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CHOUCHA, LA PERLE DU CAUCASE, DE JEAN-MICHEL BRUN. LE PREMIER LIVRE EN LANGUE FRANÇAISE SUR CHOUCHA ET LE CONFLIT DU CAUCASE

16 Octobre 2023 21:28 (UTC+01:00)
CHOUCHA, LA  PERLE DU CAUCASE, DE JEAN-MICHEL BRUN. LE PREMIER LIVRE EN LANGUE FRANÇAISE SUR CHOUCHA ET LE CONFLIT DU CAUCASE
CHOUCHA, LA PERLE DU CAUCASE, DE JEAN-MICHEL BRUN. LE PREMIER LIVRE EN LANGUE FRANÇAISE SUR CHOUCHA ET LE CONFLIT DU CAUCASE

Paris / La Gazette

Jean-Michel Brun, journaliste et cinéaste, spécialiste du monde arabo-musulman, vient de publier aux Éditions Hermann Choucha, la perle du Caucase.

Par Aytan MOURADOVA, Membre du Comité de rédaction d’IRS-Héritage

(Article paru précedemment dans IRS Heritage)

Depuis le conflit du Caucase du sud, c’est la première fois qu’un ouvrage en langue française est consacré à l’Azerbaïdjan, sa culture et sa géopolitique.

« Mon intérêt pour la question a d’abord été d’ordre déontologique », nous indique l’auteur, surpris que, aussi bien dans les articles de presse écrite que lors des débats télévisés, seuls les historiens ou porte-paroles arméniens étaient appelés à exposer leur point de vue. Les intervenants azerbaïdjanais semblaient exclus a priori. Les « grands reporters » ne se rendaient qu’en Arménie et semblaient vouloir éviter l’Azerbaïdjan, alors que, rappelle-t-il « l’éthique journalistique impose que, dès lors deux parties sont en présence, et portent des visions différentes de la situation, les uns et les autres soient invités à s’exprimer […] Les seuls qui s’y sont risqués, comme Liseron Boudoul (pour TF1), ont été mis à l’écart par leur rédaction » ajoute-t-il. « Le parti-pris des médias français m’est apparu évident et, naturellement, intolérable, surtout pour quelqu’un qui enseigne la déontolologie dans des écoles de journalisme. »

Jean-Michel Brun a commencé à s’intéresser à ce qu’on a appelé « la question arménienne » dès 1983. Alors directeur d’une grande agence de presse, il est amené à produire des reportages sur les attentats d’Orly commis par l’ASALA (Armée Secrète Arménienne de Libération de l’Arménie) sur des civils turcs.

Or, ce qui a été dit, aussi bien par des journalistes que par des politiques, surtout français, à l’issue de la guerre de 44 jours, notamment sur l’histoire de la présence arménienne dans le Caucase, sur les événements sanglants qui eurent lieu à Bakou, Soumgaït ou Choucha, ne correspond en aucune façon à la réalité historique, y compris même à ce qu’en ont décrit les historiens arméniens spécialistes du Caucase comme Serge Afanasyan. On a affaire ici à une véritable réécriture récente de l’histoire, encouragée, notamment par des institutions comme la fondation Gulbelkian.

Il était urgent, pour le journaliste, de « remettre les choses à l’endroit. » D’une part parce que le travail d’un journaliste n’est pas de tenter d’étayer une thèse, mais de s’en tenir strictement aux faits, et d’autre part parce que cette région revêt, à ses yeux, une importance toute particulière dans le nouveau monde qui est en train de s’ouvrir. « Je suis persuadé que le centre géopolitique du monde est en train de se déplacer vers l’est, et que la région du Caucase et de l’Asie centrale en sera le cœur. »

L’intérêt de cette région est aussi de nature culturelle : « Moi qui m’intéresse particulièrement à la culture musulmane, je sais que celle-ci tient de l’islam persan l’essentiel de son héritage » nous rappelle-t-il. « Des savants comme Avicenne, Al Biruni, des poètes et penseurs comme Nizami Ganjavi, Omar Khayyam, Farid al-Din Attar, Rumi, viennent de cette région. Ces penseurs ont d’ailleurs fortement inspiré le fameux siècle des Lumières dont on fait tant ici la gorge chaude. »

