« LE COLONIALISME BELGE : RECONNAISSANCE ET RESPONSABILITÉ » : AVEC CETTE CONFÉRENCE-DÉBAT, BAKOU S’AFFIRME COMME LE LEADER MONDIAL DE LA LUTTE CONTRE LES COLONIALISMES. 1ÈRE PARTIE
Paris / La Gazette
L’empire colonial belge en Afrique a été l’un des plus meurtrier de la sanglante histoire coloniale mondiale, notamment au Congo, au Rwanda et au Burundi. Travail forcé, assassinats, mutilations d’enfants, mais aussi effacement de la culture et pillage des ressources, ont laissé des séquelles durables dont les conséquences sont encore dévastatrices aujourd’hui.
La conférence-débat organisée par le Groupe d’Initiative de Bakou, le 31 octobre 2025 dans la capitale azerbaïdjanaise, a permis non seulement de connaître les détails de l’histoire de cette période sombre, mais aussi de comprendre pourquoi les puissances étrangères et les milieux financiers n’ont, à ce jour, toujours pas renoncé à leur volonté de s’approprier les ressources de l’une des plus riches régions du monde, et de quelle façon le colonialisme s’est mué en un néo-colonialisme qui se sert de l’arme de la déstabilisation pour continuer à imposer ses lois. Cette conférence a réuni des participants de premier ordre, et a été vécue par ces derniers comme une véritable étape dans la voie de la libération des peuples d’Afrique.
Une brève histoire de la colonisation belge
La Belgique a gouverné le Congo pendant soixante-quinze ans. D’abord comme « État Indépendant du Congo », propriété personnelle du roi Leopold II, de 1885 à 1908, puis comme « Congo belge », colonie d’État jusqu’à son indépendance proclamée le 30 juin 1960. De 1885 à 1908, environ 10 millions de personnes – soit près de la moitié de la population – périrent des suites du travail forcé, de la famine et des maladies. La Force Publique, force militaire et policière coloniale belge en Afrique centrale, aggrava ces conditions de vie par des mesures répressives visant à imposer des quotas stricts de collecte de caoutchouc. Pour obliger les parents à maintenir des cadences infernales, les colonisateurs amputèrent les mains de milliers d’enfants et détruisirent environ 10 000 villages.
Jusqu’à l’indépendance, la domination coloniale belge au Congo a permis d'exporter environ 6 000 tonnes de caoutchouc par an, afin d’alimenter l’essor de l’industrie automobile mondiale.
La colonisation du Rwanda
La Belgique a colonisé le Rwanda pendant 40 ans, de 1922 à l'indépendance en 1962, dans le cadre du mandat Ruanda-Urundi (tutelle) sous l'égide de la Société des Nations, puis des Nations Unies. Cette colonisation a engendré des tensions ethniques par des politiques de division.
En 1933, le recensement belge au Rwanda a délivré environ 600 000 cartes d'identité à une population d'environ 2 millions d'habitants, les classant comme Hutus (85 %), Tutsis (14 %) ou Twas (1 %). Dans les années 1940, les Tutsis occupaient plus de 80 % des postes administratifs, ce qui a alimenté les conflits ethniques.
Environ 70 % des ménages hutus du Rwanda étaient contraints de travailler plus de 100 jours par an sans rémunération. Dans les années 1940, la production de café exporté s'élevait à environ 10 000 tonnes par an, tandis que la malnutrition touchait 30 % des communautés rurales. La révolution hutue de 1959, soutenue par la Belgique, a entraîné la mort de 20 000 à 100 000 Tutsis et le déplacement de 150 000 personnes, contribuant aux tensions ethniques qui ont conduit au génocide de 1994, qui a fait 800 000 morts.
Plus de 40 000 objets volés au Rwanda n'ont toujours pas été restitués, les excuses présentées par la Belgique en 2000 pour son inaction pendant le génocide sont jugées insuffisantes, et les divisions ethniques héritées de l'époque coloniale continuent de provoquer des tensions parmi les Rwandais vivant à l'étranger.
La colonisation du Burundi
La Belgique a colonisé le Burundi pendant quarante ans, de 1922 jusqu'à l'indépendance en 1962, instaurant des divisions ethniques rigides qui ont engendré des conflits persistants.
Entre les années 1940 et 1950, la Belgique a enlevé environ vingt mille enfants métis pour les soumettre à une assimilation forcée.
Le Burundi demande aujourd'hui trente-six milliards d'euros de réparations pour le génocide de 1972, ayant fait entre cent et cent cinquante mille morts, ainsi que pour celui de 1993, qui a coûté la vie à cinquante mille personnes.
Plus de dix mille artefacts volés n'ont toujours pas été restitués.
Le Groupe d'Initiative de Bakou
Le Groupe d’Initiative de Bakou, principale plateforme mondiale de la lutte contre la colonisation et la néo-colonisation, ainsi que l’a rappelé Abbas Abbasov, directeur exécutif du GIB, l’ONG est une des rares à donner la parole aux peuples autochtones spoliés, marginalisés et réduits au silence par des puissances étrangères venues piller leur ressources ou utiliser leur terres confisquées afin d’établir leur domination stratégique internationale.

Abbas Abbasov
Ainsi, les habitants traditionnels des Antilles et de la Polynésie françaises, les peuples de la Réunion et de Nouvelle Calédonie, peuvent enfin faire entendre leurs voix, étouffées par la Métropole. Les séquelles de dizaines d’années d’oppression, notamment en Afrique, sont encore dramatiquement présentes aujourd’hui, et même après les indépendances, les anciens colonisateurs continuent d’exploiter les terres prétendument rendues à leurs légitimes propriétaires et entretiennent, dans ce pays, un état permanent de déstabilisation, par la corruption et le financements de groupes armés.
