PKK : L’ADIEU AUX ARMES… OU LE DÉBUT D’UNE NOUVELLE MASCARADE ?
Paris / La Gazette
Le 12 mai 2025 restera-t-il comme une date charnière ou un simple écran de fumée ? Ce jour-là, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), engagé depuis 1984 dans une guérilla sanglante contre l’État turc, reconnu comme organisation terroriste non seulement par Ankara mais aussi par Washington, Londres et plusieurs capitales européennes, a annoncé la fin de sa lutte armée et sa dissolution.
Une déclaration qui a fait l’effet d’une onde de choc sur la scène internationale… mais qui n’a pas ému Ankara. Là où d’autres auraient esquissé un sourire diplomatique, la Turquie a choisi la retenue. Et dans ce silence, c’est moins une page qui se tourne qu’un nouveau chapitre, potentiellement plus retors, qui s’ouvre.
La réponse du pouvoir turc a été d’une clarté implacable. Le président Recep Tayyip Erdoğan a aussitôt recadré le débat : « Nous interprétons cette décision comme concernant non seulement le nord de l’Irak, mais également toutes les ramifications de l’organisation en Syrie et en Europe. » Exit le langage feutré de la diplomatie : ce qu’Ankara perçoit, c’est un repli stratégique, une mue trompeuse. Pour la Turquie, tant que les structures satellites du PKK — du YPG et du PYD en Syrie jusqu’à l’aile transnationale du KCK — ne seront pas démantelées, toute annonce de « désarmement » sera vue comme une opération de communication destinée à relancer l’organisation sous une étiquette plus acceptable.
Car le PKK n’a jamais été un simple groupe armé. C’est une nébuleuse terroriste, dotée d’une infrastructure sophistiquée, enracinée non seulement dans les montagnes du Qandil mais aussi dans les villes, les universités, les ONG, les plateformes médiatiques, les pseudo-mouvements féminins et les vitrines politiques. Son idéologie de « confédéralisme démocratique » n’est qu’un vernis, un outil au service d’un objectif inchangé : saper l’intégrité territoriale de la Turquie, installer des zones d’influence ethno-politiques et alimenter l’instabilité au Moyen-Orient.
Quand donc le PKK annonce son auto-dissolution, Ankara n’y voit pas une capitulation mais un recyclage. Ce ne serait pas la première fois que l’organisation troque son uniforme pour un costume civil afin de poursuivre la même lutte. Ni le YPG, ni le PYD, ni même les soi-disant Forces démocratiques syriennes (FDS) n’ont renoncé à l’héritage idéologique façonné par Abdullah Öcalan. Aucun de ces avatars n’admet de lien avec le PKK — mais leur histoire, leur organigramme et leur rhétorique en sont les preuves vivantes.
La Turquie se trouve aujourd’hui à un carrefour stratégique : soit cette annonce marque le début d’un démantèlement sincère de l’écosystème terroriste régional, des confins syriens jusqu’au cœur de l’Europe ; soit elle dissimule un simple repli tactique, une opération de blanchiment politique. Mais Ankara ne se laisse plus bercer par les mots. Elle appelle les choses par leur nom. Si les militants du PKK veulent changer d’uniforme sans changer de nature, la réponse turque ne viendra pas sous forme d’applaudissements, mais d’opérations ciblées. Car en matière de sécurité nationale, il n’y a pas de place pour la demi-mesure.
Du déni à l’aveu en creux : dialogue réel ou mise en scène diplomatique ?
L’interview accordée par Mazloum Abdi à la chaîne Shams TV a jeté un pavé dans la mare : pour la première fois depuis le début de la guerre civile en Syrie, un haut représentant des FDS admet l’existence de canaux de communication — directs ou indirects — avec la Turquie. Mieux encore : il se déclare prêt à rencontrer Recep Tayyip Erdoğan. Une déclaration qui a rapidement fait des vagues, relancée par le site Al-Monitor, évoquant même une possible rencontre avec le chef de la diplomatie turque Hakan Fidan ou le patron du renseignement, İbrahim Kalın.
