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APRES LA HONGRIE, LA SLOVAQUIE MISE SUR L'AZERBAÎDJAN

11 Décembre 2025 02:41 (UTC+01:00)
APRES LA HONGRIE, LA SLOVAQUIE MISE SUR L'AZERBAÎDJAN
APRES LA HONGRIE, LA SLOVAQUIE MISE SUR L'AZERBAÎDJAN

Paris / La Gazette

Les 8 et 9 décembre, le président de l’Azerbaïdjan a effectué en Slovaquie la première visite officielle de l’histoire de leurs relations bilatérales

Cet événement est en soi un signal clair du haut niveau de confiance qui s’est instauré entre Bakou et Bratislava, ainsi que de la volonté des deux pays d’inscrire leur coopération dans une dynamique structurée et durable. La convergence de leurs positions sur les grandes questions internationales et européennes a créé un terrain particulièrement favorable aux négociations. Il n’est donc pas surprenant que les responsables des deux États aient qualifié ce déplacement non pas de protocolaire, mais de véritablement historique.

Derrière les déclarations politiques se dessinent des axes de coopération très concrets. Ces dernières années, les relations entre l’Azerbaïdjan et la Slovaquie ont acquis un caractère institutionnel solide, couvrant la politique, l’économie, l’énergie ainsi que la coopération militaro-technique. Si l’énergie demeure un pilier central, les deux pays accordent aujourd’hui une attention croissante à l’industrie de la défense. C’est d’ailleurs au cours des deux dernières années que les contacts entre les institutions compétentes se sont le plus intensifiés.

Lors de son déplacement - organisé avec les plus grands honneurs et selon le protocole diplomatique le plus élevé - le président Ilham Aliev a rencontré toutes les principales figures politiques slovaques : le président Peter Pellegrini, le Premier ministre Robert Fico et le président du Conseil national Richard Raši. Une telle configuration témoigne clairement de l’importance stratégique que Bratislava attache à ses relations avec Bakou. Ce type de réception est habituellement réservé aux États et dirigeants considérés comme des partenaires prioritaires dans la stratégie à long terme de la Slovaquie. Dans ce cas précis, il traduit le niveau déjà élevé des contacts bilatéraux, ainsi que la volonté slovaque d’inscrire l’Azerbaïdjan parmi ses partenaires clés dans sa politique orientale et énergétique.

C’est ce qui explique pourquoi la Slovaquie apparaît aujourd’hui comme l’un des partenaires les plus proches de Bakou en Europe centrale. Premièrement, les deux pays ont formalisé un partenariat stratégique et disposent désormais d’ambassades réciproques : celle de la Slovaquie à Bakou depuis 2019, celle de l’Azerbaïdjan à Bratislava depuis 2023. Deuxièmement, dans un contexte de défis globaux et d’instabilité géopolitique, la Slovaquie adopte une approche pragmatique, évitant de conditionner ses relations avec Bakou aux fluctuations politiques internes à l’UE. Troisièmement, la coopération est avant tout opérationnelle et non déclarative, couvrant les secteurs du commerce, de l’énergie, du transport, des technologies de défense, de l’investissement et du multilatéralisme.

À cela s’ajoute la signature, lors de ce déplacement, d’un ensemble de cinq documents bilatéraux portant sur la coopération consulaire, la culture, le soutien aux PME, la sécurité alimentaire et l’industrie de la défense.

Dans cette perspective, la visite d’Ilham Aliev apparaît comme une étape logique et significative dans l’approfondissement systémique du partenariat stratégique azéro-slovaque. Le secteur énergétique continue d’y jouer un rôle central. La Slovaquie considère l’Azerbaïdjan comme un élément clé de sa stratégie de diversification des approvisionnements en hydrocarbures, dans un contexte de recomposition de l’architecture énergétique européenne. Aujourd’hui déjà, le gaz azéri parvient sur le marché slovaque via le Corridor gazier méridional et les interconnexions balkaniques, consolidant la position de Bakou comme fournisseur fiable dans un environnement concurrentiel intense.