C’est notamment le cas de la colonisation belge qui a durablement affectée, et continue de le faire le Congo, le Rwanda, et le Burundi.
Réévaluer l'héritage colonial belge
« Parler du Congo et de la colonisation est un sujet très vaste et complexe. Sans doute plus que toute autre colonisation. Pourquoi ? D’abord parce que le Congo, par sa situation géographique et les richesses de son sous-sol est sans doute LE pays clé de l’Afrique. Franz Fanon appelait d’ailleurs le Congo « la gâchette de l’Afrique », cela signifie que ce qui s’y déclenche affecte l’ensemble du continent. Si le Congo se relève, c’est toute l’Afrique qui entre dans une nouvelle ère. » a rappelé Jean-Michel Brun, rédacteur en chef de « Musulmans en France » et de « La Gazette du Caucase », et modérateur du débat.

Jean-Michel Brun
C’est ce que résume cette phrase tirée du livre du Gal Joshua Nkombe « Le réveil du géant »: « Là où la colonisation a extrait la vie du sol congolais, la nouvelle génération s’apprête à y semer l’avenir. Mobilisons-nous, car le réveil du Congo sera le réveil de l’Afrique. »
Mais d’abord sait-on bien ce qu’est la colonisation congolaise, et que signifie « décoloniser le Congo ? »
La première table ronde s’est penchée sur le thème : « Réévaluer l'héritage colonial belge », avec Louis De Jongh Filho, Dieudonné Kwebe – Kimpele, Jessy Mudiay, Jean-Marie Nibizi, et Agnès Nyabisoki Sadiki.
« Le flux de la terreur »
Louis de Jongh Filho est avocat, et doctorant en développement durable à l’université de Brazilia. Il a exposé sa vision du colonialisme belge sous le titre : « Le flux de la terreur : violence, justification coloniale et héritage mémoriel au Congo. »

« Le colonialisme belge au Congo se présente comme un flux continu de terreur, non pas comme une série d'événements isolés, mais comme un système de domination évolutif qui a changé de forme au fil du temps.
Plutôt que de disparaître avec l'indépendance, la terreur s'est simplement transformée, passant de la violence physique à la bureaucratie, de l'idéologie à la mémoire.
Durant les périodes coloniale et postcoloniale, ce flux s'est déroulé en quatre grandes étapes : la violence physique, le contrôle institutionnel, la reproduction culturelle et, enfin, l'héritage postcolonial. Chaque étape a alimenté la suivante, montrant comment le pouvoir colonial pouvait se transformer sans perdre son cap.
La première étape, fondement de l'ensemble du système, fut la violence physique directe exercée par le roi Léopold II entre 1885 et 1908. Léopold gouvernait le Congo comme sa propriété personnelle, instaurant un régime fondé sur le travail forcé, les mutilations et la terreur. Les travailleurs congolais étaient contraints d'extraire du caoutchouc et de l'ivoire selon des quotas impossibles à atteindre. Ceux qui échouaient risquaient l'amputation, l'exécution ou l'incendie de leurs villages.
À un certain moment, les soldats de la Force Publique (police belge au Congo) reçurent l'ordre de présenter des mains coupées comme preuve de munitions utilisées, un système grotesque qui transformait la violence en outil administratif.
Il ne s'agissait pas d'une cruauté gratuite, mais d'un mécanisme de gouvernement délibéré.
La violence devint un langage politique, l'instrument par lequel l'exploitation économique et la hiérarchie raciale étaient imposées.
La protestation internationale, menée par des militants tels qu'Edmund Morel et Roger Casement, révéla ces atrocités. En conséquence, en 1908, la Belgique annexa le territoire et en fit une colonie. Mais l'annexion ne mit pas fin à la terreur. Elle ne fit que la réorganiser.
Sous domination belge, la brutalité manifeste du régime de Léopold céda la place au contrôle bureaucratique et au paternalisme moral.
L'administration coloniale mit en place des systèmes tels que le Plan décennal de développement économique et social, censé moderniser le Congo. Mais dans les faits, ce plan a consolidé l'autorité belge et a exclu les Congolais de toute prise de décision.
L'éducation et la religion sont devenues de puissants instruments de contrôle.
Les écoles missionnaires, souvent gérées par l'Église catholique, visaient non pas à émanciper, mais à discipliner.
On enseignait aux enfants l'obéissance, le travail manuel et la pureté morale, jamais l'esprit critique.
L'Église présentait la colonisation comme une mission divine, tandis que la science et l'anthropologie coloniales dépeignaient les Africains comme inférieurs, justifiant la domination par le « savoir ». Cet empire s'est construit autant dans les salles de classe que sur le terrain. Cependant, une résistance a commencé à émerger au sein même de ces structures. Des mouvements tels que le kimbanguisme, fondé par Simon Kimbangu, proposaient un rejet spirituel de l'ordre colonial et se sont heurtés à une répression féroce.
Ainsi, durant cette phase, la terreur a changé de registre, passant du fouet au sermon, de la mutilation au contrôle moral.
Dans une troisième phase, la terreur s'est infiltrée dans la culture, la représentation et la vie quotidienne. L'idéologie coloniale s'est étendue à la culture populaire, à travers les bandes dessinées, l'éducation et les monuments publics. Des bandes dessinées comme Tintin au Congo dépeignaient les Africains comme naïfs, enfantins ou sauvages, tout en présentant les Belges comme de courageux civilisateurs. Ces productions culturelles transformaient l'oppression en humour, normalisant la hiérarchie.
