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L'AZERBAÏDJAN DANSE AVEC L'AMÉRIQUE LATINE

18 Avril 2025 12:52 (UTC+01:00)
L'AZERBAÏDJAN DANSE AVEC L'AMÉRIQUE LATINE
L'AZERBAÏDJAN DANSE AVEC L'AMÉRIQUE LATINE

Paris / La Gazette

Alors que l’ancien monde s’accroche encore à ses chimères de contrôle, les lignes du futur se tracent ailleurs — plus loin, plus audacieusement. Dans cette métamorphose géopolitique où les vieux maîtres du jeu perdent le monopole des règles, l’Azerbaïdjan prend une décision d’adulte : il ne se contente plus d’être ce "pont" entre l’Orient et l’Occident dont on aime tant parler dans les cénacles diplomatiques. Non, Baku voit plus large, plus profond. Il devient trait d’union entre continents, entre intérêts, entre époques. Et aujourd’hui, c’est vers l’autre rive de l’Atlantique qu’il tourne son regard — vers une Amérique latine qui ne veut plus faire de la figuration, mais forger son propre destin.

Ce dont il est question ici, ce n’est pas juste de relations bilatérales feutrées. C’est une histoire de reconnaissance stratégique entre membres du Sud global, une alliance d’âme autant que de raison.

Dans un monde en pleine dépolarisation, où le monopole unipolaire vacille et cède sa place à une multipolarité chaotique mais vivante, l’Azerbaïdjan trace sa route, à sa manière : sans tapage, sans grands slogans, mais avec constance et clarté. Son ouverture vers l’Amérique latine n’a rien d’un coup d’éclat médiatique ou d’un trip exotique. C’est un choix pensé, inscrit dans une stratégie d’alliances solides, durables et, surtout, équitables.

Et la géographie ? Loin d’être un frein, elle devient moteur. Car c’est justement en Amérique latine que se structurent, loin du regard condescendant des vieilles puissances, de nouveaux pôles d’influence. Là-bas, les voix du Sud résonnent plus fort, réclament un ordre mondial plus juste. Et dans cette musique nouvelle, l’Azerbaïdjan entend une note familière : celle de sa propre lutte pour l’indépendance, pour la reconnaissance, pour une place à la table du monde.

C’est ainsi que démarre ce ballet diplomatique transatlantique. Un pas vers celles et ceux qui, comme Baku, n’ont pas peur de réécrire les règles d’un monde usé jusqu’à la corde.

Une offensive diplomatique patiemment construite

Ce n’est pas d’hier que l’Azerbaïdjan tisse des liens avec l’Amérique du Sud. Depuis le début des années 2000, les fondations sont posées. Des ambassades à Brasília, Buenos Aires, Mexico et La Havane viennent ancrer la présence azérie auprès des puissances régionales. Et même avec des pays où la présence est encore "hors-sol" — comme la Colombie, le Pérou, l’Uruguay, le Chili ou le Paraguay —, les contacts sont réguliers, suivis, solides.

Les visites bilatérales se sont multipliées, la participation active de Baku dans le cadre de la CELAC, du Mouvement des non-alignés ou encore du G77 a renforcé cette dynamique. Et surtout, un énorme travail de pédagogie diplomatique a été mené sur le conflit arméno-azéri et la défense du principe sacro-saint de l’intégrité territoriale. Résultat : dans les couloirs feutrés de l’ONU, beaucoup de voix latino-américaines se lèvent pour soutenir l’Azerbaïdjan. Et ce n’est pas rien.

Géo-économie : l’énergie, le blé, le lithium et les cerveaux

Mais les "bisous diplomatiques" ne suffisent plus. Ce qui compte désormais, c’est le nerf de la guerre : l’économie. Et là encore, l’alchimie opère.

