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FRANCE 24 SE LANCE À SON TOUR DANS LE « BAKOU BASHING »

22 Février 2024 13:37 (UTC+01:00)
FRANCE 24 SE LANCE À SON TOUR DANS LE « BAKOU BASHING »
FRANCE 24 SE LANCE À SON TOUR DANS LE « BAKOU BASHING »

Paris / La Gazette

Mardi 20 février, France 24 publiait sur son site un article, signé de Sebastien Seibt, mais écrit en collaboration avec Eloïse Layan du consortium Forbidden Stories dans le cadre du projet “Baku Connection”. Tout un programme…

L’article est intitulé : « Quel est le point commun entre l'absence d’observateurs français pour la présidentielle en Azerbaïdjan, un groupe dénonçant le “colonialisme français” et une campagne ciblant les JO2024 ? »

Dès le titre, le ton est donné, puisqu’il reprend en quelque sorte trois poncifs dont le discours officiel français a fait son leitmotiv : l’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie, la France est injustement accusée d’être un pays néo-colonial, et des agents de l’étranger essaient de discréditer la France en s’en prenant à ce qui devrait être son heure de gloire : les jeux olympiques de 2024.

« La voix de son maître »

Il n’est pas question de mettre en cause le travail des journalistes qui font ce qu’il peuvent au sein d’un d’une chaîne nationale de programme appartenant à France Médias Monde, un organisme d’État qui supervise l'audiovisuel extérieur de la France. La chaîne fut d’ailleurs crée par Jacques Chirac pour être la « voix de la France », face aux autres medias internationaux d’information en continu, tels que CNN International, BBC World News) et Al Jazeera. Une sorte de retour à la vision qu’exprimait le président Georges Pompidou en 1970 : « Ceux qui parlent à la télévision ou à France-Inter, ils parlent un peu au nom de la France ». Sauf que, après Jacques Chirac, qui avait eu le souci, très « Gaullien », d’affirmer une position indépendante et non alignée de la France et prenait en compte l’importance, pour le futur, d’un rapprochement avec les pays « émergents », la politique étrangère de la France a changé. Opérant un véritable volte-face, elle a choisi, puis plus de 15 ans, de s’aligner sur les positions américaines et, en quelque sorte, de s’y dissoudre.

En premier lieu, pourquoi les medias français s’intéressent-ils tant à l’Azerbaïdjan, alors qu’ils l’ont ignoré pendant des décennies ? Depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, ses relations avec la France étaient au beau fixe. Considéré, à juste titre, comme un exemple de laïcité et multi-ethnicité, pionnier dans les droits de la femme, on ne tarissait pas d’éloges sur ce pays qui entamait avec succès, sous la houlette de son président Heydar Aliyev, sa transition de sortie du joug soviétique. On mettait notamment en avant les liens culturels entre les deux pays, qui avaient permis de gratifier Bakou du surnom de « Paris du Caucase ».

Dès 1992, l’Arménie voisine, qui lorgnait depuis longtemps sur la province du Karabakh riche en ressources naturelles, comme l’or et les métaux précieux, avait envahi cette région avec d’autant d’aisance qu’à l’époque, l’Azerbaïdjan ne disposait pas d’une armée aussi efficace que celle de son voisin. La raison en était la volonté des autorités soviétique d’éviter la militarisation de ce pays qui fournissait à l’URSS une grande partie de son énergie. Une URSS qui alla jusqu’à prêter main forte à l’Arménie dans ses assauts contre l’Azerbaïdjan. Mikhaël Gorbatchev regrettera plus tard cette stratégie qui fut, selon lui, « la plus grand erreur politique de sa vie ».

Mais en 2020, l’Azerbaïdjan, lassé du refus de l’Arménie de négocier la situation du Karabakh et de l’inefficacité du groupe de Minsk, a fini par décider de lui-même de la libération de ses terres. L’équilibre militaire s’étant inversée depuis 1992, ce fut fait en seulement quelques jours.

Pendant ce temps, en France, la communauté arménienne, du moins sa branche la plus nationaliste, avait pris une place majeure dans l’espace politique et médiatique. Pour des raisons électorales et idéologiques, la majeure partie des partis, dont le parti présidentiel, a pris fait et cause pour les mouvements ultra-nationalistes arméniens, et entamé une violente politique de « Bakou-bashing ». Celle-ci a d’ailleurs éloigné définitivement la France de son influence dans la région. Absente de la reconstruction des villes du Karabakh détruites par l’occupation arménienne, et confiée à des entreprises britanniques ou italiennes, elle l’est aussi des grands projets économiques. Par exemple, la construction de la centrale électrique de Shafag va être assurée par BP et non par une entreprise française.