Parallèlement, les villes coloniales étaient construites pour refléter les divisions raciales : quartiers blancs séparés des quartiers noirs, couvre-feux imposés et surveillance omniprésente. Même les enfants métis – les « mulâtres » – étaient exclus des deux communautés et qualifiés d’« enfants du péché » par les colons catholiques.
Cette ségrégation culturelle et spatiale a engendré ce que j’appelle une géographie morale de la domination, où chaque espace, symbole et récit renforçait la supériorité du colonisateur. Mais cette période a aussi donné naissance à des formes subtiles de résistance. Des artistes et musiciens congolais ont commencé à transformer les langues et les rythmes coloniaux en de nouvelles expressions identitaires.
Le déboulonnage ultérieur des statues coloniales, comme celle du roi Albert Ier à Kinshasa en 2005, a symbolisé un effort continu pour se réapproprier la mémoire et redéfinir l’espace. En Belgique, cependant, le mythe colonial a perduré : les statues de Léopold II se dressaient toujours fièrement et les programmes scolaires continuaient de présenter le Congo comme une terre « civilisée » par la générosité européenne.
Le silence lui-même est devenu un instrument de pouvoir.
La quatrième et dernière phase dépasse le cadre du colonialisme : il s’agit de la persistance de la terreur à travers la mémoire, le déni et le silence institutionnel. Après l’indépendance en 1960, l’influence belge ne s’est pas arrêtée.
La sécession de la province du Katanga, soutenue par les troupes et les entreprises belges, a protégé les intérêts des entreprises et porté atteinte à la souveraineté congolaise.
Lorsque Patrice Lumumba, le premier ministre, a tenté de contester le contrôle belge, il a été renversé et assassiné avec la complicité des Belges.
C’était du néocolonialisme.
Déguisée en intervention, la Belgique perpétuait la même logique de contrôle par des moyens économiques et politiques.Des décennies plus tard, elle a commencé à faire face publiquement à son passé.
En 2002, elle a présenté ses excuses pour son rôle dans l'assassinat de Lumumba. En 2019, elle a présenté ses excuses pour l'enlèvement d'enfants métis.
Et en 2020, la Commission Vérité et Réconciliation a été créée pour examiner l'héritage colonial, une première pour un ancien colonisateur européen.
Pourtant, comme le souligne Sarah Destrooper, le travail de la commission était limité.
Son mandat était court, elle a exclu les victimes de la prise de décision et a évité d'aborder les questions de réparations ou d'inégalités sociales.
De cette manière, elle a reproduit l'injustice épistémique, produisant des connaissances sur le colonialisme sans redistribuer le pouvoir.
Parallèlement, la société belge reste profondément divisée.
Certains citoyens considèrent encore la colonisation comme une mission civilisatrice.
D'autres réclament des réparations matérielles et symboliques. Les recherches montrent que lorsque les Belges sont confrontés à la réalité de l'exploitation, ils sont bien plus enclins à soutenir les réparations, ce qui révèle que la mémoire est par essence politique.
Ainsi, même aujourd'hui, la terreur persiste, désormais à travers les politiques de l'oubli. »
Une colonisation par procuration
« Le Congo attend toujours sa véritable décolonisation », a affirmé le Pr. Dieudonné Kwebe-Kimpele, journaliste, conférencier, chercheur indépendant et enseignant. Son intervention fut l’une des plus remarquée, et remarquable, car elle a permis de comprendre en profondeur les fondements de la colonisation belge, et par conséquent ouvrir la porte à une véritable décolonisation du Congo. La colonisation du Congo est en effet, selon lui une « colonisation par procuration ».
« La colonisation du Congo fut avant tout une entreprise de remboursement de dettes. La Belgique n’en fut que le gérant, et non le propriétaire », a rappelé M. Kibwe Kipele.

L’indépendance du 30 juin 1960 n’a pas véritablement restitué au peuple congolais sa souveraineté économique et politique, car les fondements juridiques et financiers de cette dépossession n’ont jamais été réglés.
« C’est un pan important ou un aspect capital de l’histoire du Congo qui a été complètement effacé, oublié ou négligé, rendant dès lors incompréhensible le passé de ce pays et la signification des événements qui s’y déroulent jusqu’à ce lundi 3 novembre 2025. » a souligné le Pr. Kimbele poursuivant :
« Pourtant, le destin du Congo est étroitement lié à cette affaire de DÉFAUT DE REMBOURSEMENT D’UNE DETTE COLOSSALE, ESTIMÉE À 25 MILLIARDS DE DOLLARS AMÉRICAINS CONTRACTÉE PAR LE ROI DES BELGES LÉOPOLD 2, PREMIER PROPRIÉTAIRE DE L’EIC, ETAT INDEPENDANT DU CONGO.
Voici l’histoire : l’immense région du Congo, au cœur de l’Afrique, fut conquise manu militari par le Gallois Henri Morton Stanley, au terme d’une campagne militaire déclenchée en octobre 1876 et qui s’acheva au mois d’août 1879. La couronne britannique ayant déclinée le trophée, les territoires indigènes conquis par Stanley furent proposés à Leoplod II, roi des Bleges, qui les accepta avec empressement et gratitude.
A l’issue de la conférence de Berlin, le 26 février 1885, les délégués des puissances européennes, Leopold II réussit à faire reconnaître ces terres par les délégués des puissances européennes comme étant sa propriété personnelle.