Ce qui intéresse l’Amérique latine chez Baku :

1. L’énergie et la logistique. Les mastodontes pétroliers du Sud — Venezuela, Brésil, Équateur — observent attentivement le modèle SOCAR, sa manière de gérer le pactole des hydrocarbures sans tout cramer en 10 ans. L’Azerbaïdjan, bon élève de l’OPEP+, inspire. Il rassure. Il incarne cette maturité énergétique dont rêvent tant de capitales du Sud.

2. Les "smart solutions". Les projets de villages intelligents (ağıllı kənd) et villes intelligentes (ağıllı şəhər) dans le Haut-Karabakh éveillent l’intérêt en Bolivie, au Paraguay, au Guatemala. Des pays où la modernisation rurale n’est pas un luxe, mais une urgence vitale.

3. L’éducation et la santé. Cuba reste un phare dans le monde médical du Sud. Et là, la coopération avec Baku roule : échanges de médecins, formation de jeunes pros, projets communs. Rarement partenariat humanitaire a eu autant de fond.

4. Les grandes tribunes. L’Amérique latine pèse dans les enceintes internationales. Son appui à l’Azerbaïdjan dans les forums de l’ONU, du G77 ou du Mouvement des non-alignés est une vraie monnaie diplomatique. Une manière de dire : "On vous a compris, et on est avec vous."

Et ce que Baku cherche là-bas :

1. La sécurité alimentaire. L’après-Covid et les guerres en chaîne ont mis en lumière une vérité crue : manger, c’est stratégique. Le Brésil, l’Argentine, le Paraguay sont des poids lourds de l’agro-industrie. Avoir des filières d’import fiables, c’est assurer les frigos de demain.

2. Les terres rares. Le lithium, c’est l’or blanc du XXIe siècle. Et les rois du game, ce sont le Chili, la Bolivie, le Pérou. Pour ses batteries, ses projets verts, sa diversification industrielle, l’Azerbaïdjan regarde ces pays avec des yeux de stratège. Et pense déjà logistique : le corridor transcaspien pourrait devenir l’un des nouveaux axes de transport de ce matériau vital.

3. La coopération militaire-technique. EMBRAER, le géant brésilien de l’aéronautique, sait faire des drones et des avions légers. Une compétence précieuse alors que l’Azerbaïdjan muscle sérieusement son industrie de défense.

4. Des alliés dans la mêlée. Face au lobbying arménien qui tente de transformer chaque forum international en prétoire à charge, avoir des soutiens ou, à défaut, des neutres bienveillants en Amérique du Sud, c’est vital. Cela s’appelle du positionnement intelligent.

… Ce qui se joue ici dépasse de loin la géopolitique classique. L’Azerbaïdjan et l’Amérique latine, chacun à leur manière, déconstruisent un monde de domination pour construire un monde de coopération. Ce n’est pas une lubie, c’est une nécessité. Ce n’est pas un caprice, c’est un cap.

Et dans ce dialogue d’un nouveau siècle, c’est peut-être bien du Sud que viendra le Nord.

Chiffres et tendances : un décollage discret, mais un envol assuré

En 2024, l’Azerbaïdjan a enregistré un volume d’exportations d’environ 33 milliards de dollars. Pour l’instant, l’Amérique latine ne pèse qu’un petit bout dans ce gâteau, mais le mouvement est amorcé. Et cette fois, on ne fait pas du commerce par habitude, mais par stratégie.

  • Brésil : partenaire numéro un dans la région. Échanges commerciaux à hauteur de 52 millions de dollars — en hausse de 12 % sur un an. L’Azerbaïdjan exporte des produits pétrochimiques, et importe du sucre, de la viande, du café. Classique mais efficace.
  • Argentine : +15 % sur l’année, pour atteindre 9 millions de dollars. On y achète du vin, des produits agricoles, on y vend du pétrole raffiné, des produits chimiques.
  • Chili et Colombie : on discute agriculture et pétrochimie. Et côté ONU, la Colombie — comme l’Uruguay — est souvent dans le camp de Baku.

