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UN PARTENARIAT GAZIER RAPPROCHE: UNE GRANDE AMBITION POUR L'ASIE CENTRALE

10 Décembre 2025 01:24 (UTC+01:00)
UN PARTENARIAT GAZIER RAPPROCHE: UNE GRANDE AMBITION POUR L'ASIE CENTRALE
UN PARTENARIAT GAZIER RAPPROCHE: UNE GRANDE AMBITION POUR L'ASIE CENTRALE

Paris / La Gazette

L'initiative de créer un "anneau gazier" en Asie Centrale vise à unifier les systèmes nationaux de transport de gaz du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan, du Kirghizistan et du Tadjikistan en un réseau unique

Ce grand projet s’offre pour objectif de rendre la région capable d’équilibrer les livraisons saisonnières et de réduire les risques de crises énergétiques. Sa mise en œuvre, principalement par les États d’Asie centrale eux-mêmes, pourrait devenir pour eux un véritable tournant, non seulement en termes d’autosuffisance énergétique, mais aussi de sécurité énergétique et de renforcement de leur souveraineté politique.

Le projet, présenté récemment au forum international Central Asia Oil & Gas à Tachkent par l’expert kazakh Askar Ismaïlov, mérite l’attention non seulement pour ses avantages évidents, mais aussi parce qu’il est peu probable qu’il ait été rendu public sans un certain feu vert, au moins dans les couloirs du pouvoir kazakh. Dans le cas contraire, ce « tir médiatique » ne serait qu’à blanc — et ce serait regrettable. Voici pourquoi.

Précisons qu’il ne s’agit encore que d’une théorie, dont la concrétisation constituerait presque une révolution énergétique en Asie centrale. Le Turkménistan, premier pays gazier de la région, y gagnerait des débouchés stables. Il entame d’ailleurs la quatrième phase de développement du gigantesque champ gazier de Galkynysh. Les pays déficitaires — Kirghizstan, Tadjikistan, Kazakhstan — recevraient des volumes supplémentaires, et pas seulement en période de forte demande. L’intégration régionale s’en trouverait renforcée et les États d’Asie centrale ne dépendraient plus d’un seul fournisseur. Autrement dit, on parle ici de bâtir une nouvelle architecture de sécurité énergétique pour toute la région.

Mais avant d’y parvenir, les États devront résoudre une longue liste de questions, très sensibles financièrement.

Une infrastructure à unifier — et à reconstruire

Il faudra d’abord connecter les gazoducs du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan, du Turkménistan, du Kirghizstan et du Tadjikistan, et créer une infrastructure commune digne de ce nom. Aujourd’hui, elle est très fragmentée, alors même que les pays producteurs — Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan — disposent du potentiel pour exporter à l’intérieur de la région. Mais tous souffrent aussi de déficits : le Kazakhstan, par exemple, doit acheter du gaz pour honorer ses engagements vis-à-vis de la Chine.

D’où la nécessité d’augmenter la production, de moderniser les anciens pipelines et d’en construire de nouveaux, le tout sous une coordination politique rigoureuse. Reste à savoir si les États d’Asie centrale pourront rénover ensemble l’infrastructure (donc, investir), et mettre en place un système commun de distribution du gaz, sans négliger leurs intérêts exportateurs.

Kazakhstan : importateur malgré lui

Actuellement importateur, le Kazakhstan fait face à un marché intérieur en forte croissance et à des obligations d’export. Sans hausse rapide de la production, le déficit pourrait atteindre 10 milliards de m³ d’ici 2030, selon des experts. La baisse de production est aggravée par l’énorme volume de gaz associé réinjecté — près de 30 milliards de m³ par an. De plus, 70 % de l’infrastructure gazière, héritée de l’URSS, nécessite une modernisation lourde.

La présence incontournable de Moscou et Pékin

À cela s’ajoute un facteur externe : une grande partie de l’infrastructure gazière régionale est financée par la Chine, tandis que les déficits sont comblés par des importations russes — la Russie étant par ailleurs actionnaire de plusieurs projets. La question de « l’anneau » devra donc forcément être traitée, au moins en partie, avec Moscou et Pékin. Ils pourront aider… ou freiner le projet s’ils n’y voient aucun bénéfice.