Mais pour créer son « État indépendant du Congo » (EIC) à partir de zéro, en plein cœur d’une jungle sauvage située au centre de l’Afrique, à plus de 6 mille km de la Belgique, à la fin du 19e siècle, il fallait mettre en place une armée, une police, une administration centrale et provinciale, des villes, des routes, des ports, une infrastructure industrielle, des services de santé, etc . Tout cela coûtait beaucoup d’argent, et Leopold II n’en avait pas les moyens. Il contracta alors des emprunts auprès de plusieurs créanciers internationaux.
Léopold 2 pensait pouvoir assurer le remboursement de cette dette énorme grâce à la vente des pointes d’ivoire des éléphants et à la cueillette de la sève d’hévéa servant à la fabrication du caoutchouc pour la production des pneus des véhicules et des vélos en Europe en pleine révolution industrielle automobile !
Mais il s’avérait absolument impossible de réussir le remboursement d’une dette contractée selon une logique capitaliste de profit maximum , à l’aide d’une économie empirique , primaire basée non seulement sur le ramassage en Afrique et la vente en Europe des défenses d’éléphant; mais aussi sur la cueillette par les indigènes congolais de la sève d’hévéa prélevée sur les lianes sauvages qui poussent dans la forêt équatoriale !!
Mis sous pression par ses créanciers qui exigeaient le remboursement de leurs crédits, Léopold 2 fut forcé de se livrer à des crimes et à des actes d’atrocité sur les indigènes congolais refusant de fournir gratuitement de l’hévéa ou qui ne remplissaient pas les quantités ainsi que les quotas de sève d’hévéa fixés par l’EIC.
Après 23 ans à partir de 1885, date de la naissance de l’EIC, les dettes n’ayant toujours pas pu être remboursées, les créanciers de Léopold 2 effectuèrent une saisie pure et simple sur son immense domaine foncier situé en Afrique centrale qui, de propriété privée du roi des Belges, devint le bien commun d’un syndicat de bailleurs des fonds .
Parmi ces derniers figuraient notamment de puissantes familles royales européennes, les banquiers de la City à Londres, Hanovre, Hambourg et à Zurich, mais aussi les armateurs des bateaux aux ports d’Anvers, de Rotterdam et d’Amsterdam, sans compter les fabricants d’armes et les industriels produisant les locomotives, les équipements et le matériel des chemins de fer pour la construction de la voie ferrés Matadi-Kinshasa.
Puis, une fois l’EIC confisqué, la gestion et l’administration de l’ancienne propriété privée du roi Léopold 2 furent cédées à la Belgique en 1908 (et non les actifs qui restèrent la propriété des créanciers internationaux) pour que l’ancien domaine privé du roi Léopold II, s’étendant sur près de 2 millions et demi de km2, ses fabuleuses richesses minières et la main d’œuvre des populations indigènes puissent rembourser les dettes restées impayées.
De 1908 à 1950 c’est -à -dire dix ans avant l’indépendance du Congo, ces dettes évaluées à 25 milliards de dollars furent remboursées 4 fois, sans que les indigènes congolais qui ignoraient évidemment tout de cette affaire soient en mesure d’y mettre un terme ou d’y comprendre quoi que ce soit.
La colonisation du Congo par la Belgique a donc consisté exclusivement en une immense entreprise, destinée au remboursement des dettes de Léopold 2 à ses anciens créanciers.
La Belgique, pendant 52 ans, de 1908 à 1960, a ainsi joué le rôle semblable à celui de président du conseil d’administration d’une société anonyme, appelée Congo belge, ex Etat indépendant du Congo.
Jamais la Belgique ni aucun autre pays au monde n’aurait accepté de devenir propriétaire de l’EIC, un bien criblé de dettes. Qui peut accepter de devenir l’héritier d’un bien, d’une maison, d’une entreprise ou de tout autre patrimoine matériel noyé dans des dettes ?
La terre du Congo, l’indépendance, la souveraineté, ainsi que les droits et les libertés des populations indigènes ont donc été accaparés et confisqués par les bailleurs des fonds de Léopold II en 1908, année du début de la colonisation.
Par conséquent, il incombait à ces mêmes bailleurs des fonds, à l’occasion de l’indépendance du 30 juin 1960, de restituer tous ces attributs à leurs propriétaires originels, à savoir les indigènes congolais. Mais les créanciers furent absents le 30 juin, remplacés par la Belgique qui n’avait pas d’indépendance à octroyer aux Congolais puisque le royaume de Belgique ne fut qu’un simple gérant du Congo belge, pour le compte des créanciers, pendant les 52 ans que dura la colonisation.
Tout reste donc à recommencer au Congo puisque jusqu’à ce jour, l’indépendance de ce pays, la souveraineté des Congolais, leurs terres, leurs droits et leurs libertés sont toujours détenus par les anciens créanciers internationaux, totalement ignorés , inconnus et méconnus du roi des Belges. Le Congo attend d’être décolonisé.
Le GIB, s’il en a la volonté, jouera un rôle éminent dans cette mission noble et sacrée.
