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KARABAKH: RUBEN VARDANYAN, L'OLIGARQUE RUSSE QUI MENACE LA PAIX DANS LE CAUCASE

31 Janvier 2023 20:07 (UTC+01:00)
KARABAKH: RUBEN VARDANYAN, L'OLIGARQUE RUSSE QUI MENACE LA PAIX DANS LE CAUCASE
KARABAKH: RUBEN VARDANYAN, L'OLIGARQUE RUSSE QUI MENACE LA PAIX DANS LE CAUCASE

Paris / La Gazette

Le « contingent de maintien de la paix » de la Russie a été envoyé dans le territoire azerbaïdjanais libéré du Karabakh à la suite de la guerre de 2020 entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Bien que Bakou ait pu récupérer tous les districts occupés à l'extérieur du Karabakh, une partie importante du Karabakh lui-même continue d'être contrôlée par les troupes russes. Moscou consolide son contrôle sur le Karabakh et prévoit d'utiliser la région comme un levier pour dominer l'Arménie elle-même.

Par Victor Clair
Journaliste, spécialiste des relations internationales


Le 6 octobre 2022, Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pachinyan se rencontraient à Prague en marge de la première réunion de la Communauté politique européenne, à l'invitation du président de la République française et du président du Conseil européen.

A l’issue de ce sommet, l'Arménie et l'Azerbaïdjan confirmaient leur attachement à la charte des Nations unies et à la déclaration d'Alma Ata de 1991, par laquelle reconnaissait l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'autre.

Après plusieurs guerres meurtrières et une occupation, pendant presque 30 ans, de 20% du territoire azerbaïdjanais, la voix de la paix semblait prête à s’ouvrir. Dès la fin de la guerre de 44 jours, des travaux colossaux ont été entrepris pour restaurer et redonner vie, notamment en les déminant, aux villes du Karabkah totalement détruites par l’occupant. L’objectif : permettre aux populations azéries déportées en 1993 de revenir chez a-eux, mais également de permettre aux Arméniens du Karabakh d’y vivre dans des conditions normales.

La ville de Khankendi et ses environs, région reconnue internationalement, puis par l’Arménie suite au sommet de Prague, comme partie intégrante du territoire azerbaïdjanais, a été placée sous un régime d’attente, « protégée », par les forces russes en attendant d’être entièrement restituée à l’Azerbaïdjan en 2025.

Sauf que depuis quelques mois, rien ne va plus, avec l’entrée en lice d’un personnage sulfureux, dont la perspective d’une normalisation de la région ne fait pas les affaires.

En novembre 2022, avec l’appui de Moscou, Ruben Vardanyan a été nommé à la tête de la nouvelle administration du Karabakh. M. Vardanyan prétend être le nouveau leader national de l'Arménie et semble prêt à participer aux prochaines élections parlementaires avec le soutien diplomatique, financier et médiatique de la Russie.

Qui est Ruben Vardanyan ?

Il est l'un des hommes les plus riches de Russie et est proche du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. Il a fait partie des conseils d'experts présidentiels et a cofondé le Centre Primakov pour la coopération en matière de politique étrangère, dirigé par le Kremlin.

Né à Erevan, Vardanyan quitte l’Arménie pour faire fortune en Russie pendant la décennie du capitalisme gangster qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique. Décrit comme le "père du marché boursier russe", il a fait ses armes dans la banque d'investissement avant de siéger aux conseils d'administration de certaines des plus grandes entreprises russes, dont beaucoup se retrouvent désormais sur les listes de sanctions occidentales.

Il est accusé d'avoir blanchi de l'argent par le biais de sociétés offshore et d'avoir transféré des fonds à des amis influents de M. Poutine. En mars 2022, des membres du Parlement européen ont demandé une enquête sur les activités de M. Vardanyan en tant que directeur de la banque d'investissement Troika Dialog, qui a été intégrée à la Sberbank en 2011. La même année, le Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP) a prouvé de manière concluante que la Troika Dialog avait créé un vaste réseau de sociétés offshore qui traitaient l'argent blanchi en provenance de Russie. Environ 4,6 milliards de dollars ont transité par 76 sociétés enregistrées à l'étranger.