Diplomatie à longue portée : de l’épisodique au systémique

L’année 2024 a marqué un tournant. L’Azerbaïdjan a mis les bouchées doubles côté diplomatie vers l’Amérique latine. Des rencontres bilatérales de haut niveau avec des figures politiques brésiliennes, argentines et colombiennes ont clairement montré que Baku ne relègue pas l’Amérique latine au second plan. On ne s’est pas contenté de paroles creuses : on a discuté concret — énergie, logistique, transformation numérique, coopération humanitaire. Du solide, du projetable.

Sur la scène multilatérale, Baku muscle aussi son jeu. Mouvement des non-alignés, G77, Nations Unies : ces arènes deviennent des lieux de convergence d’intérêts. On y parle souveraineté, égalité, refonte de la gouvernance mondiale. Mais les ambitions se heurtent encore à quelques murs : manque de liaisons directes maritimes et aériennes, logistique bancale, chaînes d’approvisionnement trop longues. Bref, ça rame.

Mais le remède est là, en train de se dessiner : le corridor international transcaspien (TITR), boosté par les plateformes logistiques en Turquie et Espagne, pourrait bien être le chaînon manquant entre les Andes et le Caucase — avec des prolongements vers l’Asie centrale, la Chine et l’Europe. L’axe Bakou–Amazonie prend forme.

Axes prometteurs : du pragmatisme au pacte stratégique

1. Une nouvelle architecture diplomatique

L’Azerbaïdjan ne veut pas juste dialoguer, il veut bâtir une plateforme. Son emplacement unique entre Europe, Asie et mer Caspienne fait de lui un pont géopolitique naturel. D’où l’idée de créer un Forum « Azerbaïdjan – Amérique du Sud ». Une agora où se croiseraient patrons, députés, experts — histoire de sortir la relation du PowerPoint et la poser sur des rails. En parallèle, Baku propose des réseaux de missions économiques et des think-tanks conjoints pour donner une voix au Sud global dans les débats internationaux.

2. Investissements dans la logistique et le transport transcontinental

Les opérateurs logistiques sud-américains lorgnent de plus en plus sur Baku comme point d’ancrage. Un hub bien situé, sur la route de la soie, avec port en eau profonde à Alat, et bientôt une voie ferrée à travers le corridor du Zanguezour. Le Brésil et le Chili, notamment dans le privé, sentent l’opportunité. Et l’Azerbaïdjan ne manque pas d’atouts pour jouer la carte logistique à fond.

3. Transition énergétique et diplomatie verte

L’expérience azerbaïdjanaise dans les énergies renouvelables titille déjà la curiosité de pays comme le Chili, l’Uruguay ou le Brésil — tous engagés dans une transition verte ambitieuse. L’idée ? Monter ensemble des parcs solaires et éoliens, partager les savoir-faire sur le stockage d’énergie, sur l’hydrogène ou encore sur l’intégration des ENR dans les réseaux. Le jackpot potentiel ? Impliquer les entreprises sud-américaines dans les territoires libérés du Karabakh, que Baku veut transformer en vitrines de l’économie verte. Du concret, du win-win.

4. Institutionnalisation de la coopération

L’Azerbaïdjan pousse à solidifier le lien. Un forum, oui, mais aussi un ancrage institutionnel dans les grands forums Sud-Sud. Le Mouvement des non-alignés, où Baku joue les premiers rôles, reste un levier important. On parle aussi de mieux coordonner les votes dans les instances internationales, de développer la diplomatie parlementaire, d’intensifier les échanges culturels et académiques. Bref, donner chair à l’alliance.

Miser sur le Sud global : une nouvelle formule de développement

Ce que l’Azerbaïdjan est en train de dessiner avec l’Amérique latine dépasse largement le simple intérêt économique. C’est une nouvelle grammaire des relations internationales, un modèle fondé sur la multipolarité, la dignité mutuelle, le co-développement. Une vision où le Sud n’est plus une périphérie à sauver, mais un acteur majeur de la redéfinition du monde.

