WASHINGTON FREINE LE MANÈGE DE PASHINIAN
Du 17 au 21 novembre, une délégation américaine, conduite par la sous-secrétaire d’État aux affaires politiques Allison Hooker, s’est rendue en Arménie et en Azerbaïdjan. À Erevan, des rencontres ont eu lieu avec le Premier ministre Nikol Pashinian, le ministre des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan et le secrétaire du Conseil de sécurité nationale Armen Grigoryan. L’accent a été mis sur la nécessité de passer à la mise en œuvre concrète de l’agenda de partenariat stratégique américano-arménien.
À Bakou, la délégation a rencontré le ministre des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov et l’assistant du président Hikmet Hajiyev, abordant les perspectives de partenariat stratégique dans le cadre de la préparation d’un document formalisant cette relation, ainsi que les questions de stabilité régionale et les projets de connectivité internationale.
Le contexte de cette visite s’inscrit dans une série de missions commerciales et économiques américaines dans la région ces derniers mois, centrées sur des aspects pratiques de coopération, notamment dans le cadre du projet de corridor transport-logistique TRIPP (Trump Route for International Peace and Prosperity), destiné à renforcer la connectivité dans le Caucase du Sud.
Les ambitions arméniennes sous contrôle
Quelques jours avant cette visite, le 14 novembre, lors de la conférence « Crossroads of Peace : Advancing Regional Connectivity and Cooperation », le Premier ministre arménien Nikol Pashinian a annoncé la création d’une entreprise arméno-américaine dédiée au projet de "Route Trump", tout en précisant qu’Arménie conserverait un droit de veto sur les questions stratégiques.
« La première étape pour la mise en œuvre est de montrer concrètement comment le projet sera réalisé. Nous créons ainsi une base écrite pour sa régulation », a expliqué Pashinian.
Il a ajouté que l’entreprise commune - nom provisoire : "Trump Route" - serait dirigée par un conseil d’administration composé de représentants arméniens et américains, et que la répartition des voix dépendrait des parts des deux parties, avec la prérogative de l’Arménie sur les décisions stratégiques.
Le point le plus controversé reste la déclaration de Pashinian selon laquelle l’Arménie discute avec les États-Unis de deux scénarios de location "de la Route Trump" : 49 ou 99 ans, en fonction des investissements et de leurs délais de rentabilité. Or, les accords précédemment conclus à Washington, avec la participation de Donald Trump, ne sont plus ceux de la déclaration trilatérale de novembre 2020. À l’époque, Erevan avait en pratique écarté l’application du point 9, relatif au déblocage des communications entre l’Azerbaïdjan et son exclave du Nakhitchevan qui auraient placées sous contrôle russe. Toute tentative de modifier ces conditions déjà validées risque donc d’être beaucoup plus complexe.
Concrètement, Pashinian semble chercher à rejouer la partie avec Washington, sous couvert de défense des intérêts nationaux. Une telle stratégie pourrait le mettre en conflit direct avec les États-Unis, et même avec Trump lui-même, ce qui, à l’approche des élections législatives arméniennes, aurait des conséquences politiques importantes. Il est probable que le Premier ministre arménien devra redoubler de prudence dans ses déclarations publiques et lors des négociations pour ne pas compromettre l’équilibre fragile entre Erevan, Bakou et Washington.
On ignore à quel point cette question a été abordée lors des entretiens entre Hooker et Pashinian, mais il est clair que Washington rejettera très probablement toute proposition de modification si elle est présentée officiellement.
Un accueil plus favorable à Bakou
En Azerbaïdjan, Allison Hooker semble avoir été reçue dans un climat de bien meilleure compréhension. Elle a annoncé le lancement d’un groupe de travail pour préparer la Charte du partenariat stratégique États-Unis–Azerbaïdjan, sous la direction de la sous-secrétaire d’État Sonya Coulter. Cette initiative illustre l’attention particulière que Washington accorde à sa coopération avec Bakou, un intérêt renforcé par l’intégration pleine et entière de l’Azerbaïdjan au format des sommets consultatifs des pays d’Asie centrale lors du récent sommet de Tachkent.
De la déclaration à l’action
Le déplacement de Hooker marque un tournant : la diplomatie américaine passe de la simple déclaration aux actions concrètes. La précédente administration n’avait pas su gérer la région et avait presque compromis la position américaine dans le Caucase en raison d’une posture ouvertement pro-arménienne. Aujourd’hui, les projets politiques indiscutables - transports, logistique, infrastructures - constituent la base de l’agenda américano-caucasien.
Le succès de cette stratégie dépendra de la capacité à transformer les plans existants en projets concrets et en mécanismes durables de coopération. À Washington, l’évidence semble enfin admise : il n’existe pas d’autre voie. Une perspective qui, pour la région, est source d’optimisme mesuré.