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LIBERTÉS EN DANGER : LA FRANCE FICHE LES JOURNALISTES ET LES UNIVERSITAIRES QUI SOUTIENNENT L’AZERBAÏDJAN COMME MENACES CONTRE LA SÉCURITÉ DE L’ÉTAT

15 Mai 2025 14:04 (UTC+01:00)
LIBERTÉS EN DANGER  : LA FRANCE FICHE LES JOURNALISTES ET LES UNIVERSITAIRES QUI SOUTIENNENT L’AZERBAÏDJAN COMME MENACES CONTRE LA SÉCURITÉ DE L’ÉTAT
LIBERTÉS EN DANGER : LA FRANCE FICHE LES JOURNALISTES ET LES UNIVERSITAIRES QUI SOUTIENNENT L’AZERBAÏDJAN COMME MENACES CONTRE LA SÉCURITÉ DE L’ÉTAT

Paris / La Gazette

Depuis l'arrivée au pouvoir de la droite extrême, les libertés fondamentales, et notamment la liberté de la presse, sont en danger en France

Je rentre d’un banal voyage aux Émirats Arabes Unis. Arrivé à l’aéroport de Paris, surprise. Les sas de contrôle automatiques restent obstinément fermés. Je suis dirigé vers le guichet de la Police des frontières. Là, après 45 mn d’attente, je suis soumis à un pressant interrogatoire sur mes voyages, les raisons de mes déplacements. Mon passeport est fouillé, mes visas sont scrutés, photographiés. Au vu de mon visa azerbaïdjanais, le policier me toise d’un regard soupçonneux. Un officier de police est appelé. Il lit longuement sur son écran ce qui semble être des instructions me concernant. Je comprends alors que je suis désormais fiché « S ». Il s’agit d’une liste où sont recensées toutes les personnes « considérées comme potentiellement dangereuses pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État ».

Moi, un terroriste potentiel ? Mais quelle imbécilité ! Alors que je suis un citoyen bien tranquille, journaliste, écrivain, géopoliticien, pas de quoi mettre en émoi la 7e puissance du monde !

Eh bien, la raison de ce délire est aussi simple que l’esprit de mes inquisiteurs : je suis ciblé à cause de mes fréquents séjours en Azerbaïdjan, et à cause de mes articles : parce que je suis présent aux réunions du Groupe d’Initiative de Bakou, aux débats du Multiculturalism Center, que je suis régulièrement interviewé par les chaînes de télévision azerbaïdjanaises, et parce que j’écris des livres sur l’Azerbaïdjan. Je suis un terroriste potentiel parce que je m’élève contre la discrimination à l’égard des musulmans, et contre le néo-colonialisme qui opprime les populations autochtones de nos territoires d’Outre-mer. Je suis une menace parce que je défends le droit de l’Azerbaïdjan à être souverain sur son territoire, comme l’a pourtant réaffirmé l’ONU, parce que j’affirme, et je prouve, qu’il est l’agressé et non l’agresseur. Je mets en danger la sécurité de l’État parce que je cite en exemple le multiculturalisme et la conception ouverte de la laïcité en Azerbaïdjan, et bien sûr parce que le groupe de pression arménien qui s’est baptisé, par une sorte de pirouette sémantique, « Anti Azerbaijani lobby », me présente dans ses posts, photo à l’appui, comme un « ami de l’Azerbaïdjan », quelle horreur ! Pire : j’ai été photographié serrant la main du Président Aliyev. Que de crimes abominables pour la droite extrême qui a confisqué le pouvoir en France. Mon prochain livre à paraître au prochain trimestre sur la coopération inter-religieuse en Azerbaïdjan ne va certainement pas leur faire plaisir…

Finalement, ce « fichage » vaut pour moi une décoration. Elle fait de moi, sans que je l’aie sollicité, une sorte d’involontaire héraut de la liberté d’expression. Merci Messieurs Retailleau et Darmanin pour cette promotion.

Car la liberté d’expression en France, parlons-en. La classe politique dans son ensemble, servie par quelques medias obséquieux, a poussé des cris d’orfraie à l’arrestation en Algérie de l’écrivain Boualem Sansal. « On ne cherche pas à intimider un écrivain ». Mais hier, l’écrivain et journaliste Pierre Jovanovic, a vu débarquer chez lui et à sa maison d’édition les forces spéciales du Groupe d’Intervention de la Police Nationale, la Brigade Anti-Criminalité, des commissaires de police, des pompiers et des agents de la préfecture. Une mobilisation qu’on réserve habituellement aux prises d’otage, aux attentats terroristes ou aux menaces majeures à l’ordre public. La raison : l’intimider pour qu’il ne publie pas son prochain livre « 2008 » consacré aux corruptions dans la sphère dirigeante française, ses liens occultes avec la finance mondiale et ses complicités dans les scandales sexuels de l’affaire Epstein-Puff Daddy. Jovanonic ne s’est pas laissé intimider, et la publicité donnée à cette affaire lui garantit que son livre sera un bestseller. Merci encore Messieurs Retailleau et Darmanin.

La bonne nouvelle, c’est que je ne suis pas seul dans cette galère. Tous les journalistes et les universitaires qui soutiennent l’Azerbaïdjan subissent des harcèlements similaires. Se placer du côté de la justice, contredire le discours officiel alimenté par la propagande des lobbies, fait prendre des risques. Dérisoires, certes, par rapport à la satisfaction tranquille d’avoir simplement accompli son travail de journaliste. Pour paraphraser Courteline : passer pour un citoyen dangereux aux yeux de ceux qui ruinent la France est un plaisir de fin gourmet.

Avec ce gouvernement, qui multiplie les procès et les expulsions pour délit d’opinion, la liberté d’expression en prend un sacré coup. Emmanuel Macron devrait relire ses propres textes distribués lors de sa campagne électorale de 2017, et auxquels, bercés d’une coupable candeur, beaucoup d’entre nous avait cru. Il jurait alors, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, qu’il serait le garant de la liberté d’opinion, et du droit à sa libre expression. Où est donc ce Macron de l’unité nationale, de la démocratie de proximité, de la « parole aux Français », du « rempart contre l’extrême-droite », du rayonnement de la France ? L’éclat des victoires de 2017 l’a sans doute aveuglé, le vent des défaites de 2024 l’a probablement emporté.

Jean-Michel Brun
Rédacteur en chef de La gazette du Caucase

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