Le néo-colonialisme français en question

C’est d’ailleurs cette même politique condescendante et, disons-le, aveugle, qui a fait perdre à la France son influence en Afrique. On peut remarquer que non seulement l’atlantisme de la France a ruiné sa légitimité en Afrique et dans le Caucase, mais l’a surtout conduite à devenir le dindon de la farce, trahie par ses propres amis. Dès son départ forcé, les États-Unis ont en effet immédiatement tenté de la remplacer dans son pré carré africain. En vain d’ailleurs, puisque l’Afrique a semblé préférer des partenaires qu’elle a jugés plus fiables, comme la Chine et la Russie.

Au lieu de tenter de raccommoder ses relations avec l’Azerbaïdjan, la France a maintenu et accru son soutien aux séparatistes arméniens, jusqu’à promettre des armes à l’Arménie, alors même que celle-ci a entamé des négociations directes avec son voisin.

Il n’est alors pas étonnant que l’Azerbaïdjan, jusqu’à l’an dernier à la tête des pays non-alignés, ait décidé de soutenir, à travers « l’initiative de Bakou », les peuples qui luttent contre le colonialisme et le néo-colonialisme. Et parmi ces peuples, il y a naturellement ceux qui s’estiment victimes de la politique française, notamment aux Antilles et en Polynésie, ou même en Corse. Soutenir les séparatismes expose au risque d’une réponse du berger à la bergère. Comme le dit le proverbe africain : « Quand le singe grimpe au cocotier , il vaut mieux qu’il ait les fesses propres ». En tous cas, cela explique la grosse colère du gouvernement français qui s’exprime en particulier par la voix de France 24

L’article de France 24 emboîte en effet le pas des autorités françaises en dénonçant ce qui ne peut être, selon lui, qu’une manipulation. La pollution des terres martiniquaises et guadeloupéennes par la chlordécone, cet insecticide utilisé dans les bananeraies, ou la destruction des forêts de Nouvelle-Caledonie au profit de l’exploitation minière, cela ne compte apparemment pas. De l’intox calquée sur les entreprises de désinformation russes, se défend la publication, qui invoque les penseurs atlantistes, comme Emmanuel Dupuy, contributeur régulier du magazine Atlantico, qui estime que « la création du Groupe d’initiative de Bakou et le matraquage médiatique autour de la question de l’anticolonialisme sont une erreur monumentale”, et le controversé Altay Goyushov, un ancien universitaire azerbaïdjanais qui a choisi de s’installer aux États-Unis, puis en Europe, d’où il relaye les positions pro-occidentales sur le monde turcique.

La diplomatie alimentaire

Les récentes élections présidentielles du 7 février ont fourni aux medias et au Quai d’Orsay une opportunité rêvée de relancer le Bakou-bashing. Surtout que les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur ont toujours en travers de la gorge le fait que deux agents des services de renseignement français se sont fait prendre la main dans le pot à confiture en tentant de recruter, de façon particulièrement maladroite, l’entrepreneur français installé à Bakou, Martin Ryan. L’erreur de trop pour Bernard Emié, patron de la DGSE, qui après une série de bévues déjà longue, a fini par se faire remercier par Emmanuel Macron. Son carnet d’adresse lui permettra sans doute de se reconvertir dans le privé. Reste à savoir s’il recrutera les deux pieds nickelés qu’il avait envoyés à Bakou.

La « voix de la France » n’a pas été économe en critiques à l’égard du scrutin final malgré les 790 observateurs étrangers représentant 72 organisations internationales de 89 pays, que, selon les rédacteurs de l’article, l’absence de Français rendrait illégitimes.

De toutes façons, toute appréciation positive d’un observateur français aurait été entachée de suspicion. France 24 se fait l’écho de cette fameuse « diplomatie caviar », expression inventée par la presse arménienne qui accuse – forcément – de corruption les élus ou journalistes qui ne se solidarisent pas de leurs attaques contre l’Azerbaïdjan.

Pourtant, ceux qui ont eu l’occasion d’être invités à une réception à l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris savent que, sans vouloir être offensants, la « diplomatie caviar » ressemble plutôt à une « diplomatie cacahuètes » !

