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FRANÇAIS : ENTRE HONTE ET FIERTÉ

20 Décembre 2025 22:50 (UTC+01:00)
FRANÇAIS : ENTRE HONTE ET FIERTÉ
FRANÇAIS : ENTRE HONTE ET FIERTÉ

Paris / La Gazette

La France, on l'aime. Mais comme le disait un humoriste américain, "Un ami, c'est quelqu'un qu'on connaît très bien, et qu'on aime quand même"

C’était la deuxième fois que je me rendais en Azerbaïdjan. Avec une délégation d’experts venus du monde entier, nous visitions Choucha, capitale culturelle de l’Azerbaïdjan et ville martyre de l’occupation étrangère. A un moment, on nous annonça « une réunion de haut niveau ». Aujourd’hui, je connais bien cette expression : elle signifie que le Président de la République souhaite s’entretenir avec nous. Moi qui, par mon métier, avais rencontré une bonne partie des dirigeants de la planète : rois, présidents, capitaines d’industrie, j’étais bien curieux de voir ce que valait cet homme-là.

Et je n’ai pas été déçu. Ni mes collègues d’ailleurs. Trois heures. Pendant trois heures, il a répondu à nos questions, parfois incisives, avec calme, franchise, sans notes. Quel autre chef d’État manifeste tant de respect pour ses invités qu’il leur consacre trois heures de son temps ? Et son secrétaire, Hikmet Hajiyev, eut beau tenter, au milieu de l’entretien, de préserver l’emploi du temps de son patron, rien n’y fit : « Je tiens à répondre à toutes les questions de nos invités ».

Ce fut mon tour : « Monsieur le Président, je tiens d’abord à m’excuser auprès de vous… Je suis Français ! » Ilham Aliyev éclata de rire : « Mais vous n’avez pas à vous excuser, nous aimons beaucoup la France ». Pourtant, dans le style tartufferie, il était difficile de faire mieux que les autorités françaises. Leur soutien inconditionnel aux activistes arméniens qui, venus du Liban, cherchaient à accaparer le cinquième du territoire azerbaïdjanais, alors qu’en même temps nous condamnions avec véhémence l’invasion russe en Ukraine, avait de quoi exaspérer nos amis azerbaïdjanais.
J’ajoutais : « Vous pensez sans doute que les Français détestent les Azerbaïdjanais. Vous avez tort : les Français détestent tout le monde ! »

Cette boutade n’était pas si exagérée finalement. Oui, le Français que je suis a souvent honte de ce que la fait France (ou du moins ceux qui prétendent parler et agir en son nom). J’ai honte de voir le conseil municipal de Paris voter une résolution demandant la libération de criminels qui ont déporté, assassiné, des civils azerbaïdjanais pendant les guerres du Karabakh. J’ai honte d’entendre un ancien premier ministre, et probable futur candidat à la présidence, répondre « non » lorsqu’un journaliste lui demande si, à son avis, la colonisation est un crime. J’ai honte de voir l’une de nos plus prestigieuses avenues parisiennes porter le nom du Maréchal Bugeaud, l’assassin de milliers d’Algériens et précurseur des chambres à gaz. J’ai honte de lire dans la presse, engloutie par quelques oligarques extrémistes, que l’Islam est un danger pour la France et que tous les musulmans sont des terroristes en puissance. J’ai honte lorsque l’État français soutient des États qui exterminent des peuples. J’ai honte de voir, depuis plus de quinze ans, la fonction présidentielle ridiculisée par ceux-même qui en portent les couleurs. J’ai honte enfin du désengagement de nos dirigeants dans la promotion de la langue française, et de leur démission devant l’abandon progressif de notre patrimoine culturel.

Mais en même temps je suis fier. Fier d’être un peu l’héritier de Villon, Rabelais, Molière, Lamartine, Hugo, Voltaire, Saint-Exupéry, Kessel, Cézanne, Gauguin, Duras. Je suis fier de cette France qui s’est formée par l’apport successif de brillantes civilisations : grecque, romaine, et arabe. Je suis fier de cette France qui a accueilli en son sein tant d’étrangers qui ont contribué à sa grandeur : Leonard de Vinci, Pablo Picasso, Marie Curie, Van Gogh, Chagall, Apollinaire, Aimé Césaire, et bien d’autres. Je suis aussi fier de ces journalistes, auteurs, philosophes, artistes, cinéastes, qui refusent que la France sombre dans les abîmes du racisme, de la discrimination et de la xénophobie. Qui affirment, et prouvent, qu’il n’est de richesse que de diversité.

Je suis fier enfin de parcourir les avenues de Bakou encadrées par ces immeubles inspirées du Paris haussmannien, et d’apercevoir, à un coin de rue, une plaque commémorant la visite du Général de Gaulle en 1944 au cours de laquelle il assista à une représentation de l’opéra Koroghlou, du compositeur azerbaïdjanais Uzeyir Hadjibeyli.

L’Azerbaïdjan est probablement le pays le plus multi-culturel du monde, et peut-être le plus uni, prouvant ainsi que le respect des autres, le soutien à la diversité culturelle peuvent être le ciment d’une société. Les Français seraient si fiers d’en être aussi les emblèmes.

Quant au président Aliyev, je l’ai rencontré de nouveau à deux reprises, et le même scénario s’est reproduit. Il n’a jamais cherché à paraître la personne la plus importante du monde, mais a cherché à nous faire sentir que nous étions les personnes les plus importantes du monde. N’y aurait-il pas quelqu'un qui pourrait s'en inspirer ?

Jean-Michel Brun

Photo : Le général de Gaulle en visite à Bakou

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