Mais Ankara n’a pas tardé à couper court. Dans une déclaration à Reuters, une source diplomatique turque a sèchement démenti : « Ces rumeurs de négociations ne correspondent pas à la réalité. » Une réaction typique de la diplomatie turque, rompue à l’opacité lorsqu’il s’agit de figures classées comme terroristes. En coulisses, les tractations passent par d’autres canaux : ceux, plus discrets, du renseignement.
Des sources proches des services spéciaux l’assurent : les contacts existent, et c’est la puissante Organisation nationale du renseignement (MİT) qui tient les rênes. Ce mode opératoire n’est pas nouveau. Même au plus fort des tensions, Ankara a su maintenir des lignes de communication souterraines — on se souvient des rencontres avec Salih Muslim en 2013–2014, en pleine tentative de processus de paix.
Ce double langage, entre dénégation officielle et dialogue feutré, illustre bien la ligne de crête sur laquelle évolue Ankara : ne rien céder sur les principes, tout en gardant une marge de manœuvre tactique. Mais ce jeu d’équilibriste a ses limites. Si les interlocuteurs du PKK persistent à faire mine de jouer le jeu démocratique tout en gardant un pied dans la clandestinité armée, la Turquie ne se prêtera pas indéfiniment à cette mascarade. L’heure des illusions semble bel et bien révolue.
De Kobané à un nouveau Qandil : chronologie d’un basculement (2022–2025)
Depuis 2022, le théâtre syro-irakien a connu une série de tournants décisifs :
2022 : l’armée turque intensifie ses opérations dans la Zone de sécurité antiterroriste (ZAP), élargissant son emprise sur le nord de l’Irak.
2023 : coordination renforcée entre le MIT (services secrets turcs) et les services de renseignement irakiens ; Bagdad reconnaît pour la première fois la présence turque dans les opérations conjointes contre les HPG.
2024 : les frappes israéliennes contre les milices pro-iraniennes en Syrie affaiblissent indirectement le PYD, provoquant le repli d’une partie de ses effectifs.
Mars 2025 : le MIT lance une opération ciblée contre des hauts cadres du KCK dans le nord irakien.
12 mai 2025 : le PKK annonce sa dissolution.
27 mai 2025 : Mazloum Abdi évoque publiquement l’existence de canaux de communication avec Ankara.
Ces événements successifs traduisent une réalité stratégique : sur le terrain militaire, la Turquie a acquis un avantage opérationnel manifeste. En parallèle, le paysage politique régional est en pleine recomposition.
Les intérêts en présence : une partie d’échecs géopolitique
La Turquie poursuit une ligne claire : éradiquer définitivement le PKK ainsi que ses antennes syriennes et irakiennes, tout en stabilisant sa frontière sud via une politique dite de « sécurité en profondeur ». Objectif final : un retour de certaines zones sous contrôle de Damas, à condition d’y exclure toute présence du YPG.
De leur côté, les FDS et le PYD tentent de préserver leurs acquis politiques et militaires en misant sur la reconnaissance internationale, essentiellement adossée à la protection américaine.
Le Gouvernement régional du Kurdistan (KRG), quant à lui, souhaite expulser le PKK du Sinjar, territoire stratégique disputé entre Erbil, Bagdad et les milices chiites.
Washington, pris entre deux feux, s’efforce d’éviter une confrontation entre son allié turc et les FDS, ces derniers constituant son principal levier contre l’État islamique. Reconnaître formellement le lien PYD/PKK serait toutefois juridiquement suicidaire pour les États-Unis, car cela remettrait en cause leur engagement militaire.
La Russie continue à manœuvrer par l’intermédiaire de Damas, exploitant la question kurde pour faire pression sur Ankara.
Téhéran joue sur tous les tableaux : soutien aux milices chiites, opposition aux opérations turques au Sinjar, et répression du mouvement kurde sur son propre sol.
Enfin, Israël, en intensifiant ses frappes contre les intérêts iraniens en Syrie, fragilise les FDS et accroît leur dépendance à l’égard de l’Occident.
Le confédéralisme démocratique : paravent idéologique ou architecture de pouvoir ?
