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TRAFIC D’ANTIQUITÉ ÉGYPTIENNES AU LOUVRE : LA MAFIA ARMÉNIENNE AU CŒUR DE L’ENQUÊTE

28 Juin 2022 15:29 (UTC+01:00)
TRAFIC D’ANTIQUITÉ ÉGYPTIENNES AU LOUVRE : LA MAFIA ARMÉNIENNE AU CŒUR DE L’ENQUÊTE
TRAFIC D’ANTIQUITÉ ÉGYPTIENNES AU LOUVRE : LA MAFIA ARMÉNIENNE AU CŒUR DE L’ENQUÊTE

Le 25 mai 2022, Jean-Luc Martinez, ex- président du Louvre Abu Dhabi, était mis en examen dans le cadre d’une enquête sur un trafic d’antiquité égyptiennes.

Au coeur de cette enquête, une famille de marchands d’arts, d’origine arménienne, les Simonian. C’est depuis un luxueux immeubles du quartier ultra-huppé d’Oberstrasse, à Hambourg, en Allemagne, qu’officient les contrebandiers, qui récupèrent, en toute illégalité, des objets de grande valeur à la suite de fouilles clandestines, comme le célèbre sarcophage de Nedjemankh, finalement restitué à l’Egypte en 2019.

Une instruction, menée par le juge Jean-Michel Gentil, a été ouverte en 2018. Des mandats d’arrêt européens ont été lancés en septembre 2020 à l’encontre de trois membres de cette famille : Simon Hagop et Serop Simonian. résidant en Allemagne. Leurs domiciles ont été perquisitionnés en août de la même année. Pourtant, aucun membre de la famille n’a encore été auditionné par la justice. « Nous ne les avons pas extradés pour deux raisons, l’une d’ordre familiale, car certains ont des enfants en bas âge. L’autre selon le principe Non bis in idem, qui ne permet pas de juger des personnes deux fois pour la même chose. Nous devons achever les investigations en Allemagne ce qui serait impossible s’ils sont envoyés en France », précise une porte-parole du procureur de Hambourg, rappelant « que ces trois personnes n’ont pas encore été entendues par la justice allemande ».

Le Louvre d’Abu Dhabi dans la tourmente

Le Louvre Abu Dhabi expose aujourd’hui une stèle en granit rose d’un mètre soixante-dix, gravée au nom du pharaon Toutânkhamon. « Un objet exceptionnel à plus d’un titre », rappelle l’égyptologue Marc Gabolde, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier,

Or, la justice soupçonne un expert en antiquités, Christophe Kunicki, et un marchand, Roben Dib, d’avoir produit de faux documents pour « blanchir », cette pièce unique, ainsi que des centaines d’autres, en réalité pillées dans différents pays du Proche et Moyen-Orient.

Christophe Kunicki, expert pour la maison de vente Bergé & Associés, a attiré l’attention de la police à la suite de la vente, en 2017, du fameux sarcophage doré du prêtre Nedjemankh, pour 3,5 millions de dollars, au Metropolitan Museum de New York. L’expert avait alors garanti, documents à l’appui, que le sarcophage avait quitté le pays en toute légalité, en 1971.

Une enquête, menées par les autorités américaines, françaises, allemandes et égyptiennes, avait établi que le cercueil avait été volé lors du soulèvement populaire en 2011 contre le président égyptien, Hosni Moubarak. Le sacrophage avait été finalement restitué à l’Egypte en 2019 ;

Le Louvre Abu Dhabi, qui a acquis sept pièces par le biais de cette même filière, devra sans doute s’en séparer aussi.

Les deux protagonistes de la vente étaient à l’origine alimentés en objets d’antiquité volés, par la famille Simonian.

Une patiente enquête commencée en 2013

Mort en 2020 aux Etats-Unis, Simon Simonian aurait été, selon l’adjoint au procureur de Manhattan, Matthew Bogdanos, dont les propos ont été recueillis par les journaliste du quotidien « Le Monde », « le cerveau » de l’affaire. Son frère Serop, né au Caire, en 1942, et naturalisé allemand, qui officiellement dirige une entreprise de numismatique, Dionysos Coins and Antiquities , était plus particulièrement chargé du marché européen.

