L'IMPORTANCE STRATÉGIQUE DE L'ASIE CENTRALE POUR LA FRANCE DANS LE CONTEXTE DES RÉCENTS ÉVÈNEMENTS AU NIGER
Paris / La Gazette
Aujourd'hui, l'incertitude qui règne dans le monde se traduit par des affrontements sanglants dans un certain nombre de régions, y compris des tentatives de changement de pouvoir par la force. Il est regrettable de constater que la guerre russo-ukrainienne qui dure depuis un certain temps et la déstabilisation qui s'est produite ces dernières années en Afrique du Nord ont sérieusement endommagé l'architecture de sécurité du continent européen. Aujourd'hui, les États de l'Union européenne sont confrontés à des défis majeurs sur les deux fronts : flux de réfugiés, conflits armés, instabilité et, surtout, sécurité énergétique.
Ces derniers mois, les luttes internes au Niger, où se trouvent les plus importantes mines d'uranium du monde, et le coup d'État militaire qui s'en est suivi ont constitué une menace sérieuse pour l'approvisionnement énergétique de l'Europe et de la République française. Pour information, la majorité des actions des sociétés locales SOMAÏR et COMINAK, créées pour développer les principales mines d'uranium du Niger, sont détenues par le groupe Orano, une entreprise publique française d'envergure mondiale.
Il est à noter que SOMAÏR représentait plus de 90 % des exportations d'uranium du Niger en 2021. En mai dernier, le groupe Orano a signé un contrat avec le gouvernement du Niger. Selon l'accord signé entre la France et le Niger, la période d'exploitation des mines d'uranium dans le pays a été prolongée jusqu'en 2040. Cependant, les militaires, qui ont pris le pouvoir à la suite d'un coup d'État militaire au cours des derniers mois, ont l'intention d'annuler unilatéralement le commerce de l'uranium entre la France et le Niger ou de renégocier les relations. Bien que des spéculations circulent dans divers médias sur le fait que le nouveau gouvernement imposera un moratoire sur les exportations d'uranium, il n'y a pas encore d'information officielle à ce sujet. Cependant, il y a quelques jours, le nouveau gouvernement nigérien a décidé d'augmenter le prix de l'uranium exporté vers la France de 0,80 €/kg à 200 €/kg dans le cadre d'une stratégie de fixation des prix.
À noter que le commerce de l'uranium entre les deux pays s'effectue depuis longtemps dans le cadre du mécanisme original de prix fixe. Tout malentendu entre la France et le Niger concernant la continuité du commerce de l'uranium, ainsi que les prix de l'uranium, peut être considéré comme un défi pour la sécurité énergétique de la France, ainsi que de l'Union européenne. Selon les statistiques, les 88 200 tonnes d'uranium naturel importées en France entre 2012 et 2022 provenaient principalement de trois pays : le Kazakhstan (27 %), le Niger (20 %) et l'Ouzbékistan (19 %).
Pays et quantité d'uranium naturel importé en France entre 2012 et 2022.
Si nous prêtons attention aux statistiques des importations d'uranium naturel en France en 2022, il est possible de conclure que la position du Niger est forte. Apparemment, le Niger joue un rôle important dans l'approvisionnement en uranium naturel de la France.
Les principaux pays où la France a importé de l'uranium en 2022.
Dans les données statistiques publiées par Euroatom, qui est considéré comme la Communauté Européenne de l'Energie Atomique, il apparaît que les opérations d'importation ont lieu à partir des mêmes pays que ceux énumérés ci-dessus. Selon les chiffres de l'année dernière, le Niger reste le deuxième fournisseur d'uranium naturel de l'Union européenne. Euroatom affirme que l'interruption de l'approvisionnement en uranium naturel en provenance du Niger ne pose aucun risque pour le processus de production d'énergie nucléaire des pays de l'UE. L'organisation estime que les réserves d'uranium sont suffisantes sur le continent et qu'un éventuel malentendu avec le Niger ne menacera pas la sécurité énergétique de l'Union à court terme. Toutefois, dans une perspective à moyen et long terme, il est jugé important d'établir des relations avec de nouveaux producteurs ou, en d'autres termes, une diversification, afin de répondre à la demande de l'Union européenne.
D'autre part, il faut tenir compte du fait que l'augmentation des prix de l'uranium naturel par le nouveau gouvernement nigérien devrait avoir un impact négatif sur le marché mondial, y compris sur les coûts énergétiques de la France et de l'Union européenne. Il n'est pas exclu que les prix, qui ont augmenté ces dernières années, augmentent encore en raison des malentendus qui devraient perdurer entre la France et le Niger.
Évolution des prix de l'uranium sur le marché mondial au cours des cinq dernières années.
La France, qui est le premier producteur d'énergie nucléaire en Europe et l'un des premiers pays au monde, connaît actuellement de graves malentendus avec le Niger concernant le commerce de l'uranium naturel et ses prix. Compte tenu de la part du Niger dans les importations de matières premières pour la production d'énergie nucléaire en France, la diversification des approvisionnements officiels de Paris est cruciale dans le contexte actuel. Actuellement, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan, situés en Asie centrale, sont les pays les plus importants au monde en termes de volume de réserves confirmées et de capacité de production annuelle d'uranium. Ces dernières années, l'administration des deux pays a engagé des discussions avec un certain nombre de pays et d'entreprises étrangères concernant le processus de production d'uranium et son acheminement en toute sécurité vers le consommateur. Les statistiques annuelles susmentionnées confirment une fois de plus que le Kazakhstan et l'Ouzbékistan sont des partenaires importants de l'Union européenne et de la France en termes d'importation d'uranium naturel.
Dans ce contexte, la Route transcaspienne de transport international (TITR), qui est une voie d'acheminement pour les producteurs d'Asie centrale (Kazakhstan et Ouzbékistan), est vital pour la France et l'Union européenne afin de réduire la dépendance à l'égard du Niger.
De fait, dans les conditions géopolitiques actuelles, les consommateurs européens envisagent de renoncer à l'uranium et aux produits du combustible nucléaire importés de Russie, ainsi qu'à l'artère logistique qui pénètre en Europe par le territoire russe, et de créer une nouvelle chaîne d'approvisionnement. Compte tenu de la possibilité que l'itinéraire traditionnel passant par la Russie s'arrête dans un avenir proche en raison des sanctions imposées, seul la TITR passant par la mer Caspienne peut être envisagé comme solution de remplacement. La perspective d'une ligne commerciale s'ouvrant au monde via la Chine est plutôt sombre et n'est pas souhaitable pour les consommateurs. En effet, les pays occidentaux ne souhaitent pas dépendre de la Chine, qui est un concurrent mondial, pour obtenir ce type de produit stratégique.
Dans ce cas, l'existence indépendante, souveraine et sûre des pays producteurs tels que le Kazakhstan et l'Ouzbékistan, ainsi que l'Azerbaïdjan et la Géorgie (et même l'Arménie à l'avenir), où les produits sont transportés, est d'une importance cruciale pour tous les pays occidentaux, ce qui promet une perspective alternative pour l'Europe. Tout d'abord, les pays occidentaux devraient s'intéresser à la stabilité des régions du Caucase du Sud et de l'Asie centrale, où se trouvent les pays susmentionnés. Sinon, dans les conditions géopolitiques actuelles, la dépendance de l'Occident à l'égard de la Chine et de la Russie pour l'uranium et le combustible nucléaire continuera de s'accroître. Cela signifie que les pays occidentaux seront confrontés à des menaces existentielles en matière d'approvisionnement énergétique au cours des prochaines décennies.