Et dans cette danse des continents, le Caucase et l’Amazone pourraient bien devenir les nouveaux partenaires de tango de la planète multipolaire.

Des alliances inattendues, mais pleines d’évidence : l’Azerbaïdjan et l’Amérique latine écrivent leur chapitre du XXIe siècle

Dans les toutes prochaines années, les axes majeurs de la coopération bilatérale entre l’Azerbaïdjan et les nations latino-américaines vont s’affiner, se structurer et, surtout, gagner en intensité :

  • Énergie : partages de savoir-faire dans les secteurs pétrolier et gazier, mais aussi co-développement de projets verts, notamment dans l’éolien, le solaire et l’hydrogène.
  • Agro-industrie : sécurité alimentaire, investissements croisés dans les agro-technologies, la logistique des flux agricoles et la souveraineté nutritionnelle.
  • Éducation & culture : programmes pour étudiants, cours de langue, festivals croisés, échanges d’artistes, ponts académiques et humanistes.
  • Infrastructures & logistique : traçage de nouveaux corridors transcontinentaux entre Atlantique Sud et mer Caspienne — une sorte de nouvelle Route de la Soie version Sud global.

Mais le vrai catalyseur de ce rapprochement, c’est l’institutionnalisation. Si l’on veut que la dynamique azerbaïdjano-latino-américaine ne reste pas à l’état d’intentions sympathiques, il va falloir muscler le jeu : plus de diplomatie économique, plus de missions commerciales, plus de coopération universitaire, plus de synergies médiatiques. Il faut transformer le symbolique en stratégique, l’élan en ancrage.

Et c’est là que réside le plus grand paradoxe – et la plus belle opportunité – du XXIe siècle : les pays longtemps considérés comme "périphériques" deviennent aujourd’hui les architectes d’un nouvel ordre mondial. L’Azerbaïdjan et les nations d’Amérique latine, séparés par des océans mais unis par une même volonté de souveraineté, de développement durable et de justice globale, entrent dans une ère de parenté stratégique.

Ce lien n’a pas besoin de grandiloquence, de dogmes idéologiques ou de formules creuses. Il naît des cicatrices communes, des récits partagés de luttes pour l’émancipation, de décennies passées à affirmer son identité face aux grandes puissances. Ce n’est pas une alliance de dominants contre dominés. C’est une rencontre entre égaux, à la croisée de forces complémentaires : ici, l’intelligence énergétique et logistique ; là-bas, la force démographique, agricole et culturelle.

Pendant que l’Occident s’épuise à exorciser ses vieux démons, ces nouveaux partenaires posent les premières pierres du monde de demain — un monde de technologies sobres, d’écosystèmes numériques inclusifs, d’échanges éducatifs profonds, un monde qui valorise la diversité plutôt que la norme.

L’Azerbaïdjan ne se contente plus de "regarder" l’Amérique latine — il commence à y reconnaître une part de ses propres ambitions, un miroir lointain de ses espoirs. Et l’Amérique latine, elle, ne frappe pas juste à la porte de l’Eurasie — elle entrouvre les portes d’un monde nouveau, fondé sur l’équité, la réciprocité stratégique et le respect mutuel.

Ils avancent l’un vers l’autre, non pour s’unir contre un ennemi commun, mais pour s’ancrer ensemble dans un avenir multipolaire — plus équilibré, plus juste, plus intelligent. Et peut-être que ce sont justement ces alliances discrètes, profondes, patientes, qui détermineront si le monde de demain sera un chaos fragmenté ou une architecture cohérente et solidaire.

L’Azerbaïdjan et l’Amérique latine ont fait leur choix.
Un choix d’histoire.
Une histoire encore en train de s’écrire — à quatre mains, à travers les océans.

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