Le Karabakh : stupeur et tremblements

La réalité de l’Azerbaïdjan est à cent lieues de l’image qu’essaient d’en donner les médias français : « J’ai trouvé un pays étonnamment calme, serein, chaleureux, qui ne paraissait pas sortir d’une guerre, certes courte, mais éprouvante, et surtout de 30 ans où il a été privé d’une partie de son territoire, engendrant presque un million de personnes déplacées. » s’étonne Jean-Michel Brun. « Même à notre égard, nous Français, je n’ai ressenti aucune animosité, malgré l’évident parti-pris de nos médias ou de nos politiques, il est vrai poussés par une puissante diaspora arménienne. »

Mais c’est évidemment son premier déplacement au Karabakh qui a constitué un véritable choc. Accompagné du chercheur Karim Ifrak et de l’une de ses journalistes, il se rend à Aghdam, dans le Karabakh. Il y découvre une ville entièrement rasée, dont il ne reste absolument plus rien. Amélie Nothomb aurait pu parler, à propos de ce qu’on a appelé « L’Hiroshima du Caucase », de « Stupeur et tremblements ».

La ville, comme en attestent les photos prises à l’époque soviétique, était une très belle cité, avec de jolies maisons blanches, de coquettes places, un théâtre réputé, un musée du pain qui attirait de nombreux visiteurs, la fameuse « maison du thé » en forme de pagode, des écoles, un hôpital. Il n’en reste plus que des ruines. Pourtant, les destructions ne sont pas la conséquence de combats. La ville a tout simplement été dépecée, vandalisée par l’occupant arménien, pendant les trente années de sa présence au Karabakh.

Comment peut-on fermer les yeux sur cela, présenter les Azerbaïdjanais comme les agresseurs, et les Arméniens comme les victimes ? C’est d’ailleurs, indique l’auteur, ce que lui ont demandé avec étonnement tous les observateurs étrangers rencontrés sur place. Il remarque, dans son livre, que « les Arméniens ont laissé Aghdam dans un pire état que le Vésuve n’a laissé Pompéi ».

C’est cette découverte qui lui a donné l’idée d’écrire un livre sur le conflit du Karabakh, l’impérieuse nécessité, dit-il, « de rétablir une vérité travestie par des journalistes et des politiques sous influence, moins soucieux d’informer le public que de lui imposer leur vérité. » La situation au Karabakh a été un moyen, pour la droite française notamment, de prouver que le soi-disant monde musulman représentait une menace pour la prétendue civilisation chrétienne occidentale. Balivernes peut-être, mais comme l’a dit un jour l’idéologue du parti nazi, Joseph Goebbels, « Plus un mensonge est gros, plus il a de chances d’être cru. »

Mais qui lirait un livre qui allait tellement à l’encontre de la pensée unique ? Et surtout, quel éditeur allait publier un récit ne livrant pas seulement la version arménienne du conflit du Karabakh, au risque de voir sa sécurité, et même son entreprise menacée par les activistes arméniens ?

Un événement allait changer les choses. C’est à son retour à Bakou que Jean-Michel Brun entend parler de Choucha. Alors qu’il décrivait à des Azerbaïdjanais la consternation que lui avait inspiré la ville meurtrie d’Aghdam, ceux-ci lui répondirent : « Attends de voir Choucha… »

« Lorsqu’on a mis une fois les pieds à Choucha, on ne peut plus jamais l’oublier », avait ajouté Karim Karimli, un journaliste, natif de la ville.

Choucha fut donc l’objet de son second voyage.

