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CONFLIT DU KARABAKH - LA ROUTE LA PLUS COURTE DE BAKOU À EREVAN PASSE PAR ANKARA

10 Novembre 2021 18:38 (UTC+01:00)
CONFLIT DU KARABAKH - LA ROUTE LA PLUS COURTE DE BAKOU À EREVAN PASSE PAR ANKARA
CONFLIT DU KARABAKH - LA ROUTE LA PLUS COURTE DE BAKOU À EREVAN PASSE PAR ANKARA

Par Gil Mihaely
Journaliste, politologue

8 novembre 2021

Il y a un an la deuxième guerre de Karabagh a pris fin avec la reprise par l’Armée azerbaidjanaise d’une grande partie du Karabakh et surtout de la ville de Shusha. Dans la foulée l’Azerbaïdjan a déclaré ne plus avoir d’exigences territoriales. Pour Bakou le conflit est terminé, Xankendji peut rester Stepanakert – sacrifice à ne pas prendre à la légère - et l’Arménie est invitée à entériner la situation et entrer dans une négociation dont l’enjeu principal sera économique. Or, pour le moment il semblerait qu’en Arménie la défaite ne passe pas. Pire, elle constitue un traumatisme renforçant un sentiment de victimation nourri d’une histoire longue et douloureuse et encouragé par une diaspora souvent plus royaliste que le roi. Comment sortir de l’impasse ? le premier pas est de comprendre que le tête-à-tête entre Bakou et Erevan n’était pas le bon cadre pour traduire les nouveaux rapports de force entre les deux ennemis en un arrangement durable mettant fin au conflit armé ?

Il y a un siècle, le 13 octobre 1921, la Turquie kémaliste a signé le traité de Kars avec les républiques soviétiques transcaucasiennes, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. La grande Arménie, créée par le traité de Sèvres, s’est considérablement rétrécie et poussée vers l’Est. Comme dans un mouvement tectonique de la géopolitique, les territoires du continent russe – L’Azerbaïdjan et la Géorgie - se heurtent à un bout du continent ottoman englouti. Dans le cas de l’Arménie et l’Azerbaïdjan l’histoire de l’Empire défunt a encore chargé le choc avec l’énergie de la mémoire.

Sept décennies plus tard, en 1993 quand, peu de temps après que l’Empire russe se soit de nouveau reflué du Caucase du Sud, l’Etat forgé par Mustapha Kemal a fermé sa frontière avec l'Arménie pour protester contre l’occupation du Karabakh. Le statut de ces territoires restait un obstacle pour tout rapprochement entre Ankara et Erevan. Suite au cessez-le-feu négocié par la Russie en novembre 2020 et la restitution des territoires azerbaidjanais, la Turquie a fait savoir que désormais le principal obstacle bloquant l'établissement de liens officiels avec l'Arménie est levé. En conséquence, La voie de ce que le président turc qualifie de "normalisation des relations" est ouverte. L'Arménie a accueilli très favorablement les signaux envoyés d’Ankara et Bakou a donné sa bénédiction. Dans ces conditions on peut imaginer des contacts entre les deux gouvernements autour de l'ouverture de la frontière et les relations économiques. Un dégel des relations turco-arméniennes permettrait aux diplomates, fonctionnaires et hommes d’affaires de tisser des liens et préparer le terrain et les cœurs pour la suite. Cependant, une réconciliation demeure une perspective lointaine. La question de la responsabilité de l’État ottoman dans les terribles massacres des arméniens en 1915 et donc leur qualification de génocide reste un obstacle difficilement franchissable dans le contexte politique actuel. Ni Erdogan ni Pachinian ne sont en situation de faire des concessions symboliques aussi importantes.

En même temps, le rapprochement entre Ankara et Erevan permettra aux deux acteurs de dégager une marge de manœuvre vis-à-vis de Moscou, puissance aussi incontournable qu’incomburante. Pour la Turquie, une normalisation avec l'Arménie est donc le moyen de se mettre à table pour les prochaines négociations de paix régionale. Pour l'Azerbaïdjan ce sera un moyen de contrebalancer la Russie. Mais quadrupler le triangle Bakou, Erevan Moscou en ajoutant Ankara n’est pas nécessairement au détriment de la Russie car la Turquie est une pièce importante dans le grand jeu russe avec l’Occident. Malgré leurs divergences multiples, Erdogan et Poutine sont d’accord pour sortir l’Europe et les Etats-Unis de la région.

Un désenclavement de l’Arménie – par l’ouest d’abord – pourrait avoir un effet positif sur l’opinion publique en Arménie car l’état d’esprit de la victime assiégée alimente les peurs et l’esprit de revanche, l’obstacle le plus important à la paix dans la région. Ainsi, si les Arméniens continuent à affirmer que la guerre avec l’Azerbaïdjan n’a pas été déclenchée pour des raisons économiques et en conséquence que la paix ne sera pas obtenue par les négociations économiques, reconnecter l’Arménie avec le monde et voir tomber des murs n’est pas un élément purement économique dans la vie d’une nation.

Aujourd’hui, un an après la guerre et un siècle après Kars, la Turquie et surtout le réchauffement de relations Ankara-Erevan, incarnent le meilleur espoir pour un processus de réconciliation et de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

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