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PAIX DANS LE CAUCASE : MAIS OÙ EST LA FRANCE ?

14 Novembre 2021 19:22 (UTC+01:00)
PAIX DANS LE CAUCASE : MAIS OÙ EST LA FRANCE ?
PAIX DANS LE CAUCASE : MAIS OÙ EST LA FRANCE ?

Paris / La Gazette

Les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais doivent se rencontrer à Sonchi cette semaine, sous « l’aile protectrice » du Kremlin. Cette rencontre aura lieu dans des conditions particulières. En Arménie, des élections se sont tenues fin juin. Elles ont été marquées par la défaite du lobby pro-guerre qui a aggravé l’isolement du pays pendant des décennies. Les années de guerre, les destructions, les effets d’une économie stagnante coupée du reste du monde, ont amené les Arméniens d’Arménie à voter pour la paix et la reconstruction.

Cette reconstruction est déjà en cours. Dans les territoires rendus sous son contrôle l’année dernière, l’Azerbaïdjan a construit et ouvert un aéroport international ; les premières maisons ont été bâties pour reloger le million de réfugiés déplacés à l’intérieur du pays lors d’un précédent conflit arméno-azerbaïdjanais dans les années 1990.
Plus important encore, le déminage s’acccélère dans ce qui est aujourd’hui le territoire le plus dangereux au monde, grâce aux cartes détaillées fournies - au compte-gouttes - par le gouvernement et l’armée d’Arménie.

Les premiers vols civils azerbaïdjanais ont lieu au-dessus du territoire arménien avec l’accord des deux pays ; un corridor reliant une enclave de l’Azerbaïdjan au « continent » va traverser le territoire arménien avec l’autorisation des autorités. C’est un véritable investissement économique qui apportera des emplois et de la richesse à l’Arménie.
Même la Turquie - que certains considèrent comme le principal acteur de la guerre de l’année dernière, ses armes de haute technologie et son poids diplomatique ayant apporté une aide décisive à l’Azerbaïdjan - tend la main à l’Arménie, avec des discussions sur l’ouverture de relations diplomatiques pour la première fois dans l’histoire.

Des liens forts entre la France et l’Arménie

Mais que fait la France ? Pourquoi ne s’implique-t-elle pas plus ? Elle semble portée disparue depuis 12 mois. Faut-il rappeler qu’elle est l’un des trois coprésidents permanents du Groupe de Minsk de l’OSCE - l’initiative intergouvernementale qui a cherché un règlement pacifique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? La diaspora arménienne est importante en France et lui a donné, depuis des générations, des personnalités de premier plan dans le domaine de la culture comme dans celui de la politique.

La France a un devoir moral à l’égard de cette région du monde et devrait s’impliquer plus, en évitant toute forme de partialité dont l’accusent certains observateurs. N’est-ce pas l’essence même de la diplomatie internationale ?

La Russie, soutien de l’Arménie

N’oublions pas que le conflit affectant la région du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, peuplée d’une majorité d’Arméniens, est né des politiques soviétiques en matière de nationalités. Sur les ruines de l’URSS, il s’est transformé en une véritable guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, après leur accession à l’indépendance. L’Azerbaïdjan a alors demandé le retrait total des bases soviétiques de son sol ; l’Arménie, elle, a signé un accord de défense et de sécurité avec la Russie, autorisant non seulement le stationnement de bases russes, mais aussi la présence de gardes russes à ses frontières, et établissant une dépendance totale en matière d’approvisionnement en armes. L’Azerbaïdjan a payé cher son refus d’accueillir des bases : le premier gouvernement indépendant a été renversé, le pays a perdu le contrôle de 20% de son territoire, y compris les zones situées en dehors des limites de la région autonome du Haut-Karabakh, et 700 000 personnes ont été déplacées.

La Russie n’a pas d’états d’âme. Ses alliances militaires et économiques la placent sans équivoque du côté arménien. L’Arménie est membre et présidente de l’Organisation du Traité de sécurité collective de la Russie (OTSC), un pacte militaire regroupant 6 pays, renforcé par un traité de défense militaire mutuelle séparé entre la Russie et l’Arménie. Elle est aussi membre à part entière de la Communauté économique eurasienne (EAC) – une sorte de copie russe de la zone de marché unique de l’UE.

Une Russie économiquement affaiblie voit les conflits non résolus comme des outils permettant de garder la main sur ce qu’elle considère comme sa sphère d’influence. C’est d’ailleurs une situation prolongée de « ni paix ni guerre » qui a conduit aux affrontements de l’an dernier. Faciliter la fin de combats qui ont suscité la réprobation d’une grande partie de la communauté internationale lui a néanmoins permis de renforcer sa présence militaire et d’accroître son contrôle coercitif sur la région.

La France a un role à jouer

A côté de cela, les prises de position de la France semblent marginales, voire risibles. Pourtant, elle aurait un rôle à jouer. Il est vrai qu’entre les alliés européens, il n’y a pas de réelle unité sur la politique envers l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’Italie, la Grèce et la Bulgarie, tous approvisionnés en gaz azerbaïdjanais, ont des intérêts stratégiques à préserver. Individuellement, les nations européennes apparaissent donc figées dans leurs positions. Cela crée une opportunité pour la France d’entrer de plain pied dans le jeu diplomatique. En tant que présidente du groupe de Minsk, elle a non seulement l’opportunité, mais la responsabilité, de conduire la politique européenne dans le Caucase du sud et de contribuer de manière décisive à la résolution du conflit.

La France doit œuvrer pour accélérer la coopération dans tous les domaines entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Amie de l’Arménie et de la paix, elle pourrait veiller à ce que l’Arménie, avec son économie plus petite et plus isolée, bénéficie toujours aux côtés de l’Azerbaïdjan de tout projet économique ou de transport dans le Caucase lorsque les frontiers seront rouvertes. Elle devrait aussi promouvoir des projets bilatéraux entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan plutôt que céder le contrôle à Moscou.

Le leadership de la France dans le nucléaire civil la met particulièrement en mesure de résoudre un grave problème énergétique qui touche l’Arménie et la région. L’Arménie reste fortement dépendante de l’une des centrales nucléaires les plus dangereuses au monde, l’installation Metsamor de l’ère soviétique : notre pays peut contribuer à la transformer en apportant une technologie et un savoir-faire de pointe. Il pourrait simultanément encourager l’ouverture de pipelines entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, intégrant les systèmes énergétiques régionaux, ce qui faciliterait l’instauration d’une certain stabilité.

Actuellement, nous sommes à peu près inopérants dans le Caucase. Les seuls intérêts servis dans les pourparlers de paix sont ceux de la Russie. Il serait opportun que la France donne au monde l’exemple d’une diplomatie courageuse, assez efficace pour résoudre un conflit et faire durer la paix. Car tant que la situation restera aussi instable, aucune réforme ne sera possible, aucune tentative d’intégration européenne ou euro-atlantique n’abourira. Une société ne peut s’ouvrir et se moderniser sans connaître de turbulences. Cela convient très bien à Moscou. Mais pas à Paris.

Par Nicolas Lecaussin,

Directeur de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (Iref)

Source: Valeurs

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