LES ÉCRIVAINS ALGÉRIENS DAOUD ET SANSAL, OU LES DÉLICES DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE
Paris / La Gazette
Zemmour, BHL, Sarkozy, Ruth Elkrief, Sonia Mabrouk, l’ensemble de la presse française libre et indépendante : Le Figaro, Marianne, Le Monde, Causeur, Cnews, sont vent debout, dans une émouvante unanimité, contre l’ignominieuse injustice dont sont victimes deux immenses écrivains algériens.
Ces stars du 16:9 et ces et ces medias d’ordinaire si prompts à casser du bougnoul, prendraient-ils la défense d’auteurs arabes ?
Ne cherchez pas la caméra cachée. Ces deux écrivains ne sont pas n’importe qui.
Ces auteurs sont les chouchous de la droite française. Pourquoi ? Parce qu’ils s’en prennent régulièrement à leur propre pays, l’Algérie, et ne ratent pas une occasion pour fustiger l’islam et les musulmans qu’ils désignent comme la cause de tous les malheurs du monde.
La droite française (et la gauche) islamophobe et anti-palestinienne adore ce type de personnage qui, en jouant « contre leur camp », légitiment plus que n’importe qui ses propos racistes et xénophobes.
Jusqu’ici, la fachosphère s’était contentée de mettre en avant des personnages comme Hassan Chalghoumi, dont les discours ubuesques ont fini par ne plus être crédibles, surtout que depuis que l’humoriste Malik Bentalla en a fait une parodie assassine. Elle possédait encore dans sa besace Zineb El Razhoui, qui avait même reçu le prix Simone Veil pour ses propos anti-musulmans. Mais, pas de chance, celle-ci a eu l’immense courage de reconnaître ses erreurs et de s’opposer publiquement au génocide de Gaza, ce qui lui a d’ailleurs valu le retrait de son prix. Une belle illustration de la liberté d’expression en France.
En réalité, Daoud et Sansal sont beaucoup plus interessants, car ce sont des écrivains à tirage.
Kamel Daoud, dont le premier roman, « Meursault contre-enquête » se voulait une suite de « L’étranger » de Camus, est accusé d’avoir purement et simplement utilisé, au mépris du secret médical, le dossier médical d’une patiente de son épouse psychiatre pour écrire son dernier roman « Houris », Prix Goncourt 2024. L’intéressée, ancienne victime du terrorisme en Algérie, avait pourtant refusé que son histoire personnelle, particulièrement douloureuse, serve de trame à un roman de Daoud. La maison d’édition Gallimard, a alors soutenu que son auteur était victime d’un « complot », ce qui n’a naturellement convaincu personne. Alors que Kamel Daoud est pressé de questions par les journalistes, il esquive le sujet et préfère centrer le débat sur le sort de son « frère » Boualem Sansal pour lequel il lance un appel au soutien.
Celui-ci a en effet été arrêté et placé en garde à vue lors de son voyage à Alger. C’est cette arrestation qui a soulevé l’indignation de la classe islamophobe française. Pour le magazine Le Point, il s’agit ni plus ni moins que d’une « attaque contre la libre pensée dans le monde arabe ». Car si la liberté d’expression est muselée en France – rappelons que le simple fait de porter un keffieh palestinien dans la rue peut vous valoir une amende et même une garde à vue – on n’hésite pas à l’exiger des pays étrangers.
Sansal sera finalement libéré à la suite d’une garde à vue prolongée.
Mais qui est Boualem Sansal ?
Boualem Sansal est un écrivain algérien qui a obtenu la nationalité française en 1984, mais vit en Algérie. Il est né à Theniet El Had, près de Tissemsilt, en 1949, d’une mère algérienne et d’un père d’origine marocaine installé en Algérie. Après une solide formation (ingénieur à l’école polytechnique d’Alger et doctorat en économie en France), il a fait une carrière comme haut cadre au ministère de l’Industrie jusqu’en 2003. Boualem Sansal avait commencé à publier quelques années plutôt des ouvrages contre le terrorisme alors que le pays luttait contre la violence islamiste. Il publie ensuite de nombreux romans, nouvelles et essais, dont « 2084 : la fin du monde» , inspiré du roman prophétique «1984» de Georges Orwell, qui lui a valu le prix du roman de l’Académie Française.