Le marchand, indique « Le Monde », qui aime qu’on lui donne du « Herr Doktor », détiendrait pas moins de 25 000 objets d’antiquité entreposés en Europe et au Proche-Orient. Le 28 juillet 2020 l’OCBC soulignait « l’importance de sa position dans le trafic international d’antiquités qui perdure depuis de nombreuses années » et suggérait de réétudier l’ensemble des données le concernant.

Les Simonian affirmaient avoir récupéré la collection de Saieb Bey Khashaba, un riche Egyptien qui aurait financé des fouilles dans la région d’Assiout, dans les années 1910. Sur les sept objets égyptiens achetés par le Louvre Abu Dhabi, quatre sont gratifiés de cette provenance, notamment l’ensemble funéraire de la princesse Hénouttaouy. Les enquêteurs s’interrogent sur l’authenticité de cette histoire. La fratrie est en réalité dans le collimateur de Matthew Bogdanos depuis 2013.

Le pillage d’antiquité est en Egypte une véritable industrie internationale qui a alimenté, depuis des décennies, aussi bien les scénarios hollywoodiens que tribunaux et les geôles égyptiennes.

Pourtant, un événement lui a donné un essor inattendu : la révolution de 2011.

En 2011, de nombreux entrepôts contenant des antiquités dans le secteur de Saqqara, au sud du Caire, ainsi qu’à Akhmim et Qantara sont pillés. Les voleurs envoient alors des photos sur internet pour attirer les acheteurs.

Matthew Bogdanos découvre ainsi, en 2013, un millier de clichés d’antiquités égyptiennes à la provenance douteuse. Il suit alors ces objets dans l’attente d’une éventuelle mise sur la marché.

En 2018, lorsque, à l’occasion d’un gala au Metropolitan Museum, l’influenceuse arménienne Kim Kardashian, se fait photographier devant le sarcophage de Nedjemankh. L’un des trafiquants du cercueil, qui devait être payé à la revente, tombe sur l’image devenue virale sur les réseaux sociaux et s’estime floué. Il s’en plaint à un complice, lequel se révèle être l’indicateur du procureur.

Un trafic particulièrement bien organisé

Dans ce trafic, l’intermédiaire Roben Dib, un galeriste et marchand d'art libano-allemand, extradé en France après avoir indiqué vouloir collaborer avec la justice et mis en examen et écroué à Paris le 14 mars dernier, est à la fois le disciple et l’homme de main de Serop Simonian.

Roben Dib fabrique de faux documents sur une vieille machine à écrire chinée à Berlin, qui, de façon étonnante, n’éveillent pas les soupçons des musées acheteurs. « Qui, en dehors de la police, irait vérifer les tampons, passer les documents au peigne fn, se rendre compte qu’un certifcat est signé en 1980 par un chercheur mort en 1979, découvrir qu’un diplomate qui a bel et bien existé avait 8 ans à l’âge où il est supposé avoir acheté un objet ? », ironise Matthew Bogdanos.

Tout ce trafic est particulièrement juteux : La vente du sarcophage de la princesse Hénouttaouy rapporte 3,7 millions d’euros à Abraham Simonian, le fils de Serop. Au passage, Christophe Kunicki encaisse 1,5 million d’euros, Roben Dib (et sa mèren Nassifa El-Khoury) empochent 720 000 euros.

Quand l’argent sème la zizanie

Mais l’appât du gain, surtout quand il s’agit de d’argent mal acquis, rend fou, et fait oublier aux protagonistes la plus élémentaire des règles mafieuses : l’unité du clan.

Très vite un litige oppose Simon et Serop Simonian, dont le fils, Ohan, menace de dénoncer soin oncle à propos d’un tête de Cléopâtre et de la stèle de Toutankhamon, un ensemble que le Louvre Abu Dhabi achètera plus tard pour 43,5 millions d’euros. Dalia Nassif, l’ex-épouse de Roben Dib, dénonce son ex-mari au Canada pour obtenir la garde de son fils .

« Le réseau des Simonian est aujourd’hui démantelé », affirme Matthew Bogdanos. Mais selon lui « Les trafiquants qui travaillaient avec les Simonian vont trouver d’autres employeurs. » Et des centaines d’objets de provenance « Simonian » dorment encore dans des collections privées. Certains risquent de ré-apparaître. Les enquêteurs américains, allemands et français attendent qu’ils fassent surface…

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