhérents à sa dimension transrégionale, à attirer des investissements et à renforcer sa stature internationale. Bakou affirme ainsi que ce corridor n’est pas seulement un intérêt national : il sert aussi les États-Unis, l’Union européenne et l’Asie centrale », souligne Aliyev.

Interrogé sur les raisons de l’importance de ce projet pour l’Europe et de la lenteur de sa réaction, Aliyev détaille plusieurs avantages potentiels pour l’UE :

Intégration logique dans la carte des transports européens, renforçant les liens entre l’Europe, la Caspienne, le Caucase du Sud et l’Asie centrale.

Contribution conforme aux engagements de Global Gateway en matière d’infrastructures durables, de transport, de connectivité numérique et énergétique.

Réduction de la dépendance aux routes passant par la Russie ou l’Iran, compte tenu des tensions géopolitiques, ce qui permettrait de diversifier les chaînes d’approvisionnement depuis l’Asie et la région caspienne.

« La participation européenne renforcerait la résilience politique et économique du concept, le faisant passer d’un projet régional à une véritable artère de transport internationale. Pourtant, malgré l’offre de Bakou, la position européenne reste prudente. À mon sens, plusieurs raisons l’expliquent.

Le segment arménien du corridor a déjà été placé sous patronage américain : TRIPP a été présenté comme une initiative des États-Unis et confié à une entreprise privée via un bail de 99 ans. Cela soulève la question suivante : l’Union européenne peut-elle être un partenaire à égalité avec les États-Unis si la route échappe formellement à sa juridiction ?

L’UE doit arbitrer entre son désir de diversification et le risque de tensions avec des acteurs régionaux majeurs. Elle craint aussi qu’un engagement avant la finalisation des mécanismes de gouvernance n’entraîne des risques réputationnels ou juridiques », explique Aliyev.

Selon lui, les déclarations publiques et échanges récents montrent que Bruxelles n’écarte pas l’idée de coopérer, mais veut « davantage de clarté » quant au statut juridique, au format de gouvernance, aux mécanismes de contrôle et aux garanties de stabilité.

« Autrement dit, l’Europe perçoit le corridor comme prometteur, mais souhaite d’abord “comprendre le cadre” afin de garantir la conformité avec ses standards — transparence, respect des droits, stabilité, absence d’escalade militaire. Sa position n’est donc pas tant floue que prudente, reflétant un équilibre entre intérêts logistiques et fidélité à ses valeurs et priorités stratégiques », conclut Aliyev.

« Un corridor qui profite même aux ennemis jurés » – Svyatoslav Andrianov

Le politologue russe Svyatoslav Andrianov — directeur du Centre d’analyse politique et de sécurité de l’information, membre du Conseil allemand des relations internationales et président du Comité berlinois pour le partenariat stratégique en Eurasie — estime que l’ouverture du corridor de Zanguezour, combinée au chemin de fer Bakou–Tbilissi–Kars, profitera à tous les États d’Asie centrale et renforcera le rôle de l’Azerbaïdjan comme hub logistique mondial. Mais les grands acteurs poursuivent chacun leurs propres plans.

« Cela concerne d’abord la Turquie, l’Iran en coordination avec la Russie, et bien sûr l’UE, dont les contradictions avec Washington se sont nettement accentuées depuis l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. Tandis que ce dernier a activement œuvré à créer des capacités logistiques sous contrôle américain, Bruxelles retarde l’adoption d’une position claire, notamment en raison de divisions internes concernant l’Arménie. Et ce, malgré le fait que le Premier ministre arménien a signé en août une déclaration conjointe avec le président azerbaïdjanais et a répété à plusieurs reprises que le futur corridor profiterait non seulement au peuple arménien, mais aussi à l’Iran et à la Russie », rappelle Andrianov.

Il souligne que la situation débouche sur un paradoxe : au-delà de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et des pays d’Asie centrale, ce corridor bénéficierait également à leurs « ennemis jurés » — la Russie, l’Iran et les États-Unis.

« Cela peut-il réjouir Bruxelles ? L’Europe souhaite-t-elle réellement normaliser davantage les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? A-t-elle intérêt à voir Bakou renforcer son influence politique et économique dans le Caucase du Sud, ou la bureaucratie bruxelloise préférera-t-elle continuer à jouer des contradictions et des griefs anciens selon la logique du “diviser pour régner” ? Ce sont des questions rhétoriques, étrangères à toute rationalité économique.

Plus l’UE tarde à définir sa position sur Zanguezour, moins elle laisse de marge à ses propres intérêts — du moins si l’on raisonne en termes économiques, une logique que l’Union a souvent abandonnée ces dernières années au profit d’une “économie de conviction”, où l’idéologie prime sur les affaires, où l’on accepte des pertes de plusieurs milliards au nom de principes politiques.

La raison primera-t-elle cette fois à Bruxelles ? Nous le verrons dans les mois à venir. Pour ma part, j’en doute : l’UE s’est muée au cours de la dernière décennie en un ensemble profondément idéologisé, où toute tentative de placer le pragmatisme économique au-dessus de la doctrine politique est presque perçue comme une hérésie », conclut Andrianov.

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