Autrement, les États d’Asie centrale devront solliciter des investisseurs « lointains » — UE, États-Unis, pays du Golfe — ce qui reviendrait à appliquer l’adage « la peste ou le choléra » : dépendre des partenaires éloignés pourrait s’avérer plus risqué que de dépendre des puissances voisines.

Combien coûtera l’anneau gazier ?

La longueur envisagée varie entre 3 500 et 3 800 km (avec reconstruction d’infrastructures). Selon les experts, il faudra 5 à 6 milliards de dollars pour construire les nouveaux pipelines nécessaires.

Une somme qui, « en mettant en commun », n’a rien d’insurmontable pour les cinq États — surtout avec le Kazakhstan en chef de file. Et l’investissement serait rentable : si la production augmente, la région pourrait non seulement assurer ses besoins mais aussi devenir un hub gazier eurasiatique.

Une région riche en ressources… et très convoitée

L’Asie centrale reste un espace énergétique clé. Le Kazakhstan dispose d’environ 30 milliards de barils de réserves prouvées (12ᵉ mondial). Le Turkménistan, avec plus de 50 000 milliards de m³ de gaz, est la quatrième puissance gazière du monde. L’Ouzbékistan occupe la 14ᵉ place avec 1,8 billion de m³. Le Tadjikistan et le Kirghizstan, eux, possèdent un immense potentiel hydroélectrique encore très peu exploité.

Naturellement, la région attire les grandes puissances, ce qui nourrit une compétition féroce pour s’y ancrer.

L’Occident y a d’ailleurs pris une avance décisive dans les années 1990, lorsque les nouveaux États indépendants avaient un besoin pressant de capitaux. Chevron, ExxonMobil, Shell, TotalEnergies, BP, ENI — tous sont présents depuis des décennies au Kazakhstan, contrôlant environ 70 % de son secteur pétrolier. La Russie et la Chine sont loin derrière.

Mais côté gaz, la Chine domine

Le principal client du gaz turkmène reste la Chine, qui en importe 30 milliards de m³ par an via le gazoduc Asie centrale–Chine. Trois branches fonctionnent déjà ; une quatrième permettrait de porter les livraisons à 65 milliards de m³.

Pékin coexploite également le gisement géant de Galkynysh — près de 27 000 milliards de m³ avec les champs de Yashlar et Garakol — et investit dans d’autres projets comme celui de l’Amou-Daria. Il a dépassé depuis longtemps la Russie et l’Iran, jadis dominants dans le gaz turkmène.

Dès lors, le futur « anneau » est inévitablement lié à la Chine — bien plus qu’à la Russie — et porte autant une charge politique que financière.

Un précédent : l’« anneau électrique »

L’idée d’un « anneau gazier » n’a rien d’un caprice isolé. La région a déjà connu un « anneau électrique » durant l’ère soviétique (années 1960–1970), une structure intégrée permettant de compenser les fluctuations saisonnières. L’été, Tadjikistan et Kirghizstan exportaient leur surplus d’électricité ; l’hiver, ils stockaient l’eau et recevaient de l’énergie de leurs voisins.

Après la chute de l’URSS, le système s’est effondré, miné par l’absence de gestion centralisée, les divergences tarifaires et les tensions politiques. Plusieurs tentatives ont suivi, mais à ce jour, l’anneau ne fonctionne toujours pas pleinement. Les réseaux sont vieillissants, les pertes atteignent parfois 20 % (davantage en zones périphériques) et certaines républiques misent désormais sur des projets nucléaires — là encore avec la Chine et la Russie.

Le parallèle avec l’anneau gazier saute aux yeux : théoriquement réalisable, mais exigeant une volonté politique forte, des investissements massifs et une grande finesse dans la gestion des partenariats extérieurs, qui s’empresseront de se positionner dès les premières étapes du projet.

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