LA BBC MENTIRAIT-ELLE AUSSI ?
Paris / La Gazette
Le 1er décembre 2025, la BBC a publié une nouvelle « enquête » journalistique affirmant que les forces spéciales géorgiennes auraient utilisé des agents chimiques datant de la Première Guerre mondiale
Selon le récit proposé, ces armes auraient été employées pour disperser les manifestations à Tbilissi fin 2024. Le choc de cette nouvelle est amplifié par le fait qu'un mode de répression semblable était réputée avoir été utilisée par le pouvoir soviétique en 1989 pour mettre un terme aux revendications de nombreux Géorgiens à l'époque de la Perestroïka. Le parti au pouvoir actuellement, le Rêve géorgien, a aussitôt menacé la BBC de poursuites judiciaires. Dans une déclaration officielle, la formation politique a assuré qu’elle utiliserait « tous les moyens juridiques possibles afin que les médias diffusant des mensonges répondent de leurs accusations sales et fallacieuses ». Elle a qualifié la BBC « d’arme de propagande » du deep state et a rappelé le scandale provoqué par un précédent reportage de la BBC consacré à Donald Trump.
Tout récemment, le 9 novembre 2025, le directeur général de la BBC, Tim Davie, et la directrice de BBC News, Deborah Turness, avaient présenté leur démission à la suite d’un long conflit avec le président américain Donald Trump. Dans le documentaire Panorama diffusé quelques jours avant l’élection présidentielle américaine de novembre 2024, une partie du discours de Trump avait été montée de manière à laisser croire qu’il incitait directement à l’émeute du Capitole en janvier 2021. Beaucoup d’observateurs ont estimé que le reportage visait à empêcher Trump de revenir à la Maison-Blanche et qu’il répondait clairement à une « commande » d’opposants démocrates.
Le 13 novembre 2025, la BBC a officiellement présenté des excuses à Trump et annoncé qu’elle ne diffuserait plus la séquence incriminée. Tout en reconnaissant que le montage avait été regrettable, la corporation a toutefois contesté tout fondement à une plainte pour diffamation. Autrement dit, même après ces excuses publiques, le conflit entre Donald Trump et la BBC reste loin d’être réglé.
C’est dans ce contexte que, peu après la démission des responsables du documentaire anti-Trump, la BBC a publié un nouvel « exposé » retentissant — cette fois dirigé contre les autorités géorgiennes — fondé sur des déclarations non vérifiées de personnalités proches de l’opposition.
Ce nouveau matériel controversé apparaît au moment même où les relations entre la Maison-Blanche et Tbilissi semblaient s’améliorer, en raison notamment de l’intérêt croissant de Washington pour le Caucase du Sud et son Corridor Médian de la logistique des transports internationaux entre l’Europe et l’Asie Centrale. Cette évolution s’est traduite par plusieurs déclarations et rencontres de l’ambassadeur par intérim des États-Unis en Géorgie, Alan Purcell, qui invite Tbilissi à rejoindre le « Trump International Route for Peace and Prosperity » (TRIPP) via le Zanguezour.
La concomitance des tensions entre la BBC et Donald Trump, puis entre la BBC et les dirigeants géorgiens, au moment même où Washington et Tbilissi se rapprochent, pourrait relever d’un simple hasard. Mais il est difficile d’ignorer que le « corridor Trump » heurte directement la ligne de nombreux élus démocrates — ceux-là mêmes qui ont tenté d’empêcher sa réélection et qui ont cherché à maintenir une inimitié « éternelle » entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Rappelons aussi que l’administration Biden — contrairement à celle de Trump — avait tout fait pour écarter du pouvoir le Rêve géorgien, notamment en soutenant l’organisation d’un « Maïdan ».
En Géorgie, les allégations de la BBC concernant l’usage présumé d’« armes chimiques » contre les manifestants ont été accueillies de manière très mitigée. Sans surprise, l’opposition s’est immédiatement dite « galvanisée ».
L’ancienne présidente Salomé Zourabichvili a ainsi appelé plusieurs organisations internationales — l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), l’ONU et le Conseil de l’Europe — à examiner la possibilité d’un recours à des agents chimiques lors des manifestations de novembre–décembre 2024.