Théorisé par Abdullah Öcalan depuis son isolement à Imrali, le « confédéralisme démocratique » est devenu le credo officiel de nombreuses structures kurdes — PYD, YPG, YPJ, SDF. Officiellement, il rejette l’idée d’un État kurde indépendant, prônant à la place une mosaïque de communautés autogérées.
Mais dans la pratique, cette idéologie a servi de socle à une forme de gouvernance militarisée, ethno-centrée et centralisée — bien loin du discours anti-hiérarchique. Ce système reste piloté, de manière directe ou symbolique, par les réseaux liés au PKK.
Trois piliers idéologiques illustrent cette continuité :
- La jineolojî, ou « science des femmes », qui justifie et encourage l’implication féminine dans la lutte armée, via notamment les YPJ et YJA Star.
- L’anticapitalisme et l’antihierarchisme affichés, masquant en réalité une mainmise du PYD sur les institutions civiles et militaires.
- Le culte d’Öcalan, omniprésent dans les locaux du PYD, sur les bases du YPG, à travers portraits, slogans et citations quasi-religieuses.
C’est sur cette base doctrinale et organisationnelle que la Turquie affirme, documents à l’appui, que le YPG n’est qu’une émanation maquillée du PKK.
Je poursuis avec la dernière section concernant les forces en présence et le rôle du renseignement.
Cartographie des forces : effectifs, pertes, zones d’influence (à mai 2025)
Le contrôle territorial en Syrie s’organise comme suit :
- Les FDS tiennent environ 22 % du territoire syrien, incluant Hassaké, une partie de Raqqa et de vastes zones dans la province de Deir ez-Zor.
- La Turquie et les forces de l’Armée nationale syrienne contrôlent une bande d’environ 40 km de profondeur le long de la frontière, englobant Afrin, Tal Abyad et Ras al-Aïn.
- Le régime de Bachar al-Assad conserve le contrôle de 63 % du pays, dont les grandes villes (Damas, Alep), la côte méditerranéenne et le Sud.
- Les milices pro-iraniennes sont concentrées au sud de Deir ez-Zor et à l’est d’Alep.
En termes de capacités humaines et de pertes :
- Le ministère turc des Affaires étrangères estime les effectifs du YPG, intégrés aux FDS, entre 35 000 et 50 000 combattants, dont environ 8 000 femmes au sein des YPJ.
- Depuis 2016, les opérations militaires turques — « Bouclier de l’Euphrate », « Rameau d’Olivier », « Source de Paix », « Griffe-Épée » — ont éliminé plus de 15 000 membres du PKK/YPG.
- Entre 2022 et 2024, au moins 1 600 activistes du PKK ont été neutralisés dans le nord de l’Irak, parmi lesquels plusieurs cadres dirigeants.
Renseignement et commandement militaire : l’ombre du MIT
Dans le bras de fer stratégique en cours, c’est le MIT (Millî İstihbarat Teşkilatı), l’agence nationale de renseignement turque, qui mène la danse. Son directeur, İbrahim Kalın, s’est imposé comme l’architecte de la diplomatie parallèle turque en Syrie et en Irak, articulant action militaire et canaux de dialogue discrets.
L’état-major des forces armées (TSK) soutient ces efforts sur le terrain : contrôle des points de passage frontaliers, logistique, reconnaissance en profondeur, frappes coordonnées.
Le MIT a bâti un maillage sophistiqué d’agents au sein de la population kurde syrienne : ex-combattants des FDS, déserteurs, tribus locales ralliées. Cette toile humaine permet d’anticiper les mouvements, de déstabiliser les structures adverses, et de frapper les têtes pensantes sans s’embarrasser d’accords formels avec Damas ou Téhéran.
Des unités d’élite comme les Bordo Bereliler (bérets bordeaux) sont stationnées en permanence sur des bases avancées dans le nord de l’Irak : Batufa, Bashiqa, Kani-Masi. Leur coordination avec les frappes aériennes sur la Syrie donne à Ankara une capacité d’action autonome, calibrée, et redoutablement efficace.