En septembre dernier, Vardanyan renonce soudainement à sa nationalité russe afin d'éviter les sanctions occidentales, mais l'Ukraine l' inclut dans sa liste de sanctions pour avoir fourni un soutien logistique à l'armée d'occupation russe.

Il s'installe au Karabakh, et devient le chef du gouvernement de la « République d’Artsakh », l’état auto-proclamé sous protection russe, reconnu par aucun pays, y compris l’Arménie.

L'oligarque montrait jusqu’alors peu d'intérêt pour le Karabakh avant de repérer une énorme source de profit potentiel : deux mines d'or longtemps dormantes qu’il réouvre quelques semaines seulement après son arrivée. Il s’empare ensuite des gisements de cuivre, de molybdène et d'or de la région, qui appartiennent à l'Azerbaïdjan et qu’il pille, sous la protection de l'armée russe, en violation des réglementations environnementales. Les autorités azerbaïdjanaises ont demandé que des experts puissent accéder aux mines, mais cela leur a été refusé à plusieurs reprises.

Les ONG azerbaïdjanaises et les militants écologistes réagissent alors en organisant des rassemblements pour empêcher le retrait des ressources naturelles de l'enclave séparatiste. Pour discréditer ces protestations , M. Vardanyan organise une immense campagne politique et médiatique, avec l’appui des diasporas nationalistes, française notamment, pour accréditer la thèse d’un risque une crise humanitaire. Il incite les Arméniens à participer à des manifestations anti-azerbaïdjanaises et en affirmant que les protestations environnementales cachaient un blocus organisé par Bakou pour affamer les Arméniens du Karabakh. Une désinformation contrée par des sources arméniennes montrant que la nourriture, les médicaments et l'aide humanitaire de la Croix-Rouge ont continué à être livrés sans entraves.

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Comment Vardanyan est-il soudainement devenu si influent au Karabakh, et qui l'a aidé à atteindre ce poste ?

Le « contingent de maintien de la paix » de la Russie avait été envoyé dans le territoire azerbaïdjanais libéré du Karabakh à la suite de la guerre de 2020 entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Bien que Bakou ait pu récupérer tous les districts occupés à l'extérieur du Karabakh, une partie importante du Karabakh lui-même continue d'être contrôlée par les troupes russes. L’existence de cette enclave permet à Moscou de consolider son contrôle sur le Karabakh, lequel prévoit d'utiliser la région comme un levier pour dominer l'Arménie elle-même.

Par ailleurs, la guerre en Ukraine a privé la Russie de son statut de principal fournisseur d'énergie à l'UE. En réponse, le Kremlin cherche à priver l'Europe de l'une de ses principales sources alternatives de gaz et de pétrole : l'Azerbaïdjan. Celui-ci fournit actuellement de l'énergie à plus de dix pays de l'UE, dont l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et l'Espagne. Si l'instabilité s'étend dans la région, les risques de sabotage des infrastructures énergétiques vitales reliant l'Europe et la Caspienne augmenteront.

Les deux principales puissances régionales actives dans le Caucase du Sud sont la Turquie et la Russie. Le premier est un allié ferme de l'Azerbaïdjan, tandis que le second a traditionnellement soutenu l'Arménie. Or Pashinyan a publiquement critiqué l'Organisation du traité de sécurité collective dirigée par la Russie pour ne pas avoir fourni à son pays un soutien suffisant - une décision qui peut être lue comme une critique indirecte du Kremlin.

Ce n’est pas un hasard si l'arrivée de Vardanyan coïncide avec le moment où l'Azerbaïdjan était sur le point d'entamer des pourparlers avec les dirigeants arméniens de la région.

Les oligarques russes ne peuvent opérer que sous la grâce et la faveur du président Vladimir Poutine, et Vardanyan est l'homme du Kremlin, ce que le gouvernement ukrainien a reconnu lorsqu'il a imposé des sanctions contre lui. Il a pour mission de conserver le Caucase du Sud dans la sphère d'influence russe.

