Lagazette

Arc de Triomphe : le coût exorbitant d'un acte gratuit

22 Septembre 2021 15:45 (UTC+01:00)
Arc de Triomphe : le coût exorbitant d'un acte gratuit
Arc de Triomphe : le coût exorbitant d'un acte gratuit

Par Jean-Michel Brun

14 millions d’euros, tel est le coût de l’empaquetage de l’Arc de Triomphe, oeuvre posthume de Christo, cet artiste qui avait déjà emballé le pont neuf à Paris et le Reichstag à Berlin.

14 millions qui ne coûteront rien aux parisiens, puisque l’oeuvre est entièrement financé par la fondation Christo. Néanmoins, on s’interroge. Car la somme fait grincer les dents. 14 millions d’euros, ce sont 14 millions de repas servis par les Restos du coeur. Au moment où le nombre des sans-abris connaît une inquiétante inflation, cela a de quoi choquer.

C’est finalement toute la question de l’art qui est posée. Celle de la nécessité de l’inutile. La capacité de création est un peu la part de divin que chacun possède en lui-même. L’art c’est la vie. Seuls les pays libres ont le culte de la futilité. Pour les dictatures, au contraire, l’art doit servir : au peuple, au chef, au parti. L’art est un acte gratuit, et c’est pour cela qu’il est l’expression ultime de la liberté.

En réalité, l’art a un coût. Et le voilement de l’Arc de Triomphe, qui ne durera que 16 jours, en vaut-il le prix ? Peut-on encore, à 14 millions d’euros, parler d’acte gratuit. ?

Cette création artistique est finalement très symbolique de nos sociétés occidentales modernes où l’éphémère l’emporte sur le pérenne et finit pas l’effacer. Hier on s’écrivait des lettres, et les lettres traversaient le temps. Les correspondances étaient parfois rassemblées en une puissante oeuvre littéraire. Aujourd’hui, le sms s’est substitué à la plume, et on voitmal un éditeur relier des tweets, fussent-ils ceux d’un grand penseur. Quelques jours suffisent à faire une star, et guère plus à retourner quidam. Ce que l’on crée, c’est du consommable immédiat, et consommer, c’est détruire. Ce qu’elle fait naître, notre civilisation semble vouloir aussitôt le faire disparaître. Nous perdons la mémoire car nous n’avons plus rien pour la fixer. La dématérialisation, c’est le règne de l’intangible, de l’évanescent, de l’oubli, et finalement du néant.

Alors, il nous faut peut-être regarder du côté des société où la parole et l’écrit ont encore un sens. Les sociétés qui savent, par la préservation de leurs traditions, conserver l’héritage du savoir de ceux qui les ont précédés.

Le poète azéri Nizami Ganjavi rappelait :
« Les détails dans toutes les sciences,
je les ai appris, et j'ai cherché dans toutes leurs pages, leurs mystères. »

Qu’arrivera-t-il s’il n’y a plus de livres, si l’art ne s’imprime plus sur la toile ou ne se fixe plus dans la roche, si les papier ne sert plus qu’à recouvrir des pierres, pour satisfaire le regard furtif d’une nuée de badauds ?

Combien de personnes aurait-on pu nourrir avec la burqa triomphale ? Combien, dans cette toile froissée, aurait-on pu tailler de mouchoirs pour essuyer leurs larmes ?

Loading...
L'info de A à Z Voir Plus