LES EXPLOITATIONS AGRICOLES: DES INVESTISSEMENTS EN MILLIARDS, MAIS QUELLES SONT LES ATTENTES ?
Paris / La Gazette
Les transformations structurelles et la modernisation technique du secteur agricole azerbaïdjanais au cours du dernier quart de siècle ont globalement permis de réduire sensiblement la dépendance aux importations alimentaires
Ces transformations ont permis aussi de porter la production locale à environ deux tiers de la consommation nationale. Parmi les mesures majeures ayant soutenu l’essor de la production agro-industrielle, figure le développement des agroparcs ( mot employé en langue azérie pour désigner les grandes exploitations percevant des fonds publics). Lors du forum « Douanes–Business 2025 : dialogue et confiance », organisé hier, il a été rappelé que le pays en compte 53, ayant absorbé 2,4 milliards de manats d’investissements. Pourtant, cet essor de grands ensembles agricoles n’a pas suffi à résoudre les problèmes structurels du secteur. Surtout, en 2024, leur contribution à la production agricole nationale n’a représenté qu’un peu plus de 1 % — un résultat modeste.
Conformément aux « Priorités nationales pour le développement socio-économique – Azerbaïdjan 2030 » et à la loi « Sur la sécurité alimentaire », les réformes du secteur visent à accroître la productivité grâce aux technologies agricoles avancées, aux systèmes d’irrigation économes, à la digitalisation de la gestion et à la mise en valeur de nouvelles terres dans le Karabagh. Il s’agit aussi de réduire les coûts de la transformation et de l’industrie alimentaire en renforçant la localisation des unités de production au sein des agroparcs, afin d’augmenter l’offre exportable.
La nécessité de hâter ces transformations s’explique par les difficultés persistantes du secteur agricole. Les petites exploitations, estimées entre 150 000 et 200 000 unités, restent insuffisamment équipées et peinent à accéder aux financements préférentiels. Faute de mécanisation moderne, d’un recours raisonné aux intrans chimiques adéquate et d’une irrigation économe, elles ne parviennent pas à atteindre les rendements des grandes structures agricoles. Beaucoup de petits producteurs, nettement moins rentables que les grands agroparcs céréaliers, les élevages intensifs ou les complexes horticoles sous serre, peinent aussi à répondre aux normes de qualité requises. Dans plusieurs filières, des coûts de production trop élevés et des rendements faibles réduisent la compétitivité des petits exploitants, tant à l’export que sur le marché intérieur.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’environ la moitié des exportations agricoles provienne désormais des agroparcs, de grandes exploitations et des serres industrielles. Dans l’agro-industrie, la quasi-totalité des ventes à l’export est assurée par les grands acteurs de la transformation — conserveries, domaines viticoles, etc. C’est donc pour atteindre plus rapidement les objectifs fixés par les Priorités nationales que la politique agricole de ces dernières années a largement misé sur les agroparcs spécialisés, favorisant une organisation en clusters et l’introduction de technologies modernes. « À ce jour, environ 2,4 milliards de manats ont été investis dans les 53 agroparcs créés dans le pays », a rappelé Zaour Aliyev, conseiller du ministre de l’Agriculture, lors du forum « Douanes–Business 2025 », soulignant l’importance croissante du secteur agricole dans les exportations non pétrolières.
En avril, un décret présidentiel a transféré la responsabilité de la création et de la régulation des agroparcs de l’Agence pour le développement des zones économiques (IZIA), rattachée au ministère de l’Économie, au ministère de l’Agriculture. Seule exception : l’agroparc pilote de Yevlakh, spécialisé dans l’arboriculture intensive, implanté sur 2 000 hectares de terres salines. La priorité nationale allant à la production de céréales et de cultures fourragères, environ 35 agroparcs sont aujourd’hui consacrés à la culture. Ces grands complexes céréaliers assurent plus de 25 % de la production de blé de consommation. Ils concentrent 80 % des systèmes d’irrigation économes (pilotes ou non) du pays, près d’un quart des capacités de stockage, et abritent également des unités de production de semences de blé et d’autres cultures. Quinze agroparcs combinent cultures et élevage, et deux autres se spécialisent dans le tri, l’emballage, la transformation et la logistique. Il faut également mentionner l’agroparc azerbaïdjano-turc « Dost » dans le district de Zangilan : 3 500 têtes de bétail y sont élevées en système intensif, une base fourragère dotée de pivots d’irrigation y a été installée, et des capacités de production de produits laitiers et carnés finis y sont en cours de formation.