En envoyant Vardanyan diriger l’enclave du Karabakh, les russes savent que celui-ci déploiera tous les moyens pour faire obstruction à la paix et qu’il s’opposera clairement au gouvernement de Pachinyan en retourner l'opinion publique de la communauté arménienne du Karabakh contre la paix, ce qui serait désastreux pour les intérêts de Bakou et d'Erevan.

Pour rallier les opinions publiques à sa cause, il utilise ses gigantesques pouvoirs financiers, et le puissant le levier des diasporas arméniennes et de leurs actions de lobbying, notamment auprès des medias et des politiques occidentaux.

Sur place Vardanyan a, dès l’instant où il fait le travail demandé par Moscou, les mains libres pour piller à son seul profit les mines du Karabakh appartenant officiellement à l’Azerbaïdjan. Les casque bleus russes stationnés sur la route de Latchine ferment les yeux sur le passage des camions remplis de minerais ou de produits de contrebande.

Mais en décembre, des militants azerbaïdjanais décident de faire obstacle à cette exode de ressources azerbaïdjanaise, et qui plus est à la destruction de l’environnement qu’entraînent les extractions sauvages.

Aussitôt, la machine Vardanyan se met en marche. Non seulement pour des motifs patriotiques, mais surtout pour la préservation de ses propres intérêts.

Une puissante campagne médiatique est lancée, qui trouve des relais jusque dans la presse et la politique française, grâce à la complicité de certains journalistes, patrons de presse, et élus, qui trouvent, dans l’extrémisme arménien, une convergence avec leur propre idéologie.

L’objectif de la campagne : mobiliser les opinions autour d’un soi-disant danger de disparition du peuple arménien auquel lui seul serait capable de s’opposer. La pression s’accroît sur Pachinyan, qui essaie de prendre le train en marche, par exemple, en récompensant par une médaille pour leurs bons et loyaux services, des journalistes et élus français. Les medias et les partis d’extrême-droite européens, qui ont le vent en poupe, emboîtent le pas de la campagne française en condamnant à leur tour le « blocus » azerbaïdjanais sur la route de Latchine.

La paix en danger de mort

Mais les nationalistes arméniens, majoritairement formés au Liban lors des affrontements israélo-palestiniens ne connaissent pas le langage de la paix. Il existe un fort risque pour que leur action ne se limite pas à des campagnes marketing.

Il leur sera facile de prouver que la présence de casques bleus, russes ou européens ne suffira pas à « protéger » les Arméniens, et que seule une présence militaire sera en mesure de la faire. Avec l’appui médiatique occidental, cela pourrait passer comme une lettre à la poste. Récemment, l’action de l’armée azerbaïdjanaise pour mettre fin à l’infiltration de commandons arméniens poseurs de mines en territoire azéri a été décrite comme une agression azerbaïdjanaise !

En dégageant le couloir de Latchine, les activiste arméniens espèrent pouvoir faire circuler librement et en toute discrétion les armes et les mines entre Erevan et le Haut-Karabakh. Cela ne manquerait pas de provoquer un nouveau conflit qui risque d’être beaucoup plus meurtrier que les précédents. C’est une aventure où Azerbaïdjanais et Arméniens seront les perdants.

Certes, un retour au conflit armé n'est pas logiquement dans l'intérêt de Moscou, et le Kremlin préférerait sans doute voir un état de conflit gelé au Karabakh, où la tension peut monter ou descendre à la demande de la Russie. En maintenant la tension et en faisant planer la menace d’un nouveau conflit, cela permettrait à la Russie de maintenir le statu quo en l’état, et par conséquent de ne pas perdre son influence dans une région qu’elle considère comme son pré carré.

Mais quoi qu'il arrive, la population locale du Karabakh doit comprendre qu'il y a deux parties qui se battent pour la paix ici – et ni la Russie ni Vardanyan n'en font partie.

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