SUD-CAUCASE: BAKOU ET EREVAN COMPOSENT LEUR PROPRE SYMPHONIE DE PAIX

Paris / La Gazette
Une réunion a lieu aujourd'hui à Abou Dhabi qui peut déjà être décrite comme l'une des plus importantes de l'histoire moderne du Sud-Caucase. Les négociations entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pachinyan se déroulent dans une atmosphère où chaque détail est imprégné d'un profond symbolisme et d'une signification politique.
Alors qu'une région longtemps déchirée par les conflits et les récriminations mutuelles entre dans une nouvelle phase de réflexion sur son rôle géopolitique, la réunion aux Émirats arabes unis témoigne de la manière dont l'architecture même de la diplomatie internationale est en train de se redéfinir.
Le choix d'Abou Dhabi comme lieu de dialogue n'est pas un hasard et reflète une tendance plus large à rechercher des plateformes exemptes de la pression des courtiers en pouvoir traditionnels et de l'ombre des anciennes alliances. Les Émirats arabes unis — un pays qui a construit une réputation d'acteur pragmatique et neutre dans des dynamiques régionales complexes — n'agissent pas en tant que médiateur ou participant au processus de négociation ; ils ont simplement fourni l'espace pour la réunion.
Cette décision, initiée par l'Azerbaïdjan, démontre la retenue stratégique de Bakou et son engagement à mener le processus de paix strictement dans un format bilatéral. Il y a une philosophie derrière cette approche : se détacher des modèles obsolètes dans lesquels le sort de la région était décidé à huis clos avec l'implication de tiers dont les intérêts étaient souvent contraires aux aspirations des peuples du Sud-Caucase.
L'Azerbaïdjan et l'Arménie — deux voisins dont l'histoire est entrelacée de conflits sanglants, mais aussi de périodes de coexistence — se trouvent maintenant devant l'opportunité de réécrire leur avenir. Cette étape actuelle des négociations est devenue possible grâce à la politique cohérente de Bakou, dans laquelle la paix n'est pas un objectif abstrait mais le résultat logique d'une lutte de longue date pour l'intégrité territoriale et la souveraineté.
Il ne serait pas exagéré de suggérer que le concept de paix discuté dans la salle de réunion d'Abou Dhabi a été conçu à Bakou — et est de plus en plus reconnu à Erevan comme le seul chemin réaliste vers un règlement final.
Le corridor de Zangazur — une artère de transport dont l'ouverture pourrait redéfinir la carte économique et géopolitique de la région — devrait occuper une place particulière dans les discussions. Pour l'Azerbaïdjan, ce projet n'est pas simplement une initiative d'infrastructure ou un outil d'intégration du Sud-Caucase dans les routes commerciales mondiales, mais une connexion terrestre stratégique entre le continent du pays et la République autonome du Nakhitchevan. Cela lui confère une importance particulière dans le contexte de la sécurité nationale et de la stabilité régionale.
Cependant, au-delà des murs de la salle de négociation, il existe des forces pour lesquelles un Sud-Caucase stable et prospère représenterait un défi pour leurs stratégies obsolètes. Ces acteurs, incapables de se défaire des illusions sur l'ancien ordre et les nouvelles réalités sur le terrain, font des tentatives désespérées pour faire dérailler le processus de paix en alimentant des récits destructeurs et en provoquant des crises internes en Arménie.
L'ironie réside dans le fait que la direction arménienne — désormais engagée dans des négociations avec Bakou — est elle-même devenue la cible de telles attaques, et comprend parfaitement que tout effondrement du processus pourrait entraîner une isolation politique et économique encore plus profonde pour le pays.
L'expérience historique du Sud-Caucase nous enseigne une leçon claire : lorsqu'une fenêtre d'opportunité n'est pas utilisée, elle se referme inévitablement - souvent avec fracas. C'est précisément la raison pour laquelle la nature bilatérale de ces négociations est si importante. Elle prive les acteurs extérieurs destructeurs de la possibilité d'entraver le processus et rend le destin de la région à ceux qui y vivent réellement.
MM. Aliyev et Pachinyan - malgré les différences marquées dans leurs trajectoires politiques - cherchent aujourd'hui un terrain d'entente, non pas au nom de slogans abstraits, mais dans l'intérêt de leurs pays, à une époque où l'ordre mondial s'effondre plus rapidement que jamais.
Certes, la réunion d'Abou Dhabi n'est pas la signature d'un accord de paix, mais elle marque une étape importante sur le chemin qui y mène. Elle reflète un changement de paradigme : la médiation et le patronage sont délaissés au profit d'un dialogue mûr entre deux États qui doivent apprendre à vivre côte à côte. Le traité de paix n'est pas encore conclu, mais la perspective de sa conclusion est aujourd'hui plus réaliste qu'elle ne l'a jamais été au cours des trois dernières décennies.
Si les deux Parties parviennent à surmonter les résistances de leurs adversaires internes et externes, la région pourrait enfin sortir de l'ombre de son passé et entrer dans un espace de nouvelles opportunités. L'histoire a trop souvent puni le Sud-Caucase pour son indécision et son incapacité à parvenir à un accord. Le moment est venu où manquer cette occasion coûterait plus cher que n'importe quel compromis.