AZERBAÏDJAN ET ASIE CENTRALE : UNE ALLIANCE QUI REDESSINE LA CARTE DU FUTUR
À Tachkent s’est tenu bien plus qu’un simple sommet régional : ce fut une journée appelée à entrer dans l’histoire politique de tout notre espace commun. La capitale de l’Ouzbékistan a accueilli la 7ᵉ Réunion consultative des chefs d’État d’Asie centrale. C’est là qu’un nouvel équilibre géopolitique a pris forme : l’Azerbaïdjan est officiellement devenu un membre à part entière du format, et la région a acquis une nouvelle configuration stratégique. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a pris part à la session, sa présence symbolisant la fin d’une époque où les deux régions évoluaient en parallèle, au profit d’un espace politique uni.
En ouvrant la rencontre, le président ouzbek Chavkat Mirziyoyev a souligné l’importance historique du moment. Il a déclaré que ce jour était véritablement décisif pour les peuples frères, puisqu’une décision fondamentale avait été prise : l’intégration pleine et entière de l’Azerbaïdjan au format consultatif. Par ces mots, le leader ouzbek n’a pas seulement constaté un fait politique, mais il a dessiné les contours d’une future architecture régionale.
« Je tiens à remercier sincèrement tous mes collègues pour l’adoption de cette importante décision et à féliciter Ilham Aliyev pour l’adhésion de l’Azerbaïdjan au format consultatif en tant que membre à part entière », a déclaré Chavkat Mirziyoyev.
Il a ajouté que le renforcement de la solidarité régionale a permis d’accroître la capacité d’action internationale de l’Asie centrale, et qu’avec l’arrivée de l’Azerbaïdjan, la voix de toute la macro-région pèse désormais davantage sur la scène mondiale.
Le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev a également qualifié l’entrée de l’Azerbaïdjan de décision historique, se disant certain que Bakou contribuera de manière sensible au développement de la coopération régionale.
Ainsi, Tachkent est devenu le lieu où ont été prises des décisions capables de transformer l’architecture de l’intégration eurasiatique : le fondement d’un nouveau nœud de stabilité, de sécurité et d’interconnexion économique entre l’Asie centrale et le Caucase du Sud y a été posé.
Il arrive parfois que la réalité politique change non pas sous l’effet de révolutions tonitruantes ou de conflits inattendus, mais à travers des décisions silencieuses d’une précision stratégique, prises par les États lorsqu’ils sentent approcher une nouvelle époque. C’est ainsi que je perçois la décision d’intégrer l’Azerbaïdjan au format consultatif des chefs d’État d’Asie centrale : un événement présenté dans le cadre protocolaire habituel mais qui, en substance, marque un tournant tectonique dans l’architecture régionale de l’Eurasie.
Observant depuis de nombreuses années les processus en Asie centrale, je peux affirmer avec certitude que ce qui s’est passé à Tachkent n’a rien d’un hasard. Ce n’est ni un geste de courtoisie, ni une extension symbolique d’un « club », ni une formalité. C’est un point de convergence d’intérêts, de routes, de stratégies et de pragmatisme. Un point qui pourrait remodeler la configuration politique d’un espace immense, de la Caspienne au Pamir, des sables du Karakoum jusqu’à la Méditerranée.
Pendant des années, les experts ont évoqué l’interdépendance croissante entre le Caucase et l’Asie centrale. Pendant des années, ils ont décrit la route transcaspienne comme l’épine dorsale de la future logistique eurasiatique. Pendant des années, ils ont souligné que l’Azerbaïdjan participait de facto aux processus régionaux. Mais le pas décisif n’avait jamais été franchi. Et en novembre 2025, il a enfin été fait : l’Azerbaïdjan est devenu membre à part entière du format définissant l’agenda des cinq États d’Asie centrale.
Je qualifie cet événement non pas d’épisode diplomatique, mais d’institutionnalisation de l’inévitable.
Les trois dernières années ont tout préparé : croissance record des échanges commerciaux, synchronisation des infrastructures, projets énergétiques conjoints, initiatives numériques, investissements croisés, multiplication des visites au plus haut niveau. Les relations se sont muées en un partenariat permanent.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- de 2022 à 2025, le commerce entre l’Azerbaïdjan et les pays d’Asie centrale a été multiplié par plus de quatre ;
- des fonds d’investissement conjoints totalisant près d’un milliard de dollars ont été créés ;
- plus de quarante nouveaux projets industriels, logistiques, agricoles et énergétiques sont programmés pour 2025.