Choucha l’indomptable

On parvient à Choucha par une route escarpée – enfin cela est de moins en moins vrai, car les travaux menés tambour battant sont en train de faire émerger de nouvelles voies modernes et rapides – au détour de laquelle surgit ce rocher qui fait de la ville, créée en 1752 par Panah Ali Khan, une imprenable citadelle naturelle. Choucha est, bien entendu, en partie détruite. En effet, si la ville fut le théâtre des derniers combats de la guerre de 44 jours, ceux-ci furent menés à l’arme légère. Les profondes destructions qui ont meurtri Choucha ont été, comme à Aghdam, le fruit de l’occupation. Mais à la différence d’Aghdam, les Arméniens n’ont pu abattre l’âme de Choucha. L’esprit des poètes et des musiciens qui firent sa gloire courent encore dans ses rues, habitent toujours les pierres de ses maisons blessées.

Choucha fut le phare de la vie intellectuelle et artistique du Karabakh et de l’Azerbaïdjan. Mais pas seulement. Sa splendeur rayonnait des rives de la Caspienne aux confins de l’Asie centrale. Dès le XIXe siècle, elle était devenue une cité si belle, si animée, si créatrice, si élégante qu’elle avait reçu le surnom de « Petit Paris ». Elle abritait le plus grand centre culturel de la région et une école de musique si remarquable qu’on célébrait la ville tout autour de la Caspienne sous le nom de « Conservatoire du Caucase ».

Les différents quartiers se mesuraient dans une espèce de compétition d’excellence. Chaque semaine, les aristocrates demeures se transformaient en salons littéraires où des musiciens, des danseurs, des poètes s’affrontaient dans des joutes créatives, à l’issue desquelles des vers étaient composés, mis en musique et chantés, tandis qu’un peintre immortalisait la scène. La majeure partie des chansons du patrimoine azerbaïdjanais a été ainsi composée, voici presque 300 ans. Ces magnifiques artistes ont mis au monde une véritable « école du Karabakh ». Aux quatre coins du Caucase, on admire la musique du Karabakh, la littérature du Karabakh, mais aussi les chevaux du Karabakh, les tapis du Karabakh, la cuisine du Karabakh…

Malgré les destructions, les vestiges de ses jardins oubliés gardent le souvenir de la « Perle du Caucase » qu’Alexandre Dumas avait tant admirée.

Pour l’auteur, Aghdam fut un traumatisme, Choucha un éblouissement.

À son retour, nous raconte Jean-Michel Brun, Rahman Mustafayev, qui était l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en France et qui lui avait permis de se rendre pour la première fois en Azerbaïdjan, lui suggéra d’écrire un livre sur Choucha.

C’était la bonne idée. Écrire sur Choucha permettrait à la fois de raconter l’histoire du conflit du Caucase, mais aussi de partager l’extraordinaire richesse de la culture azerbaïdjanaise : sa littérature, sa musique, ses beaux-arts. Car tout a commencé à Choucha, qui fut le berceau de toute la nation azerbaïdjanaise.

Sur ses conseils, il rencontre Seymur Fataliyev, ambassadeur chargé de la Commission nationale d’Azerbaïdjan pour l’Unesco à Bakou, qui lui présente un personnage haut en couleurs : le professeur Elchin Ah- medov. Cet historien, natif de Choucha, a dû s’enfuir de sa ville natale au moment de l’entrée des Arméniens. Exilé, il a décidé de consacrer sa vie à la mémoire, puis à la restauration de Choucha. Ils décident d’y repartir ensemble. Le Pr. Ahmedov servira de guide sur les traces de son passé, avec un regard vers le futur : que sera le Choucha de demain ?

La scène où Elchin Ahmadov cherche l’emplacement de sa belle maison aux murs bi-centenaires et dont il ne reste plus qu’un terrain vague semé d’herbes folles est particulièrement émouvante. « Après cette scène », se souvient Jean-Michel Brun, « Elchin s’est assis un moment au milieu des restes du jardin où il venait jouer enfant, et ses larmes ont coulé. »

Il ne suffit pas de décrire Choucha comme le ferait un simple visiteur, insiste Jean-Michel Brun. On ne peut l’évoquer qu’en recueillant les témoignages de ceux qui y ont vécu, et qui n’ont qu’une perspective : y retourner et la faire revivre. À travers ces témoignages, « j’ai vu ressurgir les statues renversées, les musées abattus, se redessiner les balcons sculptés, les jardins luxuriants. J’ai entendu les voix des enfants dans les ruines de l’école Realny et, des gravats de l’académie de musique surgissaient les grincements encore maladroits des violonistes débutants. Voilà ce que j’ai voulu partager dans ce livre » conclut le journaliste.