Mais rien n’y fait : « Cadeaux divers et variés, voyages en Azerbaïdjan tout frais compris » sont nécessairement les signes d’une inacceptable corruption, même si les cadeaux en question se limitent à un porte-documents siglé en plastique et à une boîte de pâtisseries azerbaïdjanaises, délicieuses par ailleurs. Quant au caviar, qui n’a rien d’un produit de luxe en Azerbaïdjan, la seule façon d’en obtenir est d’en acheter dans les excellentes boutiques de la vieille ville de Bakou. Même les restaurations de monuments français, comme la cathédrale de Strasbourg, offertes par l’Azerbaïdjan, sont vues comme une manière de « s’assurer des relais d’influence au sein du monde politico-médiatique ». Finalement quoique fasse l’Azerbaïdjan, ce ne peut être que dans une mauvaise intention. Cela rappelle un peu le temps de l’inquisition : si le supplicié survivait à la « question », il était habité du démon et exécuté, s’il mourait, il était innocent, mais peu à même de savourer son acquittement…

Autre raison de la colère de Macron, rappelle France 24, c’est la chanson satirique interprétée par des enfants sur la chaîne nationale azérie, intitulée « Emmanuel », et qui énumère les trahisons » de Macron. Selon le site, « cette bravade est emblématique de la nouvelle stratégie azerbaïdjanaise à l’égard de la France ». Les Guignols qui tournaient en ridicule les présidents américains étaient-ils donc l’expression d’une « bravade » à l’encontre les Etats-Unis ? Leurs caricatures de Macron étaient-ils une insulte au chef de l’État ? Ah ! Mauvais exemple, les Guignols ont été supprimés par Vincent Bolloré, l’un des oligarques des medias français.

Si les JO se passent mal, c’est la faute à Bakou

Enfin, cerise sur le podium, France 24 recopie tranquillement le rapport de l’Agence Viginum, selon laquelle l’Azerbaïdjan aurait, à travers des videos et des posts, œuvré à dénigrer la magnifique organisation des futurs jeux olympiques de 2024. Comme si on avait besoin de l’aide de Bakou pour cela. Le préfet et la présidente de la région Ile de France, la police et la cour des comptes pointent déjà quotidiennement l’amateurisme de l’organisation des Jeux, et les retards dans tous les domaines, notamment la sécurité et les transports. Les caricaturistes hexagonaux s’en donnent également à coeur joie pour mettre en scène les rats de Paris qui attendent eux aussi avec un impatient appétit l’arrivée des touristes sportifs. Après tout, tout ce joli monde est peut-être grassement rémunéré par Bakou, qui sait ? Quant à Viginum, il s’agit d’une « agence gouvernementale française de défense contre l’ingérence numérique étrangère ». En réalité, elle est une émanation du secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, l’un des innombrables services de renseignements français. Sa tâche : tout comme la DGSE, responsable du fiasco Ryan, non seulement recueillir du renseignement, mais aussi diffuser des « informations », qui sont à peu près aussi fiables que celles qui émanent des services étrangers qu’elle accuse elle-même de manipulation. Il est sûr que les journalistes peuvent s’appuyer les yeux fermés sur leurs communiqués…

Le camp du bien et le camp du mal

Les journalistes justement sont aussi sur la sellette. Du moins ceux qui jouent quelques fausses notes dans la symphonie anti-azerbaïdjanaise du mainstream, ce qui leur vaut la qualification inverse de pro-azerbaïdjanais. Etrangement on n’a jamais entendu de journalistes être qualifiés de pro-arméniens, même si, comme le rédacteur en chef adjoint du Figaro Magazine, ils se confondent en louanges serviles du séparatisme arménien au Karabakh. Comme si, finalement, il y avait un camp du bien et un camp du mal. Cela ne rappelle à personne l’époque où Fox News traitait de « communistes » les journalistes français qui argumentaient contre l’invasion de l’Irak ?

Rappelons simplement, cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, que si l’agence de presse azerbaïdjanaise Trend est actionnaire de la Gazette du Caucase, jamais un article n’a été vérifié a priori, ni corrigé, ni censuré, ni supprimé a posteriori par l’Azerbaïdjan. Les journalistes de La Gazette ne l’accepteraient jamais. On aimerait que ce soit toujours le cas dans la presse française.

Jean-Michel Brun

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