Selon ma compréhension, c’est sans doute le défi le plus remarquable que le Groupe d’initiatives de Bakou devra relever au cours des prochaines années et décennies »
Au Burundi : l’anéantissement des valeurs cturelles
Les crimes perpétrés par le colonialisme belge ne se sont pas limités au Congo. Un expert venu du Burundi, Jean-Marie NIBIZI, fondateur et directeur exécutif de SHINE (Services à l'humanité pour l'intégration, le voisinage et l'équité) expert en résolution pacifique des conflits, a abordé la question des conséquences sociales de cette colonisation :

« Le colonialisme belge a anéanti les valeurs nationales et culturelles du Burundi. Durant la période coloniale, même les noms des personnes étaient changés de force. Notre peuple ne pouvait pas choisir librement le nom de ses enfants. Ils ont également détruit nos vêtements traditionnels. Nous avons un concept appelé « iniqali ». « Iniqali nenekufi » désigne les proverbes et les dictons ancrés dans notre culture. Ils ont éradiqué cette tradition, ainsi que celle que nous appelons « litito » : des coutumes orales accompagnées de chants. Ces contes, enrichis de mélodies, transmettaient de génération en génération de profonds enseignements de vie. La tradition burundaise du « Samandari » a elle aussi été complètement effacée. Il s'agissait d'un recueil d'expressions semblables à des proverbes, mais chacune résumait la sagesse d'une vie entière en une seule phrase. C'étaient des leçons de vie souvent transmises avec humour. Mais tout cela a été détruit. Les chercheurs sont stupéfaits lorsqu'ils étudient ce patrimoine culturel, car certains aspects ressemblent à la littérature des frontières européennes, même si ces communautés n'avaient aucun contact avec l'Europe à l'époque. Pourtant, aujourd'hui, nous ne partageons plus ces histoires avec nos enfants ni ne leur transmettons ces valeurs. Au lieu de cela, nous leur racontons des contes européens.
Les colons ont créé des divisions qui sont aujourd’hui comme une bombe à retardement.
Certaines alliances régionales exacerbent cette situation. Par exemple, ce que j'appelle la « petite alliance » – la coopération entre le Rwanda, l'Ouganda et le Kenya. Le Kenya continue de soutenir certains groupes armés, ce qui crée un climat de guerre entre les pays voisins comme le Rwanda, la République démocratique du Congo et le Burundi. Le conflit qui sévit depuis longtemps dans l'est du Congo reste irrésolu et continue de faire des milliers de victimes. Le président et le gouvernement qualifient ces événements de génocide.
Oui, le colonialisme belge a anéanti les valeurs nationales et culturelles du Burundi.
Avant la colonisation, il n’y avait pas de noms d’origine française au Burundi. Les personnes, les rues et les bâtiments ne portaient pas de noms français. Après le début de la colonisation, les Belges ont imposé leur culture et leurs traditions au peuple burundais. Près de 10 000 objets d’art ont été volés au Burundi, et la Belgique refuse toujours de les restituer.
La colonisation a tenté de transformer les élites du pays en agents à leur service. Mais le système des chefs coutumiers fonctionnait avant et pendant le colonialisme. Aujourd’hui, il faut certainement rendre le pouvoir aux chefs coutumiers, une communauté des gens de paix, au Rwanda, Burundi, et au Congo »
L’establishment culturel belge, complice de la persistance de l’héritage colonial ?
Cet anéantissement des cultures se poursuit encore aujourd’hui, dans l’univers feutré des cercles académiques. Anne Wetsi MPOMA, fondatrice et Directrice de la Wetsi Art Gallery en Belgique et, historienne de l’art, lutte contre cet héritage culturel colonial qui persiste encore au sein de l’establishment culturel belge :
« Le colonialisme est un système de prédation des terres mais aussi c'est un système qui a été installé de manière durable, qui agit par l'effacement des cultures, par la domination culturelle. On a essayé de persuader colonisés qu’ils étaient des peuples inférieurs. Et ils l'ont accepté d'une manière ou d'une autre. Cette vision se retrouve aujourd'hui présente sous une forme d'aliénation dans les mentalités contemporaines. Ce travail de démolition culturelle s’est fait à travers l'église, et les écoles. Aujourd’hui encore, dans certaines écoles, on continue à parler des « bienfaits de la colonisation ». On continue à dire qu'il faut relativiser l’idée de domination. Les manuels scolaires n'ont pas changé et en 2025, 65 ans après la fin de la colonisation, les associations, la justice civile, les personnes afrodescendantes de Belgique sont encore en train de travailler pour qu'on change les narratifs au sein de l’enseignement.

Il faut aussi aborder la question de l'Africa Museum, anciennement appelé le musée royal de l'Afrique centrale, qui a joué un rôle très important dans la diffusion des images censées montrer les Congolais et les personnes d'origine africaine comme des sauvages. Ce musée a été construit au début du 20e siècle, suite à la première exposition universelle de 1896 où Léopold II devait convaincre le peuple belge des bienfaits de la colonie. Il s'agissait dans les faits d'instrumentaliser la culture congolaise, de montrer que les Congolais étaient des primitifs. Il y avait tout un narratif dans la scénographie qui montrait des œuvres monumentales d’artistes belges, tandis que artistes congolais n’étaient pas présentés comme des artistes mais plutôt comme des artisans. Il s’agissait de convaincre de l’infériorité de la culture congolaise, et plus largement africaine. Cette propagande est encore présente dans les imaginaires aujourd'hui. Aujourd'hui, les musées sont des institutions monopolisées et véritablement cadenassées par le pouvoir dominant en Belgique. Et puisque cette propagande, elle a été instillée dans l'esprit du public par la culture, c'est aussi par la culture qu'on va pouvoir l’effacer.
