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L'ÉTRANGE AFFAIRE COLONNA

20 Mars 2022 20:28 (UTC+01:00)
L'ÉTRANGE AFFAIRE COLONNA
L'ÉTRANGE AFFAIRE COLONNA

Comment l’agression subie en prison par un activiste condamné à perpétuité pour meurtre fait de lui un héros, et amène, après 25 ans de fermeté, le gouvernement à céder aux demandes des autonomistes corses.

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On l’appelait « le berger de Cargèse ». Après une traque de plusieurs années pendant lesquelles il s’était caché dans l’impénétrable maquis corse, Yvan Colonna, éleveur de chèvres et militant indépendantiste corse, est arrêté en 2003 pour avoir participé à l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac le 6 février 1998. Lui et d'autres membres d'une unité militante du Front de libération nationale de la Corse (FLNC) avaient abattu le représentant du gouvernement dans la rue Colonna d'Ornano à Ajaccio. En 2011, la cour d’assise, ayant jugé qu’il était bien le tireur, le condamne à la prison à perpétuité, jugement confirmé par la cour de cassation.

Les présidents et gouvernements successifs ont toujours fait la sourde oreille aux revendications autonomistes corses, jusqu’à ce 2 mars 2022, où Ivan Colonna est attaqué dans la salle de sport de sa prison d’Arles par un autre prisonnier, Frank Elong Abe, un ressortissant français de 36 ans et originaire du Cameroun.

Il s’agit d’un terroriste djihadiste qui avait combattu en Afghanistan, avant d’être fait prisonnier par les troupes américaines et condamné à neuf ans de prison. L’agression a été si violente, que le militant corse est aujourd’hui dans le coma, entre la vie et la mort.

Le fanatique religieux n'aurait pas apprécié, c’est du moins la version officielle, le fait que le Corse, avec qui il entretenait auparavant une relation normale, ait manqué de respect au prophète.

La nouvelle de l'incident a suscité un explosion de colère des Corses et a réveillé leur volonté de se battre pour les idées nationalistes et indépendantistes soutenues par Colonna et le FLNC.

De violents affrontements avec la police ont éclaté à Corte, Ajaccio, Bastia et Calv, et qui ont, selon la Préfecture, viré à « l'émeute ». A Bastia, la manifestation qui s’est déroulée devant la préfecture de Bastia le 13 mars, et qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes au cri de « Statu Francese Assassinu » (« Etat français assassin »), s'est soldée par 44 policiers et 23 manifestants blessés. Surtout, la manifestation a largement débordé du cadre du simple soutien à Ivan Colonna. Les slogans étaient clairement nationalistes.

Et là, coup de théâtre, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, se dit prêt à discuter de l'autonomie. "Le statut de la Corse sera reflété dans la Constitution", déclare même le président français Emmanuel Macron en présentant sa campagne présidentielle. Pour la première fois depuis des décennies, le mot « autonomie » n’est plus tabou.

Quant à Ivan Colonna, toujours dans le coma, a obtenu une libération conditionnelle pour raisons de santé, qu'il pourra utiliser quand et si il reprend conscience. Les autres membres du « commando Erignac » encore détenus sur le continent, sont désormais affranchis de leur statuts de « détenu particulièrement signalé » (DPS) qui les empêchait d’être regroupés dans une prison corse.

Alors que l’Etat Français s’est toujours refusé à donner à la Corse tout statut d’autonomie, même un statut proche de celui de certains territoires d’outre-mer où la métropole ne conserve que les prérogatives régaliennes, comme la défense, la responsabilité juridique, la sécurité intérieure et la distribution des aides et des fonds, un début d’émeute aurait-il suffi à résoudre 25 ans de conflits ?

Dès lundi, le gouvernement dit avoir « entendu les demandes des élus de Corse sur l'avenir institutionnel, économique, social ou culturel » de la Corse,. Des discussions sont amorcées avec Gilles Simeoni, président autonomiste du conseil exécutif de Corse et ancien avocat d'Yvan Colonna, Gérald Darmanin, en visite en Corse, lâche qu’il est prêt « à aller jusqu'à l'autonomie ».

Naturellement, il est bien difficile de détacher ce revirement soudain de la proxilité des élections. La candidate LR Valérie Pécresse a accusé M. Macron de « céder à la violence » : « Passer de l’assassinat d’un préfet à la promesse d’autonomie, peut-il exister un message plus catastrophique ? Je refuse que le clientélisme cynique d'Emmanuel Macron brise l'intégrité du territoire français : la Corse doit rester française » assène-t-elle. Pour Marine Le Pen, la Corse "doit rester française". Éric Zemmour estime que l'autonomie "ne répond en rien aux enjeux cruciaux du moment ».

Yannick Jadot, le candidat EELV, et Jean-Luc Mélenchon au contraire, sont favorables à "une autonomie de plein droit".

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