L'EUROPE SE PRÉPARE À LA FIN DU TRANSIT DU GAZ RUSSE PAR L'UKRAINE
Paris / La Gazette
L'Ukraine, avec son vaste réseau de plus de 22 000 kilomètres de gazoducs, est un acteur central des marchés énergétiques européens depuis des décennies.
Toutefois, d'ici la fin de l'année, ces actifs stratégiques pourraient devenir inutilisables, car il est peu probable que l'accord entre Moscou et Kiev sur le transit du gaz russe vers l'Europe soit renouvelé avant son expiration en décembre.
Cette interruption potentielle des flux de gaz, qui persiste malgré plus de deux ans d'invasion à grande échelle, pourrait toucher les marchés européens à un moment critique, à l'approche de la saison de chauffage.
Pour l'Europe, cette évolution introduit une nouvelle incertitude sur des marchés de l'énergie déjà tendus, tandis que la Russie risque de perdre l'une des dernières voies d'acheminement de son gazoduc vers l'Europe. Toutefois, c'est l'Ukraine qui risque de subir les conséquences les plus graves, en perdant potentiellement d'importantes redevances de transit qui sont vitales pour le maintien de son infrastructure énergétique et de son rôle stratégique en tant que conduit énergétique clé pour ses alliés occidentaux.
Depuis plus de cinq décennies, le gaz naturel relie la Russie, l'Ukraine et l'Europe. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, les différends en matière de transit sont un problème récurrent dans les relations russo-ukrainiennes, les ruptures d'approvisionnement de 2006 et 2009 ayant entraîné des pénuries de gaz en Europe pendant les rigueurs de l'hiver. L'accord de transit actuel entre l'entreprise publique ukrainienne Naftogaz et la société russe Gazprom, établi à la fin de l'année 2019, représente désormais moins de 5 % de l'approvisionnement en gaz de l'Europe.
Cependant, même ce flux réduit reste essentiel pour la sécurité énergétique. L'Ukraine risque de perdre jusqu'à 800 millions de dollars par an en frais de transit, un chiffre qui a déjà diminué d'environ un tiers par rapport aux niveaux précédents, selon les estimations de Mykhailo Svyshcho, analyste chez ExPro Consulting, basé à Kiev. Si cette perte est mineure par rapport aux milliards que la Russie a perdus auprès des clients européens depuis son invasion de l'Ukraine en 2022, elle n'en reste pas moins un coup dur pour Kiev. En outre, la réactivation du pacte pourrait ne pas suffire à rétablir les flux, étant donné les récentes tentatives de la Russie de militariser les liens énergétiques. Les clients européens, en particulier l'Allemagne, ont largement renoncé à dépendre du gaz russe.
L'Allemagne, qui dépendait autrefois de la Russie pour plus de la moitié de ses besoins en gaz, a augmenté ses livraisons par gazoduc depuis la Norvège et accéléré ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) du monde entier, ce qui la rend indépendante des gazoducs ukrainiens. Toutefois, certains partis d'opposition et chefs d'entreprise allemands continuent de plaider en faveur d'un retour au gazoduc russe, moins cher, l'itinéraire ukrainien restant une option viable après le sabotage du gazoduc Nord Stream en septembre 2022. L'Autriche et la Slovaquie, principaux destinataires du gaz qui passe encore par l'Ukraine, se préparent à abandonner les gazoducs liés à la Russie. Le plus grand fournisseur de gaz slovaque, SPP, s'est dit confiant dans sa capacité à affronter l'hiver, tandis que l'Autriche part du principe que les flux de gaz via l'Ukraine cesseront en janvier, ce qui pourrait lui permettre de mettre fin à ses contrats avec Gazprom.
Moscou, quant à elle, dispose d'autres voies pour exporter du gaz, notamment des gazoducs via la Turquie, des liens de plus en plus étroits avec la Chine et des expéditions de GNL. Toutefois, la perte des volumes de transit ukrainiens pourrait se traduire par un manque à gagner annuel d'environ 6,5 milliards de dollars pour la Russie aux prix actuels, selon les calculs de Bloomberg. Cette motivation financière pourrait inciter le Kremlin à envisager de renouveler l'accord, le président russe Vladimir Poutine ayant récemment fait part de sa volonté de poursuivre le transit du gaz par l'Ukraine au-delà de 2024. L'Ukraine, soucieuse de préserver la pertinence de son réseau, s'est engagée à exclure les "molécules russes" de son système de transit afin de couper les vivres au Kremlin. Kiev cherche d'autres fournisseurs pour tirer parti de ses gazoducs.
Des discussions sont en cours avec l'Azerbaïdjan, qui fournit déjà du gaz à huit pays européens, mais la production azerbaïdjanaise est insuffisante pour remplacer totalement le gaz russe à court terme. Alors que l'équilibre des marchés de l'énergie est encore fragile, la perte quasi certaine de la route de transit ukrainienne pourrait entraîner une certaine volatilité sur les marchés européens. Des perturbations en Norvège ou des problèmes de transport de GNL, combinés à un hiver froid, pourraient faire grimper les prix.