LES AMBITIONS CROISSANTES DE LA FRANCE EN ASIE CENTRALE SONT ESSENTIELLES POUR L'EUROPE
Paris / La Gazette
Le président français Emmanuel Macron a effectué une visite officielle au Kazakhstan et en Ouzbékistan les 1er et 2 novembre, donc il importe de souligner l'importance croissante des liens entre la France et l'Asie centrale.
Les 1er et 2 novembre, le président français Emmanuel Macron, accompagné de dizaines de représentants des plus grandes entreprises françaises, a effectué des visites officielles au Kazakhstan et en Ouzbékistan, au cours desquelles des déclarations ont été signées sur l'élargissement de la coopération et la poursuite du dialogue politique (y compris un futur rehaussement des relations avec l'Ouzbékistan à un "partenariat stratégique"), et des accords ont été conclus sur des questions telles que la poursuite de la coopération dans l'extraction de l'uranium et l'investissement français dans les énergies renouvelables. Un certain nombre d'accords commerciaux préliminaires ont également été conclus. En outre, la France a exprimé sa volonté d'approfondir la coopération en matière de développement et d'éducation ; des déclarations ont été faites sur la poursuite des efforts visant à ouvrir deux universités françaises, à accroître les échanges d'étudiants et à promouvoir la langue française.
Un engagement plus profond dans cette région est crucial à la fois pour la France et pour l'Europe dans son ensemble. Le renforcement des liens avec l'Asie centrale pourrait assurer la sécurité énergétique de l'Europe, fournir un approvisionnement en terres rares et rétablir l'équilibre géopolitique dans la région de l'Asie centrale.
Le président Macron est le premier dirigeant français à se rendre dans la région d'Asie centrale depuis 1994. Toutefois, au cours des 30 dernières années, la coopération dans le domaine des matières premières entre la France et les pays de la région (principalement le Kazakhstan) s'est développée de manière intensive. En témoignent les investissements de TotalEnergies dans les gisements pétroliers et la coopération étroite dans le domaine de l'extraction de l'uranium : selon les données de 2022, le Kazakhstan représentait 29 % de l'uranium acheté par la France, et l'Ouzbékistan 17 %. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été à l'origine de ce rapprochement, comme l'a montré, entre autres, la récente visite de du président français. En conséquence, l'UE dans son ensemble et ses États membres ont renforcé leur coopération avec les pays d'Asie centrale dans les domaines de l'énergie, des transports et du commerce. La région est également intéressée par le développement de la coopération, comme en témoignent par exemple les visites des présidents du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan, Kassym-Jomart Tokayev et Shavkat Mirziyoyev, à Paris en novembre dernier et à Berlin en septembre.
L'un des avantages évidents d'une alliance renforcée avec l'Asie centrale réside dans les collaborations potentielles dans le secteur de l'énergie. Le Kazakhstan possède notamment d'importantes réserves d'uranium, dont il est l'un des principaux producteurs mondiaux. Étant donné qu'environ 70 % de l'électricité française provient de l'énergie nucléaire, un partenariat approfondi pourrait garantir un approvisionnement constant en uranium pour les réacteurs français.
En outre, ce partenariat pourrait répondre aux préoccupations croissantes de l'Europe en matière d'énergie. Les récentes perturbations sur les marchés mondiaux de l'énergie, associées aux tensions politiques, ont mis en évidence la nécessité pour l'Europe de diversifier ses sources d'énergie. Avec ses réserves d'hydrocarbures inexploitées et son potentiel en matière d'énergies renouvelables, l'Asie centrale constitue une solution viable.
L'objectif principal de la visite d'Emmanuel Macron en Asie centrale semblait être le développement de la coopération concernant l'extraction et l'importation d'uranium en France. Le risque d'une baisse des importations en provenance du Niger (deuxième fournisseur du marché français en 2022), qui s'est accru après le coup d'État militaire de juillet dans ce pays, a renforcé l'importance du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. Dans ce contexte, la signature d'un mémorandum de coopération pour l'importation de matières premières critiques avec le Kazakhstan, ainsi que l'approbation par le président ouzbek Mirziyoyev du développement de travaux géologiques et miniers pour l'uranium, représentent des résultats tangibles de la visite. Les accords conclus dans les secteurs des énergies renouvelables (projet éolien de 1,4 milliard de dollars dans le sud du Kazakhstan, auquel participera TotalEnergies) et des transports (projet de construction d'une usine de locomotives électriques par Alstom) favorisent les intérêts des entreprises françaises et concrétisent les priorités de l'Union européenne en matière de coopération avec la région.
Le Kazakhstan et d'autres États d'Asie centrale, bien qu'encore sous-explorés, sont également riches en métaux des terres rares, importants pour la transition vers l'énergie verte. Ces métaux jouent un rôle essentiel dans la fabrication d'un large éventail de technologies, des smartphones aux éoliennes en passant par les batteries rechargeables pour les véhicules électriques.