Il se rend très vite compte de ce qui plait au public occidental, notamment français, et plus particulièrement à la droite nostalgique de l’Algérie française. Ses romans deviennent des brûlots contre l’Islam, les musulmans et aussi son propre pays, l’Algérie. Le succès est immédiat. Il publie ainsi en vingt ans une quarantaine d’ouvrages à succès basés sur un discours anti-musulman et anti-immigrés, ce qui lui ouvre à battants ouverts les portes des medias. Dans « Le village de l’Allemand », paru en 2008, il n’hésite pas à faire le parallèle entre islamisme et nazisme.
Il franchit un pas de plus en se rangeant du côté de la politique israélienne et devient un habitué des plateaux du CRIF où ses formules sont reçues comme du pain bénit : « L’islamisme est un boa constrictor qui finira par étouffer la France » , « Dans 50 ans, l’islamisation aura, à ce point, gagné qu’elle pèsera sur les fondamentaux français ». « L’islam est incompatible avec la démocratie », « L’islam est devenu une loi terrifiante, qui n’édicte que des interdits, bannit le doute ».
En 2012, il se rend en Israël et se fait filmer au pied du mur des Lamentations. En 2018, il prend part à la rédaction du « Manifeste contre l’antisémitisme » sous la direction de Philippe Val, devenant ainsi, pour la droite ( mais pas seulement) islamophobe une sorte de « Chalghoumi intellectuel ».Philippe de Villiers dit de lui : « Je l’ai connu au Cercle algérianiste et nous sommes devenus des amis, avec l’ambassadeur Xavier Driencourt et toute une équipe ». Le Cercle algérianiste est une association de nostalgiques de l’Algérie française.
En fait, jusque là, les dérapages de Sansal ne l’avaient pas empêché d’être publié en Algérie, Mais lors d’un entretien donné récemment au média français d’extrême droite Frontières, il a, selon Alger, dépassé les bornes. Il y explique que le territoire du royaume chérifien aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie. Toute la partie ouest de l’Algérie aurait fait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et Mascara. Il y a ajouté que le Maroc n’a pas été réellement colonisé par la France car il s’agissait d’un grand État, contrairement à l’Algérie qu’il qualifie de « petit truc ». Il soutient également que les indépendantistes algériens des années 1950 avaient promis au Maroc, contre une aide matérielle et diplomatique du royaume, de lui restituer cette portion du territoire indument octroyée par la puissance.
Sansal appuie également la position marocaine concernant le Sahara occidental.
Après tout, qu’un auteur algérien cherche à séduire le lectorat français n’a rien de condamnable, sauf que sa cible n’est pas un public avide de connaître l’Histoire, mais les nostalgiques de la domination coloniale française, les défenseurs d’un suprémacisme blanc raciste et xénophobe, et ceux qui tentent à longueur d’antenne de justifier les crimes de Netanhyaou, les uns et les autres étant les mieux placés pour lui apporter reconnaissance et gloire. Quant à sa position sur le Maroc, elle aurait pu paraître sincère si elle n’était pas intervenue juste après que la France et le Maroc aient décidé de réchauffer, du moins pour le moment, leurs relations bilatérales.
Boualem Sansal s’engouffre, avec la délectation de la servitude volontaire, décrite par La Boétie, mais aussi rappelée avec humour par Sacha Guitry dans « Désiré », dans les fantasmes de « l’islamisation de la France », et du « grand remplacement ». C’est ce qui en fait l’un des auteurs les plus cités par Eric Zemmour. Sansal apparaît ainsi véritablement comme le « frère » de Kamel Daoud, qui prétendait en mai 2024, que la cause palestinienne servait à légitimer « la haine, souvent antisémite, dédouanée par une nouvelle épopée décoloniale », reprenant ainsi quasiment mot pour mot les délires néo-colonialistes et islamophobes de Robert Ménard ou de Caroline Fourest.
Et parmi les plus ardents défenseurs de Boualem Sansal, on trouve tout naturellement les extrémistes arméniens qui saluent, dans un post X, "l'écrivain humaniste et engagé pour la défense des libertés [qui] a plusieurs fois manifesté son soutien à l'Arménie et à l'Artsakh"
Alors, que faire de ces deux « Kapos » de la littérature ? La prison n’a jamais été la place des écrivains, quelle que soit la médiocrité de leur pensée. Mieux vaut les ignorer et, comme le proposait Giscard d’Estaing « Laisser les choses basses mourir de leur propre poison ».