Ce n’est pas une tâche facile. Je m’y implique personnellement à ma petite échelle à travers mon espace Wetsi Art Gallery. Wetsi, c'est mon 2è prénom, mon prénom congolais, et c’est ainsi que je préfère être appelée, plutôt que par mon prénom chrétien Anne. Je souhaite en effet me reconnecter avec mes origines africaines et à la spiritualité africaine, plutôt qu’au christianisme qui a été imposé à mon pays par la colonisation.
Wetsi Art Gallery est un espace où les artistes, non seulement les artistes d'origine africaine mais aussi tous les artistes qui ont envie d'apporter un message ou une vision nouvelle et construite, ont l'occasion de s'exprimer et de développer des projets. C'est important que des espaces comme cela existent. Maintenant, la question du financement de ce type d'espace est problématique. Il est difficile d'être indépendant quand on travaille avec des subsides étatiques, mais il est aussi difficile d'apporter une réelle plus-value aux artistes avec qui on travaille et développer les messages qu'on a envie de développer si on travaille sans argent.
Quand on est afrodescendant en Belgique, on est toujours un peu dans une position d’équilibriste. L’une des manières d'acquérir une forme de reconnaissance et une présence médiatique, a été de collaborer avec différentes institutions dont le fameux Africa Museum de Tervuren. Le moment de la réouverture de ce musée en 2018 a été un moment assez catalyseur du fait des tensions entre les personnes de la diaspora et les scientifiques du museum. C'est à ce moment-là qu'on a commencé à parler de restitution. Bien sûr, c'est une question qui avait déjà été abordée par le passé. Déjà pendant le régime de Mobutu, il y avait eu des demandes de restitution et même en fait pendant la colonisation, des chefs qui avaient déjà dit "Rendez-moi moi mes insignes" puisque ces objets qui se trouvent dans les musées aujourd'hui sont des objets qui ont été pour la plupart pillés en Afrique. Sur le continent africain, ces objets ne se trouvaient pas dans des musées. Ils servaient lors de rituels divers. Certains étaient sacrés, d'autres ne l'étaient pas forcément. Mais en tout cas, tous ces objets avaient une fonction sociale, rituelle au sein de la société. On les a emmenés en Europe, on les a mis dans des musées et aujourd'hui lorsque les membres de la diaspora mettent en question la présence de ces objets dans les musées, cela leur a donné une certaine visibilité, mais on ne peut pas dire qu’ils sont vraiment soutenus par les gouvernements africains. Je rejoins la vision du professeur Dieudonné Kwebe Kimpele quand il disait que les objets doivent être restitués aux personnes à qui on les a volés. Et les personnes à qui on a volé ces objets, ce n’est pas le gouvernement congolais. Celui-ci est en réalité une création coloniale voire post-coloniale. Et donc les personnes qui se sentent dépossédées, ce sont celles de la diaspora, des militants, des personnes qui font partie du milieu associatif, certains scientifiques aussi et bien sûr certains chefs coutumiers au niveau du pays. Il y a bien eu une commission sur le passé colonial qui a été organisé par le Parlement fédéral et au cours de laquelle on a beaucoup délibéré. Il y a eu deux rapports d'experts, et à chaque fois on disait que la première chose était de présenter des excuses, mais immédiatement après, on posait la question des réparations. Pourquoi demande-t-on des réparations ? Parce que, aujourd'hui, en Belgique, on continue à subir le colonialisme à travers la discrimination à l'emploi, ou la discrimination au logement. Finalement, le gouvernement belge a refusé de présenter des excuses, mais a proposé de créer une loi sur la restitution qui encadre la restitution. Cette loi est en réalité un obstacle à la restitution puisqu'elle fige le cadre de la restitution entre le gouvernement belge et le gouvernement congolais alors que le gouvernement congolais n'a pas fait de demande de restitution. Pour déterminer qui peut prendre une décision de rapatriement des objets, les deux gouvernements et le musée se renvoient la balle en permanence, et aucune décision n’est prise. »
En finir avec la victimisation
Jean-Michel Brun a ensuite donné la parole à Jessy Mudiay CALENGA, qui est chargé de projet à l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime au sein du Programme mondial de lutte contre la criminalité maritime, avec une question : comment le Congo va-t-il pouvoir se réapproprier ses biens spoliés par le colonialisme, sa culture effacée en partie par les colonisateurs, et comment imaginer le futur du Congo ?

Tout de suite, Jessy Mudiay a posé le problème de la victimisation :
« En tant que juriste, je pense qu’il est important de s'accorder d’abord sur les mots et la définition des termes. Qu'est-ce que le colonialisme ? Quelle différence y a t-t-il entre le colonialisme et le néocolonialisme ?
Je pense que réévaluer l'héritage colonial belge, au-delà de revisiter le passé, c'est aussi une façon d'apprécier le présent à la lumière de l'histoire. Pendant longtemps, le débat sur la colonisation a fait face à deux impasses. La première impasse, c'est celle de la glorification. C'est l'impasse du colonisateur. Ce discours qui consiste à dire que le temps des colonies était un temps béni, comme le chantait Michel Sardou. Un discours qui consiste à annihiler ou à amoindrir l'impact de la colonisation sur les populations locales.
Ça c'est l'impasse du colon. De l'autre côté il y a l'impasse du colonisé. Il s’agit du discours qui consiste à mettre sur le dos de la colonisation tous les maux, tous les malheurs que les populations actuelles subissent en Afrique, et notamment au Congo : la pauvreté, les instabilités gouvernementales, le taux de chômage. Tout cela serait à cause de la colonisation.
Au-delà de la dimension historique, il y a une dimension politique à la question de la réévaluation de l'histoire coloniale belge. Il faut se poser la question de savoir comment transformer cette mémoire en une responsabilité collective.