Un autre volet important concerne les transports et la logistique. Dans un contexte de transformations des chaînes mondiales, la Slovaquie s’intéresse de plus en plus au Corridor transcaspien (le “Middle Corridor”) comme route alternative reliant la Chine, la Caspienne et l’Europe, où l’Azerbaïdjan constitue un maillon essentiel. Pour Bratislava, cela ouvre la possibilité de renforcer son rôle de plateforme logistique en Europe centrale ; pour Bakou, c’est un instrument supplémentaire de projection géoéconomique au-delà du Caucase du Sud.

Les deux pays discutent également d’une coopération dans la création de data centers. L’un des principaux atouts de l’Azerbaïdjan réside dans son potentiel énergétique : la capacité disponible est aujourd’hui estimée à environ 2 GW et pourrait atteindre 8 GW dans les cinq prochaines années. Pour les data centers et les systèmes d’intelligence artificielle, l’accès à une électricité stable et peu coûteuse est déterminant. De plus, certaines régions froides du pays permettent de réduire les coûts de refroidissement. Bakou se voit ainsi comme un futur hub international des data centers et identifie les entreprises slovaques comme des partenaires technologiques potentiels.

La coopération militaro-technique occupe également une place particulière. En mai 2024, les deux pays ont signé un ensemble d’accords comprenant un mémorandum d’entente entre les institutions responsables de l’industrie de défense ainsi qu’un accord intergouvernemental militaire. Les deux parties ont annoncé leur intention de passer d’un simple schéma “acheteur-fournisseur” à un modèle plus complexe incluant la production conjointe d’armements et d’équipements militaires. La Slovaquie apporte la technologie, l’Azerbaïdjan le capital et les ressources financières.

Cette synergie est objectivement bénéfique aux deux partenaires. Face à la hausse de la demande en armements au sein de l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine, Bratislava cherche à diversifier ses débouchés et à s’imposer sur de nouveaux marchés au-delà de l’espace européen traditionnel. L’Azerbaïdjan, de son côté, souhaite moderniser son armée, renforcer ses capacités de défense et diversifier ses fournisseurs. Bakou ne se positionne pas seulement comme client, mais aussi comme investisseur et co-producteur, offrant à la Slovaquie une flexibilité financière accrue et un accès à des marchés prometteurs hors d’Europe.

Un autre volet notable de la coopération concerne le déminage. Après la fin de la phase active du conflit sur les territoires libérés, le déminage est devenu une priorité nationale pour l’Azerbaïdjan, tant pour la sécurité que pour la reconstruction. Cet aspect confère au partenariat une dimension humaine particulièrement marquée.

La Slovaquie a également exprimé son soutien aux efforts de l’Azerbaïdjan pour renforcer ses liens avec l’UE et l’OTAN, ajoutant une valeur diplomatique supplémentaire à la coopération.

Dans le cadre de cette dynamique, le rôle particulier de la Slovaquie dans la stratégie régionale de Bakou en Europe centrale apparaît clairement, aux côtés de la Hongrie. Les deux pays adoptent une approche pragmatique, percevant l’Azerbaïdjan avant tout comme une source de stabilité énergétique, un partenaire de transport et un marché d’investissement prometteur. Pour Bakou, la Slovaquie et la Hongrie représentent aussi des relais importants au sein de l’UE, capables de porter une position plus équilibrée sur les questions du Caucase du Sud, de l’énergie et de la sécurité régionale.

Ainsi, la visite d’Ilham Aliev en Slovaquie ne constitue pas un simple geste symbolique, mais un point de convergence entre plusieurs axes de long terme — énergétique, industriel, logistique, militaro-technique et financier. C’est cette combinaison de pragmatisme, d’avantages réciproques et d’absence d’idéologisation rigide qui fait de la Slovaquie, aux côtés de la Hongrie, l’un des partenaires les plus solides et les plus proches de l’Azerbaïdjan en Europe centrale, non pas au niveau des discours, mais à travers des intérêts économiques et stratégiques bien réels.

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