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France-Turkménistan : Entretien exclusif avec M. Julio BENDEZU-SARMIENTO, coresponsable de la Mission archéologique franco-turkmène (MAFTUR)

3 Mai 2021 05:55 (UTC+01:00)
France-Turkménistan : Entretien exclusif avec M. Julio BENDEZU-SARMIENTO, coresponsable de la Mission archéologique franco-turkmène (MAFTUR)
France-Turkménistan : Entretien exclusif avec M. Julio BENDEZU-SARMIENTO, coresponsable de la Mission archéologique franco-turkmène (MAFTUR)

Paris / Lagazetteaz

Le Turkménistan et la France développent constammentleurs relations économiques, celles liées à la culture et l’éducation, en mettant l'accent sur les projets de formation et de recherche. Depuis 1994, le Ministère de la Culture du Turkménistan a établi des contacts étroits avec les archéologues français. Dans le cadre de cette coopération, la Mission archéologique franco-turkmène (MAFTUR) mène des fouilles sur le site d'Ulug dépé depuis 2001. Dans ce témoignage, M. Julio BENDEZU-SARMIENTO, coresponsable de la MAFTUR, nous a fait un point sur les activités en cours du groupe de recherche turkméno-français, ainsi qu’il est revenu sur l’importance historique du patrimoine au Turkménistan.

Le Ministère de la Culture du Turkménistan a établi des contacts étroits avec les archéologues français. Dans le cadre de cette coopération, la Mission archéologique franco-turkmène (MAFTUR) mène des fouilles sur le site d'Ulug-dépé depuis 2001. De quoi consistent-ils vos activités ?

Dans ce pays riche en histoire, le programme de la MAFTUR, créée sous la direction du Pr. Olivier LECOMTE (CNRS) et du Pr. Egen ATAGARRYEV a un historique qui débute en 1994 avec l'exploration du Dehistan archaïque sur le site de Geokchik depe (1994-1997) dans la plaine de Misrian.

Effectivement, à partir de 2001, une nouvelle page s'est ouverte lorsque l'exploration archéologique a commencé dans le sud-est du Turkménistan, sur le site d'Ulug-dépé, à environ 170 km à l'est de la capitale, dans l'etrap de Kaahka, une zone rendue célèbre par la présence des sites comme Namazga-dépé et Altyn-dépé. Nos travaux de fouilles se déroulent chaque année en continu depuis 2001, grâce à un accord avec le Ministère de la Culture et la codirection et le soutien de la Direction turkmène pour la protection, l'étude et la restauration du patrimoine historique et culturel, sous la direction de Mohammed MAMEDOW (coresponsable de notre mission), mais également à l’aide technique et administrative du Parc archéologique d'Abiverd.

Nos objectifs, qui sont principalement de deux ordres, cordonnent et organisent nos multiples activités de fouilles, de restauration d’objets, de conservation des monuments et de formation aux métiers d’archéologue et autres sciences connexes sur place.

Le premier objectif est purement scientifique, car il ne faut pas oublier que le Turkménistan a joué un rôle majeur dans le développement des cultures sédentaires en Asie centrale. Ce rôle peut être comparé à celui de la terre d'Irak dans le développement du Croissant Fertile : un processus long et progressif qui a commencé au Néolithique a été observé près d'Achgabat sur le site de Djeïtoun au cours du 6ème millénaire. Par la suite, l’étude archéohistorique de la séquence stratigraphique de plusieurs millénaires sur le site d’Ulug-dépé est aujourd’hui une référence pour toute l'Asie centrale de la protohistoire aux périodes historiques. Le deuxième objectif prioritaire est la formation des générations futures d’archéologues turkmènes mais aussi internationaux. Certains chercheurs européens aujourd’hui en poste, dont moi-même, ont été formés à l’archéologie centrasiatique sur le site d’Ulug dépé. Ces dernières années aussi, grâce à la mise en place d’un laboratoire de restauration dans notre base archéologique à Dushak, nous avons pu organiser des stages de formation à la restauration des métaux mais aussi de la peinture et de la céramique. Notre principale découverte, la citadelle d’Ulug-dépé, a aussi bénéficié d’une conservation sur la brique crue qui a pu permettre la formation in situ de plusieurs restaurateurs turkmènes.