Réactions croisées : l’échiquier régional à l’épreuve
États-Unis : officiellement, Washington maintient son soutien aux Forces démocratiques syriennes (FDS), perçues comme un rempart essentiel contre l’État islamique. Mais en coulisses, le Pentagone ne cache plus son inquiétude face à une éventuelle nouvelle offensive turque, qui risquerait de déstabiliser les camps de détention djihadistes et de provoquer une nouvelle spirale d’insécurité dans le Nord syrien.
Russie : Moscou joue une carte fine. Elle envisage de transformer la crise en levier diplomatique, proposant une intégration formelle du YPG dans les rangs de l’armée syrienne. En échange ? L’abandon par Ankara de son soutien aux forces de l’opposition à Idlib. Mais Damas, tout en pesant le rapport de forces, reste réticent à incorporer des unités dont la loyauté demeure, au mieux, ambivalente.
Iran : Le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) suit de près l’évolution de la situation. Pour Téhéran, toute consolidation de l’influence turque en Irak et en Syrie est une menace directe. Les zones autonomes kurdes, perçues comme des foyers de contagion ethno-politique, doivent être neutralisées à tout prix — par le sabotage, l’encerclement ou l’usure.
Israël : En intensifiant ses frappes dans le sud de la Syrie, Tel-Aviv affaiblit les relais iraniens, mais en même temps érode le fragile équilibre dont dépendent les FDS. Résultat : les Kurdes se retrouvent plus isolés, plus dépendants de leurs parrains occidentaux — et donc plus vulnérables.
Union européenne : silence radio. Son rôle se limite à l’aide humanitaire et aux déclarations convenues. Pourtant, la diaspora kurde en Allemagne et en France reste très active, utilisant les relais parlementaires et les partis de gauche pour continuer à promouvoir les revendications du PKK/PYD dans l’espace public européen.
Scénarios : entre confrontation ouverte et compromis impossible
Scénario 1 : Intégration du YPG dans l’armée syrienne
C’est l’option privilégiée par Moscou et, sous certaines conditions, envisageable pour Ankara. Mais elle implique l’épuration des éléments proches du PKK. Or, Bachar al-Assad n’a aucun intérêt à renforcer ses troupes avec des forces dont l’allégeance pourrait basculer à tout moment.
Scénario 2 : Compromis confédéral
Création d’une zone autonome kurde placée sous supervision internationale. Rejet catégorique de la Turquie, qui redoute l’effet domino sur ses provinces kurdes du Sud-Est. Pour Ankara, ce serait un précédent inacceptable.
Scénario 3 : Escalade militaire
Si le désarmement annoncé s’avère factice, une nouvelle opération turque de grande envergure pourrait être déclenchée, ciblant les bastions kurdes autour de Qamishli ou Hassaké.
Scénario 4 : Médiation par des acteurs tiers
Le Qatar, l’Irak ou l’Azerbaïdjan pourraient jouer les médiateurs neutres dans une éventuelle démarche de vérification du désengagement militaire kurde. La Turquie privilégie un format excluant les États-Unis et l’Union européenne.
La realpolitik d’Ankara : la paix, mais pas à n’importe quel prix
Pour la Turquie, la sécurité nationale n’est pas un thème de négociation : c’est une ligne rouge. Ceux qui, hier encore, levaient le drapeau du PKK et se présentent aujourd’hui sous les couleurs « démocratiques » des FDS doivent savoir : changer d’étiquette ne suffit pas à effacer un passé de violence.
La paix est possible — mais pas sur les termes de ceux qui ont longtemps fait parler les armes. Elle ne pourra advenir qu’à condition de désarmement réel, de rupture idéologique nette avec le terrorisme, et de démantèlement sans équivoque des structures liées au PKK.
Ankara a appris à décoder les intentions derrière les discours. Et si le « nouveau chapitre » de la question kurde se rédige avec les mêmes mains, mais dans une typographie plus diplomatique, il sera déchiré avant même d’être lu.
Car la paix n’est pas une faiblesse. C’est la force de celui qui, à tout moment, est prêt à rappeler une vérité simple : défendre la nation, ce n’est pas un choix. C’est un devoir d’État.