Mais bientôt tous ces rêves vont devenir réalité. Car depuis, les Azerbaïdjanais d’autres régions sont venus prêter main forte aux natifs de Choucha pour la reconstruction de leur ville. Le musée du tapis, détruit et pillé, vient de rouvrir ses portes sous les auspices de la dynamique directrice du musée national, Shirin Melikova. Les hôtels accueillent de nouveau les visiteurs, un palais des congrès a surgi du sol, et surtout, sur le plateau de Jidir Duzu, le très symbolique festival international de musique « Khari Bulbul » a retrouvé vie. Et c’est particulièrement important. Car ce festival réunit les traditions de toutes les régions d’Azerbaïdjan. Il est la manifestation du multiculturalisme flamboyant de l’Azerbaïdjan.

Choucha, le symbole

C’est certainement en raison de sa valeur symbolique que les occupants ont cherché à détruire Choucha. En réalité, l’église arménienne qui, rappelle le journaliste, malgré les dénégations outrées des Arméniens, est une église albanienne transformée en 1992. Les hôtels, bien qu’en mauvais état, sont, quant à eux, restés debout. Ce à quoi les Arméniens se sont attaqués, ce sont les témoignages de la culture azérie. Le mausolée du poète Vaguif, la maison de la culture, le musée du tapis ou la maison natale du musicien Hadjibeyli, et bien sûr les mosquées, ont été vandalisés. Même les caravansérails ont été « restaurés » de manière à effacer les traces de leur origine tatare.

Surtout, à l’image du festival Khari Bulbul, Choucha est le symbole du multiculturalisme azerbaïdjanais, contraste saisissant avec le « mono-ethnisme » religieux arménien. « À Choucha, vous pouviez être chiite, sunnite, juif, chrétien oudi, chrétien arménien, vous étiez Azerbaïdjanais et reconnu et respecté comme tel. Peu importe votre appartenance ethnique ou religieuse. Est-ce donc un modèle si intolérable pour nos politiciens identitaires ? […] Je pense que Choucha a encore beaucoup à nous apprendre. » conclut Jean-Michel Brun.

IRS : Qu’espérez-vous que le lecteur retienne de votre livre ?

JMB : Précisément cet esprit de tolérance, de laïcité inclusive, dont je viens de parler, qui caractérise l’Azerbaïdjan et dont Choucha est un symbole exemplaire. Mais par ailleurs, vous n’ignorez pas que les seules in- formations sur le Karabakh dont disposait jusqu’ici le public français, et donc francophone, venaient de la diaspora arménienne qui a réussi un véritable blocus médiatique de l’Azerbaïdjan.

Il ne s’agit pas pour moi de faire l’apologie de qui que ce soit, ni de dénigrer qui que ce soit, mais il était grand temps que d’autres sources d’information soient disponibles à la fois pour le public français, mais aussi pour les journalistes qui, eux aussi, n’ont d’autres informations que celles fournies par une seule communauté. À nous, journalistes et écrivains épris de justice et respectueux du droit international, de remettre les choses à l’endroit. Par ailleurs, je suis persuadé que la culture est une porte d’entrée plus pertinente que la politique pour pénétrer dans le coeur des gens.

Concernant l’Azerbaïdjan, la tâche, pour peu qu’on s’y attelle, n’est pas difficile, car les faits sont là, il suffit de les décrire. C’est juste ce que j’ai essayé de faire.

Choucha, Perle du Caucase Jean-Michel Brun

En collaboration avec le Pr. Elchin Ahmedov 205 pages
Éditions Hermann - Paris

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