Le discours que j'essaie de porter ici, c'est simplement de dire que, au bout d'un moment, au-delà de l'histoire, au-delà de la dimension historique, faire entièrement porter les responsabilités sur la colonisation, ou attendre encore quelque chose, aujourd'hui, en 2025 de la part de l'ancien colon, est un discours passéiste.
La responsabilité collective, c'est d’affirmer aujourd'hui que nous sommes capables de produire par nous-mêmes, et que nous n'attendons rien de la part de l'ancien colon. Pendant plus de 3 siècles, le Brésil a été colonisé par le Portugal. Aujourd'hui, le Brésil est membre des BRICS. Le Brésil est une puissance régionale. Pendant près de 2 siècles, l'Inde a été colonisée par la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, l'Inde est une puissance économique, une puissance nucléaire, et elle est membre des BRICS. Pendant plusieurs années, Singapour a été colonisé par la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, c'est le 3ème PIB par habitant au monde. Alors, j'ai envie de vous poser la question. Comment aujourd'hui en 2025 on est encore en train d'attendre des réparations de la part de la Belgique ?
Dans tous les exemples que j'ai cités, que ce soit le Brésil, Singapour, l'Inde, qui a tenu un discours qui consistait à dire "Réparez ce que vous avez fait" ? Comment se fait-il qu’aujourd'hui, en 2025, l'Allemagne et le Japon sont devenues des puissances internationales ? Et je le dis sans aucune forme de condescendance bien sûr. Ils n'ont pas été colonisés, mais ils ont subi des dégâts matériels considérables après les deux guerres mondiales.
L’Allemagne est le moteur de l'Union européenne, après avoir subi deux humiliations. En 1919 avec le traité de Versailles, et en 1945. Elle n’a jamais demandé de réparation, jamais tenu de discours moralisateur, jamais tenu de discours sur l'histoire. Elle ne s'est jamais dit qu’il aurait fallu faire les choses autrement. Non, l’Allemagne et le Japon se sont mis à produire. Et c'est ce discours que je voudrais aujourd'hui marteler. C'est un discours de responsabilité collective. C'est un discours de lucidité.
Et pardonnez-moi, je travaille aujourd'hui pour les Nations-Unies. Je suis basé à Dar Salam en Tanzanie et dans le cadre de mes missions, je suis très souvent amené à travailler au Congo. J'étais à Kinshasa tout le mois d'août. À Kinshasa, je rencontre des hommes et des femmes. Je travaille pour le programme mondial de la lutte contre la criminalité maritime. Donc mes principales parties prenantes, ce sont le ministère de l'intérieur, le ministère des affaires étrangères, les agences de police, la police marine, la police fluviale, la police des frontières, la douane, et tous ces hommes et ces femmes que je rencontre me disent à moi, « Monsieur Jessie Mudiay, il faudrait que vous écriviez à nos responsables pour qu'ils prennent des décisions et qu'ils implémentent ce programme de manière effective parce que si c'est nous qui écrivons, ils prendront le papier et le mettront sous la table. Si c'est nous qui écrivons, il n'y aura aucun impact ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’une personne venant de l'extérieur aurait plus de légitimité, plus d'impact et plus d'influence sur les autorités congolaises que ceux qui vivent sur terrain eux-mêmes.
Elle est où la responsabilité de la Belgique en 2025, lorsque le peuple congolais et les autorités congolaises ne peuvent pas implémenter un programme contre la criminalité maritime de manière effective ? Elle est où la responsabilité par extension de la France lorsque les autorités camerounaises se maintiennent au pouvoir jusqu'à 92 ans ?
Elle est où la responsabilité de la France sur le Gabon avec les autorités qui se maintiennent des années au pouvoir ? Alors oui, tenir un discours sur l'histoire n'est pas sans importance. Revisiter, réévaluer l'héritage colonial belge, c'est comprendre l'histoire. Mais c’est aussi réfléchir à penser l'Afrique, à penser le Congo et par extension l'Afrique, non pas comme héritiers d'un traumatisme, mais comme acteurs de leur propre histoire.
Je me trouvais hier avec quelques collègues azerbaïdjanais et je leur faisais observer que la ville est d'une propreté impressionnante. Quand on travaille en Afrique, notamment à Madagascar, au Congo, en Tanzanie, je vous assure que cela fait plaisir d'être dans une ville aussi propre que Bakou.