Actuellement, l'Europe dépend fortement de la Chine pour ces minéraux indispensables. Cette dépendance à l'égard d'une seule chaîne d'approvisionnement est risquée et met en péril son avancée technologique.
En approfondissant de manière proactive les liens avec les pays d'Asie centrale, la France et l'Europe peuvent diversifier leurs chaînes d'approvisionnement en métaux rares. Cette démarche réduira la dépendance à l'égard de la Chine et favorisera une plus grande indépendance économique et une meilleure résistance aux perturbations commerciales potentielles.
Le Kazakhstan s'apprête notamment à organiser un référendum sur la construction d'une centrale nucléaire sur son territoire. Compte tenu de l'expertise approfondie de la France dans le secteur nucléaire, il s'agit là d'une excellente occasion de collaboration.
La France, qui abrite certaines des plus grandes entreprises mondiales du secteur de l'énergie nucléaire, possède à la fois l'expérience et le sens technique nécessaires pour aider le Kazakhstan à relever les défis de la construction et de la gestion d'une installation nucléaire. Le partenariat potentiel promet plus qu'une simple construction ; il englobe le partage des connaissances, la mise en place de mesures de sécurité et des contrats durables pour la maintenance et l'exploitation.
Le vieux continent devrait envisager les considérations du Kazakhstan sur l'énergie nucléaire comme s'alignant sur ses objectifs plus larges en matière de sécurité énergétique, d'atténuation du changement climatique et de stabilité régionale. L'UE considérant l'énergie nucléaire comme un secteur clé pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, les initiatives du Kazakhstan pourraient s'attirer le soutien d'alliés occidentaux.
Les grandes puissances comme la Russie et la Chine cherchent activement à exercer une influence en Asie centrale, une région historiquement prise dans le collimateur de ce que l'on appelle le "Grand Jeu". La Russie, avec ses liens historiques et économiques, et la Chine, avec l'Organisation de coopération de Shanghai et son initiative "la Ceinture et la Route", se sont profondément ancrées dans la région.
L'engagement renforcé de la France en Asie centrale peut servir de contrepoids, en veillant à ce qu'aucune puissance ne domine la région. Cette approche stratégique sert à la fois les intérêts de l'Europe et ceux de l'Asie centrale.
Le moment est propice. Alors que le Kazakhstan entretient des liens économiques et culturels étroits avec la Russie, ses dirigeants ont refusé de cautionner l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ils ont au contraire plaidé en faveur d'une cessation des hostilités et de l'ouverture de pourparlers de paix, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies.
En outre, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a souligné que son pays adhérerait aux sanctions occidentales.
En ce qui concerne les initiatives concrètes, l'avancement de nouvelles routes commerciales entre l'Europe et l'Asie, telles que la Route transcaspienne de transport international (TITR), également connue sous le nom de Middle Corridor, représenterait une avancée significative pour l'Europe. Cette route commerciale, qui part de la Turquie, traverse le Sud-Caucase (Azerbaïdjan et Géorgie) et l'Asie centrale pour atteindre la Chine, diversifie et accélère potentiellement les voies commerciales.
Les temps de transport le long de cet itinéraire sont passés de 38-53 jours l'année dernière à seulement 19-23 jours. L'objectif est de réduire encore ce délai à 14-18 jours. L'expansion de ce corridor pourrait servir de plaque tournante pour le renforcement du commerce, des échanges culturels et de la collaboration géopolitique entre l'Europe et l'Asie.
L'engagement accru de la France en Asie centrale, au-delà d'un simple contrepoids aux influences des grandes puissances, pourrait favoriser activement le développement et l'importance du Middle Corridor . Celui-ci offre à l'Europe des voies commerciales alternatives qui peuvent réduire les temps de transit, mais il souligne également l'importance stratégique de l'Asie centrale en tant que pont entre l'Orient et l'Occident.
La France peut également positionner les pays d'Asie centrale comme des contributeurs actifs à la connectivité et à la collaboration mondiales, plutôt que comme de simples spectateurs dans un paysage géopolitique plus large.
Du point de vue du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan, la dernière visite du chef de l'État français a élargi la dimension occidentale des cours de politique étrangère de ces pays, puisqu'elle a augmenté après l'invasion russe de l'Ukraine. Astana et Tachkent voient dans leur coopération avec l'Occident une occasion de renforcer leurs positions internationales - y compris vis-à-vis de Moscou et de Pékin - tout en attirant les investissements et la modernisation (en termes de technologie et d'éducation). Ils se présentent également comme des partenaires commerciaux fiables et stratégiques pour l'UE et ses États dans le domaine des matières premières. Cela a été confirmé, par exemple, par le rôle du Kazakhstan comme l'une des deux plus importantes sources de pétrole de la France ces dernières années, et par le développement dynamique de la coopération avec l'Ouzbékistan dans le domaine de l'uranium. La joint-venture créée en novembre dernier avec la participation du groupe français Orano, qui a effectué son premier transport d'uranium à la veille de la visite d'Emmanuel Macron, en est un excellent exemple.