L’expérience des agroparcs est globalement positive, mais non exempte de limites. On compte malheureusement très peu de structures intégrées comme « Dost », capables de fonctionner en cycle fermé — production de fourrage, élevage, transformation des matières premières et des déchets, et fabrication de produits finis. À l’origine, le concept visait précisément à réunir production agricole, transformation et conditionnement dans un ensemble cohérent. Autre faiblesse : les volumes de production restent modestes. Il y a un peu plus d’un an, les agroparcs employaient en permanence environ 5 000 personnes seulement.
Selon le Comité national des statistiques, la production agricole totale a atteint presque 13 milliards de manats en 2024, en hausse d’à peine 1,5 %. Dans le même temps, la production issue des agroparcs s’est limitée à 150 millions de manats, soit environ 1,15 % de la production agricole du pays. En d’autres termes, « la montagne a accouché d’une souris ». Malgré les investissements considérables, ces centres de production spécialisés n’ont pas encore réussi à devenir les locomotives du secteur.
Les chiffres de janvier-octobre 2025 confirment même un certain ralentissement : la production totale a atteint 12,529 milliards de manats, en hausse de seulement 1 %. Certaines filières ont affiché une baisse : légumes –2,8 %, pommes de terre –1,3 %, cucurbitacées –6,3 %, laine –1,3 %, soie –22,1 %.
La situation n’est guère meilleure dans l’élevage : 6,080 milliards de manats de production, pour une croissance de 0,4 %, autrement dit quasi nulle. Les raisons sont nombreuses. Depuis douze ans, l’Azerbaïdjan importe des races bovines hautement productives, tandis que la part du bétail élevé en stabulation, notamment dans les grandes fermes et agroparcs, n’a cessé d’augmenter. Si ces systèmes sont plus technologiques et automatisés, ils impliquent aussi des coûts accrus en aliments composés, énergie, chauffage et main-d’œuvre. Ces surcoûts se répercutent sur les prix de la viande et des produits laitiers, ce qui freine la demande et, in fine, la production. Parallèlement, nombre de petits éleveurs ont perdu l’accès traditionnel aux pâturages publics et municipaux, en raison de la dégradation écologique des alpages — désertification, érosion — ou de la mise en location de ces terres à de grands élevages. Beaucoup quittent donc la filière, ce qui réduit la concurrence et entraîne une hausse notable des prix de détail, compensée par un recours croissant aux importations.
Une évolution d’autant plus regrettable qu’en 2013 encore, la FAO citait l’Azerbaïdjan en exemple dans l’espace post-soviétique pour avoir dépassé les objectifs de la Déclaration du millénaire : selon l’organisation, les éleveurs locaux couvraient plus de 92 % de la demande intérieure en viande et produits avicoles.
Les déséquilibres actuels n’échappent pas au gouvernement, qui prépare de nouvelles mesures d’optimisation. Le ministère de l’Agriculture élabore une nouvelle conception des agroparcs, intégrant des services numériques étendus et l’intelligence artificielle pour détecter les risques phytosanitaires, sélectionner les cultures en fonction des sols, optimiser les travaux d’irrigation, la gestion énergétique et les problématiques environnementales. L’objectif est clair : accroître la production, renforcer les capacités de transformation et d’emballage, et développer les exportations de produits compétitifs. À court terme, le ministère prévoit d’accélérer la mise en valeur des terres fertiles du Karabagh, avec notamment la création d’un agroparc de serres sur 200 hectares et d’un agroparc arboricole de plus de 2 000 hectares.