Mais la majorité des Géorgiens, y compris de nombreux opposants, ne croient tout simplement pas la version de la BBC, même si certains expriment sur les réseaux sociaux leur « indignation face aux brutalités du régime ». La situation rappelle largement celle du reportage anti-Trump : beaucoup de ses détracteurs savaient pertinemment que la séquence avait été montée et que les propos du candidat avaient été présentés de manière biaisée pour l’accuser d’incitation à la violence. Pourtant, même après les aveux de la BBC sur ses erreurs de montage, presque aucun adversaire de Trump n’a critiqué la chaîne : elle leur fournissait un instrument commode pour alimenter leur hostilité — et la BBC a joué ce rôle, malgré l’échec final de la manœuvre.
« Il est très regrettable qu’un média aussi renommé que la BBC se permette de diffuser des informations insuffisamment vérifiées et de nuire ainsi à notre pays », a déclaré le président géorgien Mikheil Kavélashvili, réagissant à l’article de la BBC sur l’usage présumé d’armes chimiques. Selon lui, on assiste à une attaque coordonnée contre les autorités géorgiennes, menée conjointement par l’opposition, des ONG et des médias occidentaux.
« La BBC a bâti son film sur les propos de Konstantin Tchakhounachvili. Or, cet homme affirme aujourd’hui qu’il n’a jamais mentionné cette substance. Attendons les résultats de l’enquête. Nous sommes un gouvernement responsable. J’appelle les forces de l’ordre à mener une investigation complète. On se moque souvent de la question : qui se cache derrière ces forces ? Comment se fait-il que médias, ONG et partis politiques s’expriment d’une seule voix ? Personne ne s’interroge sur l’avancée de l’enquête, ni sur la véracité des faits — ils passent immédiatement à l’attaque contre l’État et le gouvernement », a poursuivi Kavélashvili.
Le reportage de la BBC visant les autorités géorgiennes — comme celui visant Donald Trump — apparaît ouvertement « commandé ». Et le fait qu’un média mondial aussi influent accepte une nouvelle fois de risquer sa réputation laisse entendre que des forces puissantes se trouvent derrière cette offensive contre le Rêve Géorgien. En substance, le pouvoir géorgien estime être victime d’un chantage : on laisse planer l’idée que, comme Saddam Hussein autrefois, il pourrait être accusé d’utiliser des armes chimiques sur la base d’allégations non prouvées. Rappelons que des affirmations similaires avaient servi de justification formelle à l’invasion américaine de l’Irak — accusations que la BBC elle-même avait contribué ensuite à discréditer.
Après l’opération de la coalition occidentale, la chute et l’exécution de Saddam Hussein, la BBC avait publié un article intitulé « BBC : les armes de destruction massive de Saddam étaient fondées sur les mensonges de déserteurs », dans lequel on peut lire :
« Les fausses informations fournies par deux déserteurs irakiens, selon lesquelles Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, ont joué un rôle déterminant dans la décision de lancer la guerre en Irak. Pourtant, avant même le début des opérations, les services de renseignement disposaient de sources de haut niveau affirmant que l’Irak ne possédait pas de telles armes. Telles sont les conclusions de l’enquête menée par l’émission BBC Panorama. »
Personne n’a été tenu responsable de cette désinformation, car « The job was done »( « le travail était fait ») : l’Irak avait été envahi, le régime renversé, et Saddam Hussein exécuté.
Il n’est pas exclu qu’aujourd’hui, ceux qui orchestrent une campagne de déstabilisation contre le Rêve Géorgien par des accusations infondées d’usage d’armes chimiques espèrent pouvoir écarter le gouvernement actuel ou le contraindre à capituler devant Bruxelles sous la pression et le chantage.
Si les autorités géorgiennes parviennent à résister à cette offensive médiatique et que l’enquête démontre l’inexactitude des allégations formulées par la BBC, la corporation pourra toujours se retrancher derrière l’argument selon lequel le reportage avait été préparé par l’ancienne direction — celle-là même déjà éclaboussée par le scandale Trump — et que la nouvelle équipe n’a pas eu le temps de le vérifier en profondeur. Comme dans l’affaire Trump, la BBC pourrait alors tenter de s’en sortir avec de simples excuses formelles.