Mais ces données ne sont qu’un reflet. En profondeur, l’Azerbaïdjan et l’Asie centrale cessent d’être deux espaces géopolitiques séparés ; ils deviennent un seul espace de routes, d’infrastructures, de plateformes numériques et de flux énergétiques convergents.
La décision de Tachkent en est le miroir.
Les interventions successives des dirigeants ouzbek, kazakh, kirghiz, tadjik et turkmène ont formé un tableau cohérent : l’intégration de l’Azerbaïdjan est perçue comme une nécessité rationnelle, non comme un geste symbolique. Chacun a décrit le changement non comme un élargissement, mais comme l’élaboration d’une nouvelle identité régionale. L’Asie centrale n’est plus un ensemble de cinq États, mais de six – et le sixième n’est pas un voisin parmi d’autres : c’est un pont eurasiatique, un pivot énergétique, un hub logistique, un acteur naturel de la dynamique asiatique.
Les raisons de cette intégration sont transparentes : transport, énergie, investissements, synchronisation politique.
Les volumes de fret transitant par le corridor intermédiaire via l’Azerbaïdjan ont augmenté de 90 % en trois ans. Le port d’Alat est devenu un carrefour majeur. Le chemin de fer du Zanguezour approche de son achèvement. Le câble numérique transcaspien et le câble énergétique deviennent des infrastructures structurantes, capables de redéfinir les flux de données et d’électricité en Eurasie.
Dans un monde où la compétition s’intensifie pour les routes, les données, l’énergie et les ressources, le format consultatif gagne en poids stratégique. L’intégration de l’Azerbaïdjan renforce sa capacité d’action collective.
L'intervention du président Ilham Aliyev a constitué l’élément central du sommet : une véritable carte stratégique montrant que l’Azerbaïdjan et l’Asie centrale fonctionnent déjà comme un espace géopolitique et géoéconomique unifié.
Il a souligné la densité exceptionnelle des relations : en trois ans, il a effectué 14 visites en Asie centrale et accueilli 23 visites de chefs d’État de la région – un rythme sans équivalent.
Il a aussi mis en évidence la portée symbolique des projets réalisés sur les territoires azerbaïdjanais libérés :
- l’école Mirzo Ulugbek à Fuzuli, offerte par l’Ouzbékistan ;
- le Centre de créativité pour enfants Kurmangazy, offert par le Kazakhstan ;
- l’école Manas à Aghdam, offerte par le Kirghizistan ;
- la mosquée de Fuzuli, initiative du Turkménistan.
Plus que des gestes humanitaires, ce sont des marques de confiance stratégique et de fraternité.
La section consacrée au transport fut fondamentale.
En trois ans, le corridor intermédiaire a explosé en capacité. Le chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars, les neuf aéroports internationaux d’Azerbaïdjan et la plus grande compagnie cargo aérienne régionale ont consolidé le rôle de Bakou comme nœud logistique transcontinental.
Le Zanguezour se profile comme un pont entre l’Asie centrale et la Turquie. Sa capacité initiale de 15 millions de tonnes en fera un corridor majeur suivi de près à Washington, Pékin, Bruxelles et Ankara.
Le « Chemin numérique de la soie » place les États caspiens parmi les acteurs capables de contrôler une partie des flux mondiaux de données – la ressource stratégique du XXIᵉ siècle.
Le futur câble énergétique transcaspien ouvre l’accès des pays d’Asie centrale au marché européen de l’électricité, tandis que Bakou se positionne comme un centre énergétique régional.
En conclusion, le Président Ilham Aliyev a souligné que l’intégration de l’Azerbaïdjan est le prolongement naturel du caractère fraternel des relations et un facteur de stabilité régionale.
Cette phrase résume une décennie d’évolution aboutissant aujourd’hui à une consolidation institutionnelle : l’Asie centrale et l’Azerbaïdjan entrent ensemble dans une nouvelle époque. Une époque où ce n’est plus seulement l’histoire qui lie ces nations, mais l’avenir.
Dans la suite de cette analyse, j’examinerai les dimensions énergétiques, la coopération turcique, l’impact sur la politique mondiale, la concurrence des corridors, ainsi que les risques et bénéfices stratégiques de la nouvelle architecture eurasiatique.