Mes collègues azerbaïdjanais m’ont expliqué qu’ici, des politiques publiques qui ont été menées et que les sanctions sur quelqu'un qui fumerait une cigarette et qui jetterait un mégot à terre sont énormes. Ça c'est une politique publique. C'est-à-dire que vous développez des politiques publiques, que ce soit au plan sécuritaire, au plan des affaires étrangères, au plan économique, de l'emploi, de l'industrie, de la production, et que vous les implémentez. En conclusion, je suis persuadé qu'aujourd'hui en 2025, si le Congo était une puissance continentale et internationale, jamais au grand jamais on regarderait la Belgique en attendant d’elle des réparations. »
Le statut de la femme en RDC
Après avoir rappelé que, effectivement, si la demande de réparation est légitime, au même titre que les tribunaux condamnent les responsables de dommages civils à indemniser leurs victimes, on ne doit pas se complaire dans la « victimisation », au risque d’être incapable de se projeter vers l’avenir, le modérateur s’est adressé à Agnès Nyabisoki Sadiki, militante et défenseure des droits humains en RDC, membre du comité directeur du Caucus des femmes congolaises du Sud-Kivu pour la paix : « Les colonisations ont fait de nombreuses victimes, on le sait. Parmi celles-ci, les femmes ne sont pas épargnées, loin de là. Souvent considérées comme des proies destinées à satisfaire les désirs des colons, ou comme une main d’œuvre taillable et corvéables à merci. Lors des guerres d’indépendance, comme la guerre d’Algérie, les femmes ont eu un rôle considérable. Elles ont naturellement eu l’espoir que l’indépendance leur rendrait la place qu’elles méritaient. Or, dans l’exemple de l’Algérie, cet espoir n’a été qu’une éphémère utopie. Le patriarcat et le machisme l’ont emporté sur les principes révolutionnaires, et la femme a été de nouveau reléguée à son rôle domestique. Qu’en est-il du Congo post-colonial ? »

En réponse, Agnès NYABISOKI SADIKI a abordé la question de l’évaluation de l’héritage colonial belge par rapport au statut de la femme en RDC :
« La colonisation, qui a duré de 1885 à 1960, a érigé une société basée sur la domination au sens large du terme. Les colonisateurs Belges avaient importé un système politique, social et économique profondément patriarcal en instaurant leur colonie, le Congo-Belge. En outre, le modèle belge avait été fortement influencé par les notions chrétiennes conservatrices qui, typiquement, ont assigné à la femme un rôle subordonnée dans la sphère domestique par rapport à l’homme. D’abord, en termes d’espace-temps, les femmes étaient bien plus présentes dans le travail domestique et agricole que les hommes. Non seulement ce travail était cher payé souvent pour les colons, il se faisait gratuitement quand il s’agissait des femmes et filles colonisées, Une grande proportion des filles n’avaient jamais de chance d’accéder à un système d’éducation difficilement accessible. Tout cela en a fait des femmes, les membres les plus vulnérables et défavorisés d’une solidarité économique et sociale.
Sur le plan juridique, la femme mariée était placée sous la tutelle de son époux car elle ne pouvait ni signer de contrat, ni exercer une activité commerciale, ni posséder de biens sans son autorisation. Son statut légal se limitait à celui d’épouse et de mère, excluant toute reconnaissance comme citoyenne autonome. En République Démocratique du Congo, les femmes étaient privées de droits politiques et exclues de la fonction publique coloniale. Même les femmes instruites, souvent formées dans les missions chrétiennes, étaient cantonnées au rôle de ménagères et tenues à l’écart des instances décisionnelles.
Lorsqu’on parle du statut de la femme en République Démocratique du Congo, on ne peut ignorer l’empreinte laissée par la période coloniale belge car malgré l’espoir lié à l’indépendance, les conditions de la femme n’ont pas du tout évolué, les structures patriarcales et traditionnelles se sont enracinées en façonnant d’une manière inégale les rapports sociaux, économiques et juridiques entre les hommes et les femmes jusqu’aujourd’hui.
Après l’indépendance en 1960, le Congo indépendant a conservé beaucoup de principes coloniaux belges dans sa législation. Le code de la famille congolais de 1987 a codifié pour la première fois ces normes dans un contexte national mais, il a repris l’idée du mari chef du ménage. Ce n’est qu’avec la réforme de 2016 que la RDC a officiellement supprimé cette inégalité et reconnu l’égalité des époux dans le ménage.
Les femmes congolaises étaient considérées non comme sujets de droit mais comme des objets de service, de travail et parfois de désir. De nombreux témoignages et rapports historiques font état d’abus sexuels commis par des colons, des militaires ou des agents de l’administration contre les femmes congolaises. Ces violences étaient rarement sanctionnées, car le système judiciaire colonial protégeait les Européens. Les femmes victimes n’avaient aucun recours légal et étaient souvent réduites au silence, voire punies si elles parlaient. Cette culture de l’impunité a laissé une trace meurtrière: la violence sexuelle est devenue une forme de domination tolérée ou minimisée dans certaines sphères sociales.
Après 1960, les lois sur le viol et violences sexuelles ont longtemps restées très limitées, centrées sur l’honneur plutôt que le droit de la victime. Les conflits armés à partir des années 1990 ont aggravé la situation : le viol est devenu une arme de guerre, utilisée jusqu’à aujourd’hui pour humilier, contrôler et détruire non seulement les femmes mais aussi les communautés.
Aujourd’hui encore, 65 ans après l’indépendance de la RDC, malgré l’existence de la loi du 20 juillet 2006 portant sur les violences sexuelles, les femmes de l’Est de la RDC d’où je viens font face aux mêmes tristes réalités : chosification et la sexualisation et l’utilisation de la femme comme arme de guerre.
Fort malheureusement, les séquelles laissées par l’époque coloniale chez les femmes congolaises demeurent silencieuses. Même le processus informel de demande de pardon amorcé par le roi belge en 2022 ne fait pas allusion à toutes les exactions commises sur les femmes et dont les cicatrices n’ont jamais été pansées.
Au vu de cette situation, nous recommandons ce qui suit :
- Promouvoir une mémoire critique et une identité décolonisée surtout à travers des conférences débats, des échanges avec les élèves et étudiants
- Créer un cadre inclusif de suivi du processus de demande de pardon de la Belgique à la RDC en reconnaissant le mal historique fait à la femme congolaise
- Documenter les exactions commises sur les femmes en vue d’une réparation aux survivantes. »
Retrouvez dans notre prochain numéro le contenu de la deuxième table ronde sur le thème « Avouer la responsabilité : gestes symboliques et réparations »