Nous en sommes conscients que les représentants du Turkménistan négocient avec la partie française pour organiser une exposition des objets d'Ulug-dépé au Musée du Louvre à Paris. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

Il ne s’agit pas uniquement des objets d’Ulug -dépé, mais plutôt d’objets représentatifs de l’ensemble du patrimoine archéologique turkmène. Ce patrimoine a très peu voyagé et quand il l’a fait le succès a été immédiat. Cependant, dans le monde occidental ce patrimoine reste méconnu et il est évident que de par son ampleur et sa richesse il mérite d’être exposé dans les meilleurs musées du monde. Le gouvernement turkmène à travers sa diplomatie a fait connaitre son souhait évidemment que Paris, capital culturelle du monde, soit un choix prioritaire pour une grande exposition. Cependant, l’organisation (scientifique, juridique et technique…) d’un tel événement n’est pas chose facile, pour aucun musée du monde, cela peut prendre plus d’une dizaine d’années comme par exemple celle sur l’Ouzbékistan au Louvre « Splendeurs d'Asie centrale. Sur les routes caravanières d'Ouzbékistan » qui vient d’être reportée, et pas uniquement à cause de la COVID, à 2022.

Par quoi s’en distingue le site a ville d’Ulug-dépé ?

À Ulug-dépé la dynamique des recherches s’organise autour de la caractérisation culturelle régionale et des problématiques, du Néolithique à l’âge du Bronze final, définies par les archéologues turkmènes et soviétiques à partir des sites voisins comme Dzheitun, Ilghynli -dépé, Namazga -dépé et Altyn -dépé. Dans le contexte scientifique actuel, Ulug -dépé constitue un site majeur en Asie Centrale, en raison de sa très longue stratigraphie (la plus longue d’Asie centrale), de sa surface d’environ 17 ha et de sa hauteur supérieure à 30 m. C’est en outre le seul d’Asie centrale où l’on peut documenter toutes les périodes allant du Chalcolithique ancien au milieu du premier millénaire avant notre ère.

Durant les premières campagnes de fouilles (2001-2009), l’exploration s’est portée au sommet du site sur la fouille de la citadelle du début de l’âge du Fer moyen (période Yaz II, environ 1100-1000 à 600 avant notre ère.), très mal connu dans cette région d’Asie centrale. Cet établissement fortifié, de même que la ville basse qu’il domine à l’est, est unique de par sa surface d’occupation et l’histoire qu’elle renferme. Il y a donc là matière à définir précisément les caractéristiques culturelles de la période pré-achéménide ainsi que les modalités d’organisation politique des dirigeants autochtones dans cette région et au-delà. Nous avons découvert et fouillé plusieurs édifices monumentaux et domestiques, ainsi que des tronçons du mur d’enceinte et un réseau viaire associés à plusieurs portes d’entrées anciennes dans la ville.

La citadelle à deux étages, érigée en partie sur une puissante plateforme, mesure 40 m de côté avec une façade décorée par des redans et des archères défensives. De nombreuses empreintes de scellements de jarres en terre crue, laissées par des sceaux variés, ont été découvertes à l’intérieur. Il s’agit là d’une découverte importante témoignant de l’existence d’un pouvoir régional et de la gestion centralisée des denrées. Lors de notre dernière campagne de fouille à l’automne 2019, deux grands bâtiments, dont l’un possède la même architecture et dimension que la citadelle, ont été mis au jour au nord-est du site. Ces découvertes confortent l’idée que l’on avait de l’importance politico-économique régionale qu’a pu jouer Ulug -dépé, dont témoignent sa taille et sa position géographique.

Un mot sur votre objectif ?

Nous avons déjà dit quelques mots plus haut sur nos objectif principaux, je voudrais juste rajouter qu’actuellement les travaux de la MAFTUR sur place et les différentes études paléo-enviromentales que nous réalisons en collaboration avec des laboratoires en France et à l’international, ont pour objectif de préparer au mieux les monographies scientifiques et grand public pour une meilleure mise en valeur dans le monde du patrimoine turkmène et son apport à l’histoire de l’humanité dans cette partie du monde. Il sera également important de mettre en place une exposition internationale dont nous espérons qu’elle aura lieu de prime abord dans l’un des principaux musées parisiens.

Au moment de la découverte d'un vase en albâtre

Les fouilles au sommet du site d'Ulug-dépé

Le site d'Ulug dépé avec le Kopet dag en arrière

Le Site d'Ulg-dépé

Travail de fouille dans la citadelle

Travail de fouille sur le chantier n°5

Travail de fouille sur le chantier n°1

Vue aérienne de la citadelle

Travail dans le laboratoire de restauration

Travail de restauration de la céramique

Céramique de l'âge du Bronze (fin du 3e millénaire avant n.è)

Céramique de l'âge du Fer ancien (1400-1500 avant notre ère)

Céramiques de l'âge du Fer moyen (1000-700 avant notre ère)

Propos recueillis par Samid NASIROV

Photos crédits @ MAFTUR

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