ATTAQUE HYBRIDE CONTRE LE CAUCASE DU SUD : LE TANDEM MEDIATIQUE CARLSON–KARAPETlAN A L’ŒUVRE
Paris / La Gazette
Analyse – caliber.az
Le 7 novembre, le polémiste américain Tucker Carlson, connu pour ses positions controversées et ses accointances idéologiques avec certains régimes autoritaires, a diffusé sur sa chaîne YouTube une nouvelle interview.
Mais cette fois, il ne s’agissait ni de Vladimir Poutine ni de Sergueï Lavrov.
Son invité était Narek Karapetian, neveu de l’oligarque russe emprisonné Samvel Karapetian et coordinateur du mouvement anti-Pachinian « À notre manière ».
Derrière cette apparente conversation politique se cache, selon de nombreux observateurs, une opération médiatique planifiée, mêlant intérêts idéologiques, politiques et informationnels – une véritable attaque hybride visant à raviver les tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Une interview comme instrument de manipulation
Tucker Carlson, dont les émissions flirtent souvent avec la propagande, a offert une tribune à un représentant d’un mouvement pro-russe virulent.
Rien d’anodin, donc, dans ce choix d’invité : cette rencontre s’inscrit dans une stratégie concertée de remodelage du discours occidental sur le Caucase du Sud, avec pour objectif de réintroduire le récit du conflit arméno-azerbaïdjanais sous un angle émotionnel et religieux.
Dès les premières minutes, Carlson établit le cadre :
« Dans cette guerre – l’Azerbaïdjan, nation musulmane, contre l’Arménie, nation chrétienne – les chrétiens ont été chassés du Haut-Karabakh. »
Une affirmation trompeuse, mais puissante sur le plan émotionnel, destinée à raviver la perception d’un conflit religieux, et non territorial.
Le journaliste n’ignore pourtant pas la réalité historique : le différend entre Erevan et Bakou découle des revendications territoriales arméniennes sur des terres souveraines d’Azerbaïdjan.
Ce cadrage biaisé n’est donc pas le fruit de l’ignorance, mais d’une intention politique claire.
La rhétorique du « peuple persécuté »
Karapetian, lui, joue sur la corde sensible. Il invoque les événements de 1915 dans l’Empire ottoman, se présentant en héritier d’un « peuple sacrifié », avant d’évoquer l’exode des Arméniens du Haut-Karabakh.
« Après 2 000 ans de présence, il n’y a plus de chrétiens au Karabakh », déplore-t-il.
Carlson, feignant l’indignation, enchaîne :
« Pourquoi les dirigeants chrétiens de l’Occident n’ont-ils rien dit ? »
Aucune mention, bien sûr, du rapport de la mission de l’ONU, qui n’a relevé aucun cas de violence contre les civils après le cessez-le-feu.
L’objectif est clair : réactiver les clichés de “victimisation chrétienne”, séduisants pour une partie du public américain, et détourner le regard des faits.
Derrière la rhétorique : une opération politique
En réalité, cette mise en scène médiatique poursuit plusieurs buts convergents.
D’abord, raviver la cohésion émotionnelle de la diaspora arménienne, notamment en Californie, où Carlson revendique des liens culturels.
Ensuite, perturber le processus de normalisation entre Bakou et Erevan, que les deux États poursuivent avec patience depuis la signature des accords de Washington en août.
Enfin, influencer la perception occidentale, en imposant une lecture biaisée du conflit et en affaiblissant le dialogue entre l’Azerbaïdjan et ses partenaires euro-atlantiques.
Cette opération médiatique s’inscrit dans une campagne plus vaste, alimentée par les réseaux pro-russes et oligarchiques arméniens.
Selon plusieurs sources, Narek Karapetian aurait déboursé près de 300 000 dollars pour l’entretien et sa diffusion, dans le cadre d’un plan de communication orchestré par des structures proches de Ruben Vardanian et de son fils David, actifs dans les cercles européens.
Une guerre de l’information à plusieurs niveaux
Ce tandem Carlson–Karapetian illustre la nouvelle forme de confrontation dans la région : une guerre hybride, où la désinformation et la manipulation émotionnelle remplacent les armes classiques.
Leur objectif : réactiver le spectre du conflit, affaiblir le gouvernement de Pachinian et saper la stabilité régionale au moment même où l’Azerbaïdjan et l’Arménie avancent vers la paix.
Cette offensive n’a rien d’improvisé. Elle s’appuie sur une stratégie médiatique éprouvée :
- exploiter la rhétorique religieuse pour polariser les opinions ;
- diaboliser l’Azerbaïdjan afin de miner sa légitimité diplomatique ;
- présenter l’Arménie comme victime d’une conspiration géopolitique, justifiant ainsi la dépendance à Moscou et le rejet des accords de paix.
Bakou reste vigilant, l’Occident interpellé
L’Azerbaïdjan observe cette campagne avec prudence et lucidité.
Conscient du danger, Bakou évite toute surenchère médiatique, privilégiant la diplomatie, la reconstruction post-conflit et la coopération régionale.
Mais il est clair que ce type d’opérations, si elles ne sont pas dénoncées à temps, risquent de déformer durablement la perception occidentale du Caucase du Sud.
Si les États-Unis et l’Europe veulent sincèrement contribuer à la stabilité régionale, ils doivent reconnaître ces tentatives de manipulation de l’opinion publique, souvent déguisées en journalisme d’investigation.
Faute de quoi, les efforts de paix pourraient une fois de plus être pris en otage par des narratifs fabriqués à des milliers de kilomètres du Caucase.
En somme, l’interview de Tucker Carlson avec Narek Karapetian n’est pas un simple échange médiatique : c’est un instrument de guerre informationnelle, un levier politique destiné à ranimer les divisions et à ralentir le processus de paix.
Derrière la rhétorique religieuse et les larmes télévisées se dessine une stratégie froide et calculée : maintenir le Caucase du Sud sous tension au profit d’intérêts étrangers.