ARMENIE : ENTRE L’UE ET LA RUSSIE, UNE STRATEGIE D’EQUILIBRISME AUX RISQUES CROISSANTS
Paris / La Gazette
La diplomatie arménienne traverse une phase de redéfinition profonde, marquée par une tentative assumée d’équilibrer ses relations entre l’Union européenne et la Russie. Si cette stratégie offre de nouvelles opportunités à Erevan, elle expose également le pays à des tensions accrues dans un environnement géopolitique déjà instable.
Un rapprochement structuré avec l’Union européenne
L’adoption à Bruxelles du nouvel « Agenda stratégique Arménie–UE » marque un tournant : Erevan ne se limite plus à un partenariat technique avec l’Europe, mais cherche une intégration politique plus prononcée. L’élargissement de la coopération, notamment dans les domaines du droit, de l’économie, de la sécurité et du dialogue sur la libéralisation des visas, traduit une volonté d’arrimer l’Arménie à un cadre occidental plus robuste.
Sur le plan financier, les 15 millions d’euros annoncés par l’UE, ainsi que les investissements potentiels au titre du programme TRIPP, s'inscrivent dans une stratégie européenne de consolidation de sa présence dans le Caucase du Sud. L’UE mobilise ici des outils politiques, financiers et symboliques pour renforcer son influence dans un espace que la Russie considère traditionnellement comme son pré carré.
L’intérêt européen pour les corridors stratégiques
L’attention portée par l’UE au corridor de Zanguezour et au projet « Route Trump » n’est pas anodine. Les corridors de transport dans le Caucase constituent aujourd’hui un levier stratégique majeur, dans un contexte où se redessinent les routes énergétiques et logistiques eurasiatiques.
Le soutien européen à ces infrastructures indique que Bruxelles se positionne comme un acteur prêt à investir dans l’interconnexion régionale — et implicitement, à concurrencer les projets russes ou iraniens.
La Russie, un partenaire contrarié
L’évolution de la politique arménienne place Moscou dans une situation délicate. La Russie a rappelé à plusieurs reprises que la double appartenance Arménie–UEE (Union Economique Eurasienne) / UE est incompatible, car les principes et les régulations des deux espaces sont contradictoires.
Les déclarations de responsables russes, parfois accompagnées d’avertissements voilés, signalent que Moscou considère le rapprochement arménien avec Bruxelles comme un départ de trajectoire stratégique, comparable à celui observé en Ukraine au cours des années 2010.
Le risque pour Erevan est donc double :
- Une détérioration progressive de la relation avec Moscou, avec des implications pour la sécurité et l’économie.
- Une dépendance croissante envers l’UE, qui pourrait exiger davantage de convergence politique, notamment sur la question sensible des sanctions contre la Russie.
Une instrumentalisation géopolitique potentielle
L’Union européenne, pour sa part, n’hésite pas à lier rapprochement politique et attentes stratégiques. Les appels de Kaja Kallas à aligner l’Arménie sur la politique de sanctions contre Moscou, ainsi que les engagements de soutien face aux « menaces hybrides », indiquent une tentative de repositionnement géopolitique du pays dans le bloc occidental.
L’Arménie, située dans un environnement fragmenté, pourrait ainsi devenir un espace de compétition d’influence. La référence explicite aux élections législatives arméniennes montre que Bruxelles entend jouer un rôle non seulement économique ou sécuritaire, mais aussi politique, ce qui reviendrait à remodeler la scène interne arménienne.
Un équilibre difficile à maintenir
Erevan tente de mener une stratégie de diversification diplomatique, mais l’environnement international actuel rend cette démarche risquée.
La logique de blocs qui se reconstitue depuis la guerre en Ukraine rend la position d’équilibriste de l’Arménie de plus en plus fragile. En cherchant à tirer parti des opportunités offertes par l’UE tout en essayant de maintenir un lien fonctionnel avec la Russie, l’Arménie s’expose à des pressions simultanées.
Un ajustement stratégique indispensable
L’analyse des dynamiques actuelles montre qu'Erevan devra :
- clarifier ses priorités,
- évaluer les conséquences à long terme d’un réalignement vers l’UE,
- éviter les scénarios de confrontation géopolitique dans lesquels le pays deviendrait un terrain de rivalité entre Moscou et Bruxelles.
Le Caucase du Sud, déjà traversé par de multiples lignes de fracture, n’a pas intérêt à devenir le prochain champ de bataille politique entre l’UE et la Russie.
Pour l’Arménie, la gestion de cette transition diplomatique déterminera sa stabilité future, son autonomie stratégique et sa capacité à se positionner dans un ordre mondial polarisé.